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La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

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Source : Mediapart - Nicolas Cheviron - 22/12/2019

Depuis la victoire de l’opposition sociale-démocrate à Istanbul, lors des municipales du 23 juin, la police turque multiplie les rafles contre les réfugiés

Istanbul (Turquie), de notre correspondant.– Depuis le début de l’été, la vie est devenue encore un peu plus difficile pour les réfugiés syriens installés à Istanbul. À l’origine de leurs maux : la défaite subie lors des municipales du 23 juin par le parti du président Recep Tayyip Erdogan, qui a mis fin à vingt-cinq ans de mainmise islamo-conservatrice sur le cœur économique de la Turquie et ses 15 millions d’habitants. Cet échec cuisant, le Reis et son Parti de la justice et du développement (AKP) en ont imputé la responsabilité aux réfugiés syriens installés dans la métropole, dont le nombre, selon eux, excessif et les frictions qu’ils occasionnent seraient venus à bout de la patience des Stambouliotes.

« En raison des réactions provenant des citoyens, nous avons besoin d’élaborer de nouvelles politiques pour les Syriens. Nous allons les encourager à rentrer. Les criminels seront déportés », a ainsi annoncé, mi-juillet, le chef de l’État. La question des réfugiés syriens a en effet été utilisée pendant la campagne par le candidat social-démocrate victorieux, Ekrem Imamoglu. Et, fin juin, une fausse rumeur concernant l’agression sexuelle d’une fillette turque par un jeune Syrien a conduit à l’attaque, par une foule en colère, de commerces tenus par des Syriens dans l’arrondissement stambouliote de Küçükçekmece.

Istanbul héberge, selon les experts, quelque 750 000 Syriens – soit environ 20 % de la population syrienne en Turquie – dont 550 000 sont dûment enregistrés comme résidents de la ville avec un statut de « protection temporaire ». Le 22 juillet, la préfecture d’Istanbul a annoncé que tous les Syriens non enregistrés dans la métropole devaient quitter son territoire, faute de quoi ils seraient déportés vers leur ville de rattachement, ou, en l’absence de papiers, vers le centre de transit de Kilis, près de la frontière syrienne, pour y être régularisés puis envoyés en province.

Entre cette annonce et le 15 novembre, 6 414 Syriens sans papiers ont été transférés à Kilis, selon les statistiques de la préfecture. Celle-ci ne communique pas sur le nombre des départs de Syriens déjà enregistrés dans une autre ville, qui avaient jusqu’au 30 octobre pour quitter Istanbul par leurs propres moyens avant d’en être chassés par la force publique. Si le nombre d’expulsions reste à ce stade limité, la multiplication des contrôles policiers et des arrestations n’en a pas moins a semé la panique parmi les réfugiés et rendue plus ardue la vie déjà précaire de la plupart des familles syriennes.

Le 6 novembre, un convoi de cinq bus affrétés par la mairie d'arrondissement stambouliote d'Esenyurt s'apprête à prendre la route avec à son bord 200 réfugiés syriens candidats au retour dans leur pays. © NC 

Dans le salon d’Emine, une veuve originaire d’Alep qui vit avec huit membres de sa famille dans un petit deux pièces en sous-sol à Gaziosmanpasa, un arrondissement populaire du nord-ouest d’Istanbul, chacun y va de son commentaire. Il y a Nurettin, le petit frère, qui a fait un mariage religieux trois jours plus tôt avec une jeune Syrienne arrivée clandestinement, mais qui ne peut pas régulariser leur union, par peur de voir sa belle interpellée dès qu’elle mettra le pied à la mairie. « Pour être en règle, il faudrait qu’elle se fasse enregistrer, mais pas à Istanbul où ils ne prennent plus personne », explique le jeune homme, qui travaille comme repasseur dans une laverie. « Ensuite, on pourrait se marier officiellement et demander un rapprochement familial, mais ça va prendre un temps fou, pendant lequel on sera séparés. »

Il y a Bekir, le beau-frère d’Emine, enregistré à Adana, dans le sud de la Turquie, qui ne peut plus travailler en raison de douleurs au dos et de rhumatismes au genou mais ne peut pas non plus se faire soigner à l’hôpital public, par crainte d’être raflé. Zekerya, un ami de la famille, vit sans papiers à Istanbul depuis trois ans, accumulant les petits boulots dans la construction. Mais désormais, la peur du policier l’empêche d’aller sur certains chantiers. « Pour éviter les contrôles, je vais partout en marchant, je ne prends plus les transports en commun. J’évite aussi les grandes avenues et les lieux très surveillés » en centre-ville, indique le célibataire.

Joint par téléphone, Muhammed, 29 ans, dit user des mêmes ruses de Sioux pour éviter les contrôles. Mais il a la chance de travailler dans un atelier de couture proche de son domicile, dans l’arrondissement périphérique de Bagcilar. « On travaille en fermant à clé la porte de l’atelier et avec les volets clos », affirme le jeune homme, enregistré à Bursa, dans le nord-ouest de la Turquie. « Bien sûr que j’ai peur d’être expulsé, parce que je suis le seul à pouvoir m’occuper de ma famille, ici. Mon aîné a à peine huit ans et le plus petit est un nourrisson », ajoute le couturier, qui fait vivre sa femme et ses cinq enfants avec un salaire de 2 500 livres turques (390 euros) par mois et doute de sa capacité de trouver un logement et du travail à Bursa, où il ne connaît personne.

Les nouveaux contrôles policiers, qui visent aussi les lieux de travail, ont coûté son emploi dans la construction au père de Mecit, pourtant enregistré à Istanbul. « À cause des contrôles, le patron ne peut plus faire travailler les Syriens au noir, mais il ne veut pas non plus les régulariser et payer des cotisations sociales pour eux, alors il les a virés », affirme le lycéen, qui rêve de faire des études de médecine pour pouvoir se mettre au service des habitants de son pays.

Le transfert forcé vers une ville turque de province n’est pas le seul risque encouru par les Syriens d’Istanbul. « Si le Syrien qui se fait arrêter ne pose pas de problème, s’il lui manque juste des papiers, on l’envoie à Kilis. Mais s’il est impliqué dans des histoires, alors ils le renvoient en Syrie », résume Zekerya. Un rapport publié fin octobre par Amnesty International rapporte les témoignages de 20 Syriens renvoyés de force en Syrie entre le 25 mai et le 13 septembre après avoir été poussés par la tromperie ou la contrainte – parfois la violence physique – à signer un formulaire de « retour volontaire » en Syrie.

Dans chaque cas « les personnes expulsées ont affirmé qu’il y avait plusieurs dizaines d’autres personnes (entre 35 et 60) dans chacun de leurs bus, ce qui représente un échantillon représentatif de plusieurs centaines de personnes », affirme l’organisation de défense des droits de l’homme, soulignant que les passagers « avaient les mains liées avec des liens en plastique » et ont été victimes de « mauvais traitements infligés par les gendarmes armés qui les accompagnaient ». Pour Andrew Gardner, chercheur d’Amnesty International basé à Istanbul, ces retours forcés ne sont pas des incidents marginaux mais relèvent d’une « politique organisée » et d’initiatives locales approuvées par les autorités nationales visant à « traiter tout mauvais comportement, tout délit mineur ou trouble à l’ordre public en punissant leurs auteurs d’un retour en Syrie, ce qui est totalement inacceptable ».

« Jamais on ne retournera vivre en Syrie tant qu’Assad sera là »

Or, dans les cas documentés, les expulsés ne sont même pas des petits délinquants, mais « des gens qui ont eu un conflit avec leur propriétaire et ce dernier est allé se plaindre à la police », souligne l’activiste. « Quel que soit ce qui est écrit sur votre permis de résidence, vous courez le risque d’un renvoi de Turquie. » À ces expulsions punitives s’ajoute le projet présenté fin septembre par Erdogan devant l’assemblée générale de l’ONU d’installer deux millions de réfugiés syriens dans une « zone de sécurité » de 30 km sur 480 dans le nord-est de la Syrie, sur des territoires pris par l’armée turque et ses supplétifs syriens aux Forces démocratiques syriennes (FDS), accusées par Ankara de soutenir le terrorisme kurde en Turquie.

Près de deux mois après le lancement de son offensive, la Turquie est loin d’avoir atteint son objectif – elle contrôle moins du tiers de la région ciblée et aucune des 150 villes et communes nouvelles prévues ne semble en mesure de sortir de terre dans un avenir proche. Mais le « rapatriement volontaire des Syriens » était encore à l’ordre du jour de discussions mi-novembre entre diplomates turcs et responsables du Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR), et la Turquie pousse pour l’organisation d’un forum international de donateurs, censés financer ce retour.

Dans la cave-appartement d’Emine, l’évocation d’un retour en Syrie provoque un « tss ! » de réprobation unanime. « Dans la zone de sécurité, il n’y aura pas de travail, pas de moyens de vivre. À Alep, on avait une maison, mais les gens [du président syrien Bachar al-] Assad l’ont prise », explique la veuve. « Si on doit y retourner, je vais avoir des problèmes avec le régime. Mon fils ainé est tombé en martyr là-bas – il avait à peine 15 ans », poursuit Emine, avant de conclure avec fermeté : « Même si les Turcs veulent renvoyer de force deux millions de personnes, jamais on ne retournera vivre en Syrie tant qu’Assad sera là. »

Directeur du Centre de recherches sur les migrations et l’intégration à l’Université turco-allemande (TAU) d’Istanbul, Murat Erdogan déplore la nouvelle politique du gouvernement à l’égard des réfugiés syriens, dominée selon lui par des enjeux politiciens – comme celui de masquer les vraies raisons de l’échec de l’AKP à Istanbul – et largement inefficace.

Le 6 novembre, un convoi de cinq bus affrétés par la mairie d'arrondissement stambouliote d'Esenyurt s'apprête à prendre la route avec à son bord 200 réfugiés syriens candidats au retour dans leur pays. © NC 

« La Turquie a laissé les Syriens s’installer où ils le voulaient et comme ils le voulaient. Cela a conduit à de grands déséquilibres d’une ville à l’autre. Mais lancer aujourd’hui des travaux uniquement pour Istanbul n’est pas logique », déclare le chercheur, qui souligne le fait que les Syriens, même en prenant en compte les non-enregistrés, ne représentent que 5 % de la population stambouliote, contre 25 % à Gaziantep, 30 % à Hatay et 80 % à Kilis, trois départements frontaliers de la Syrie, et 4,5 % de la population nationale.

« Les possibilités pour les Syriens de trouver du travail dans ces villes sont très limitées. C’est bien pour cela qu’ils viennent à Istanbul. S’ils retournent là-bas, ils vont constituer un fardeau supplémentaire pour la population locale », ajoute-t-il. Quant aux projets de retours massifs en Syrie, le scientifique les considère irréalistes. Pour Murat Erdogan, il n’y a qu’une seule solution viable : « Il faut commencer par admettre la réalité. Et la réalité, c’est qu’au moins 80 % des Syriens vont rester avec nous. Dès lors, nous devons mettre en place une politique d’intégration. C’est très important pour l’avenir de la Turquie, pour sa sécurité et sa sérénité. Les déclarations politiques sur le renvoi des Syriens ne font que raviver les tensions. »

La perspective d’un tel retour des réfugiés fait dresser les cheveux sur la tête des militants des droits humains. Dans un récent rapport, l’organisation Human Rights Watch (HRW) dénombre au moins sept exécutions sommaires dans la « zone de sécurité » tenue par les milices syriennes pro-turques, trois civils kurdes abattus alors qu’ils tentaient de regagner leur domicile et trois travailleurs humanitaires portés disparus. Elle conclut à l’absence, « sans ambiguïté », de sécurité dans ce secteur.

L’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) affirme pour sa part avoir recensé 1 916 cas d’arrestations de Syriens à leur retour en Syrie entre 2014 et 2019, dont des réfugiés en provenance de Turquie. Parmi eux, 638 ont disparu et 15 sont morts sous la torture, affirme l’observatoire. « En ce moment, il n’y a aucune zone en Syrie qui soit suffisamment sûre pour permettre un retour des réfugiés », résume Andrew Gardner.

En dépit de ces recommandations, les rafles se poursuivent à un rythme soutenu, et les Syriens ne sont pas les seuls étrangers à être pris dans les filets de la police. Entre le 1er janvier et le 13 novembre, les forces de sécurité turques ont arrêté 395 900 étrangers en situation irrégulière, établissant un nouveau record national. Parmi les interpellés, les Syriens, au nombre de 49 100, ne figurent qu’en troisième position, loin derrière les Afghans (176 500) et les Pakistanais (61 400). Le durcissement post-électoral se reflète d’ailleurs dans les statistiques de l’administration des migrants : alors que les interpellations mensuelles ne dépassaient pas le chiffre de 30 000 au niveau national pendant le premier semestre, elles ont été de 49 700 en juillet, 55 500 en août, 67 300 en septembre, 60 500 en octobre.

Face aux difficultés du quotidien et à la menace constante d’une interpellation, certains Syriens ont fait le choix d’un retour dont la nature volontaire est discutable. Après six ans passés en Turquie, Rachid, un cordonnier quadragénaire originaire d’Alep, a ainsi pris place avec 200 compatriotes, début novembre, dans un convoi affrété par la mairie d’arrondissement d’Esenyurt, une lointaine banlieue d’Istanbul. « J’avais du travail, ici, mais je ne suis pas enregistré à Istanbul. Ils veulent m’envoyer à Adana, mais je n’ai rien à faire là-bas, je ne connais personne. Alors, autant rentrer en Syrie », explique le réfugié au milieu des ballots et des adieux déchirants. L’homme, qui emmène avec lui son épouse et ses quatre enfants, veut croire que le calme est revenu dans le quartier aleppin où il habitait. Sans en être tout à fait convaincu. Comme lui, quelque 365 000 Syriens ont « choisi » de quitter la Turquie pour rentrer au pays.

 

 


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