«Le maire de Riace n’est rien, c’est un zéro», avait lancé début juin dans un message vidéo Matteo Salvini, alors qu’il se trouvait en déplacement en Calabre. Aux yeux du leader de la Ligue d’extrême droite, l’élu local ­Domenico «Mimmo» Lucano avait le tort d’accueillir dans sa petite commune dépeuplée de la pointe de la «Botte» des migrants pour revitaliser le bourg et témoigner de sa solidarité avec les plus démunis. Depuis, Matteo Salvini est devenu ministre de l’Intérieur et l’homme fort du gouvernement populiste de ­Giuseppe Conte. Domenico Lucano est, lui, depuis lundi matin, en état d’arrestation car suspecté d’aide à l’immigration clandestine.

Le parquet de Locri lui reproche d’avoir organisé des mariages de convenance entre des habitants de son village et des femmes étrangères afin de leur permettre d’obtenir un titre de séjour. Il est aussi soupçonné d’irrégularités dans l’octroi de financements pour le ramassage des ordures au profit de deux coopératives créées pour donner du travail à des habitants et des migrants de Riace. «Lucano est uniquement coupable d’avoir sauvé des vies humaines, des vies de migrants», a réagi l’écrivain Roberto Saviano, pour qui «l’utilisation politique de l’enquête judiciaire» en cours «constitue le premier pas vers un Etat autoritaire».

«Monde meilleur»

Il y a encore quelques mois, Domenico Lucano, aujourd’hui âgé de 60 ans, était très largement considéré comme un modèle, y compris par le magazine américain Fortune qui, en 2016 l’avait placé – seul Italien de la liste – parmi les 50 personnalités les plus influentes du monde, pour son engagement sur le terrain de l’immigration. «Je me demande bien comment les journalistes de Fortune sont parvenus à découvrir cet endroit si reculé du monde…» avait souri le maire, élu la première fois en 2004 sur une liste de gauche, et toujours reconfirmé depuis. Car comme plusieurs petites villes du Mezzogiorno, Riace a su, sous l’impulsion de son édile, faire le pari de l’intégration et de la relance de l’activité économique et sociale à travers l’accueil des étrangers. Et cela dans des bourgs où depuis longtemps, les plus jeunes ont pris la route du nord de l’Europe ou de la péninsule. «Moi aussi j’ai été un émigré, à Turin et à Rome, rappelle souvent Lucano, professeur de chimie dans le secondaire. Revenir en Calabre a été la décision la plus difficile de ma vie, […] mais la volonté de rentrer était trop forte. En tant que militant des mouvements étudiants, je pensais pouvoir participer à la construction d’un monde meilleur.»

Durant l’été 1998, un navire avec à bord plus de 800 personnes, dont des femmes et des enfants, accoste sur la côte ionienne. C’est l’un des premiers grands débarquements dans le sud de la péninsule. Lucano est alors ­responsable d’une petite ­association locale. «Cette arrivée a tout changé», racontait-il à La Repubblica en 2016. A son initiative, le village de 1 800 âmes ­va rapidement accueillir des dizaines d’Afghans, d’Erythréens ou d’Irakiens qui vont ­repeupler les rues, rouvrir des ateliers d’artisanat local et ­relancer, grâce à leurs ­enfants, l’activité ­scolaire.

Désobéissance

En 2010, Wim Wenders consacre un court-métrage à l’expérience de Riace. Et plus récemment la Rai, la chaîne publique italienne, avait elle aussi prévu de diffuser une fiction autour des nouveaux citoyens du bourg calabrais. Mais les enquêtes judiciaires sont arrivées, suivies du changement de gouvernement et de l’accession de l’extrême droite au pouvoir. La nouvelle coalition composée de la Ligue et du Momuvement Cinq Etoiles a immédiatement annoncé que les subventions pour Riace seraient coupées. Quant au film de la Rai, il est aujourd’hui provisoirement interdit de diffusion.
Concrètement, la Justice ne soupçonne pas Lucano d’enrichissement ou prise illégale d’intérêt. Dans des relevés d’écoutes téléphoniques, l’édile suggère à une jeune femme nigérianne de se marier pour pouvoir rester dans le pays. Dans une autre écoute, il revendique une forme de désobéissance ­civile : «Je vais vous faire la carte d’identité, je suis hors-la-loi car pour faire la carte d’identité, je devrais avoir un permis de séjour encore va­lable. […] J’assume la responsabilité et je vous dis que ça va», dit-il ainsi à une femme étrangère.

«Que vont dire maintenant Saviano et tous les bien-pensants qui voudraient remplir l’Italie d’immigrés ?» a ironisé, lundi, le ministre de l’Intérieur, Matteo Salvini, ­rejoint par son secrétaire d’Etat et responsable du Mouvement Cinq étoiles Carlo Sibilia, qui annonce «la guerre au business de l’immigration» et va ­jusqu’à faire un parallèle ­entre les ennuis ­judiciaires de «Mimmo» ­Lucano et ­l’exploitation ­financière des migrants par la mafia.

Eric Jozsef correspondant à Rome