Source : Le Parisien - Cécile Beaulieu - 18/12/2019

25 ouvriers maliens sans-papiers qui étaient employés sur un chantier, avenue de Breteuil (VIIe), ont obtenu plus d’un million d’euros de dommages et intérêts pour « discrimination raciale systémique ». Une première en France.

Les « 25 de Breteuil » ont obtenu justice. Ces travailleurs maliens sans-papiers, employés illégalement sur le vaste chantier Breteuil-Ségur (VIIe) porté par le groupe d'assurance Covéa, ont obtenu ce mardi des dommages et intérêts, notamment pour « discrimination raciale et systémique », devant le conseil de prud'hommes de Paris.

C'est la première fois, en France, que ce concept est reconnu dans une décision de justice. A ce titre, les salariés reçevront 34 000 € chacun et près de 3 000 € de salaires en retard. Plus de 1 M€ au total.

Des conditions « humainement indignes »

L'affaire éclate en 2016. Le 6 septembre, un ouvrier, perché sur un échafaudage branlant, rafistolé avec des câbles électriques, chute lourdement sur le sol. Il est victime d'une fracture ouverte. Comme trois jours plus tôt, alors qu'un manoeuvre, dépourvu de lunettes de sécurité, avait été blessé à l'oeil, les responsables du chantier refusent d'appeler les secours. Mais cette fois, les ouvriers se rebellent et dévoilent les conditions dans lesquelles les emploie leur entreprise sous-traitante, MT Bat Immeubles (*).

Soutenus par la CGT, les manoeuvres, qui depuis lors ont tous été régularisés et embauchés par une entreprise de bâtiment, se mettent en grève et occupent le chantier de l'avenue de Breteuil. Tandis que l'inspection du travail et le Défenseur des droits, autorité administrative notamment en charge de la lutte contre les discriminations, ouvrent une enquête contradictoire qui donne lieu à un rapport de 300 pages, au vitriol : les conditions de travail des 25 Maliens « sont humainement indignes ».

« De simples composants remplaçables »

« Nous sommes en plein Paris, avec vue sur les Invalides, et c'est pourtant là que travaillaient 25 hommes sans-papiers, payés de la main à la main, sans le moindre contrat, sans aucune protection. Ni gants, ni chaussures de sécurité, ni casque » avaient ajouté Mes Aline Chanu et Camille Berlan, les avocates des plaignants, lors de l'audience.

Dans son jugement, le conseil de prud'hommes a reconnu que « tous les travailleurs maliens étaient assignés aux tâches les plus pénibles du chantier dans des conditions extrêmement dangereuses » et constaté que « la société a préféré privilégier l'état d'avancement des travaux à la sauvegarde de l'intégrité corporelle et de la vie des salariés, appréhendés comme de simples composants remplaçables ».

Lors de l'audience prud'hommale, la représentante du Défenseur des droits avait estimé que MT Bat Immeubles avait « volontairement constitué une équipe composée uniquement de travailleurs sans papiers. Car, dans ce métier, ils sont considérés comme une force de travail interchangeable : on les appelle les Mamadou ! Leur chef leur disait d'ailleurs : Si t'es pas content, rentre chez toi. Il y en a plein d'autres ».

Pour la CGT et les deux avocates des salariés, qui ont accompagné les 25 de Breteuil depuis le premier jour, et jusqu'aux prud'hommes, cette décision est « un tournant, qui crée du droit sur la question de la discrimination raciale systémique ».


(*) La société MT Bat Immeubles a été placée en liquidation judiciaire en août 2018. Elle n'était ni présente, ni représentée à l'audience des prud'hommes. Les indemnités obtenues, ne pouvant pas être versées par cette société, seront issues du régime de garantie des salaires (AGS) financé par les cotisations patronales.