Source : La Cimade - lettre premier ministre - 24/4/2020

Avec les organisations majeures du monde associatif, La Cimade s’est adressée hier au Premier ministre pour défendre la liberté d’expression attaquée par le nouveau marché sur l’intervention associative en rétention.

Paris le 23 avril 2020

Monsieur le Premier ministre,

La politique migratoire que vous menez a-t-elle besoin de s’entourer de silence ? N’est-il pas essentiel qu’elle soit au contraire soumise à la transparence, à l’examen et à l’interpellation citoyenne et au regard critique des organisations de la société civile ?

La récente ouverture par l’administration du marché de l’accompagnement juridique des personnes étrangères enfermées dans les centres de rétention administrative semble pourtant marquée par cette volonté de silence.

Alors même qu’il s’agit d’un droit fondamental garanti par la Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme, le ministère de l’intérieur a supprimé, dans le nouveau marché, les clauses qui garantissaient explicitement la liberté d’expression et de témoignage sur les situations vécues par les personnes enfermées. Il a durci les clauses de confidentialité et de discrétion. N’est ainsi plus garantie la possibilité de rendre publiques, avec l’accord de la personne retenue et dans le respect de sa vie privée, les informations sur une situation individuelle. Alors que dans le même temps le ministère sanctionne financièrement très lourdement la diffusion de données à caractère personnel ! Enfin, il se donne la possibilité de retirer l’agrément sans motif et sans délai à toute personne salariée d’une association intervenante.

Or, les personnes qui sont enfermées en rétention le sont sur décision administrative — jusqu’à 90 jours, dans la promiscuité et des tensions connues — et il s’agit d’hommes, de femmes, de familles, d’enfants, de personnes malades, et souvent vulnérables. Elles sont enfermées dans des lieux oppressants, dont l’existence même est méconnue par la plupart, difficiles d’accès, marqués par un contexte de tensions extrêmes.

Il est essentiel de faire entendre la parole de ces personnes fragilisées, et de témoigner de ce qu’elles vivent, de rendre compte des procédures administratives très complexes qui les concernent, des conditions de restriction de liberté qui les frappent et de l’expulsion qui les attend, mais aussi des procédures mises en œuvre pour faire valoir leurs droits et parfois des raisons de leur remise en liberté.

Réduire au silence les associations qui interviennent auprès de ces personnes serait une atteinte grave à leurs droits et à la liberté d’expression et de témoignage des associations alors même que ce droit est garanti par la Charte d’engagements réciproques entre l’État, le mouvement associatif et les collectivités territoriales signée par un de vos prédécesseurs le 14 février 2014 qui indique en son article II : « L’État et les collectivités territoriales reconnaissent aux associations une fonction d’interpellation indispensable au fonctionnement de la démocratie. »

La liberté d’expression et d’interpellation est un bloc indivisible. Interdire aujourd’hui de témoigner de ce que vivent les personnes étrangères en centre de rétention, ce serait comme interdire demain de témoigner de ce que vivent les personnes en prison, les malades dans les hôpitaux, les personnes à la rue. Cette liberté est un pilier des libertés civiques, garant de la transparence de la vie démocratique, de la responsabilité et de la redevabilité des pouvoirs publics et des autorités administratives auprès de l’opinion. Dans le contexte épidémique actuel, nos organisations se mobilisent. Elles restent convaincues que le regard extérieur des associations est essentiel pour la protection de la santé publique et le respect des droits de tous.

Monsieur le Premier ministre, nous vous demandons d’exercer votre autorité pour que soit garantie la liberté d’expression et de témoignage des associations intervenantes dans les centres de rétention administrative, comme doit être préservée celle de l’ensemble des associations et organisations de la société civile chargées d’une mission d’intérêt général.

 Liste des signataires :
ACAT
ADDE
Amnesty International France
Anafé
ATD Quart Monde
La Cimade
CCFD – Terre Solidaire
Comede
Emmaüs France
Fédération des Acteurs de la Solidarité
FASTI
GISTI
LDH
MDM
MRAP
Observatoire Citoyen du Centre de rétention de Palaiseau
Observatoire de l’enfermement des étrangers
Secours Islamique France
Syndicat des Avocats de France
Syndicat Magistrature
UNIOPSS

Communiqué de presse – 24 avril 2020

Centres de rétention : la liberté d’expression des associations menacée

Après la publication du nouveau marché public sur l’intervention associative en centre de rétention, 20 organisations interpellent le Premier ministre pour défendre la liberté d’expression, un droit fondamental garanti par la Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme.

20 organisations ont adressé un courrier à Edouard Philippe le 23 avril pour lui demander d’exercer son autorité et que soit ainsi garantie la liberté d’expression et de témoignage des associations intervenantes dans les centres de rétention administrative (CRA).

En effet, à l’occasion de la publication du nouveau marché public de l’accompagnement juridique des personnes étrangères enfermées dans les CRA, La Cimade a relevé que le ministère de l’intérieur semble vouloir réduire au silence toute expression des associations. Les clauses qui garantissaient explicitement la liberté d’expression et de témoignage sur les situations vécues par les personnes enfermées ont été supprimées dans la dernière version de la Place Beauvau. Et les clauses de confidentialité et de discrétion ont elles aussi été durcies. Enfin, de lourdes sanctions financières et la suppression de l’agrément d’un·e salarié·e sans motif ni délai sont prévues dans le nouveau dispositif.

La situation en centre de rétention est méconnue, l’accès des journalistes très complexe et il repose notamment sur la bonne volonté de l’administration. Il est donc essentiel de garantir sans restriction la liberté d’expression des associations qui interviennent en CRA. Réduire au silence les associations serait une atteinte grave à leurs droits et à la liberté d’expression et de témoignage, alors même que ce droit fondamental est garanti par la Constitution et la Convention européenne des droits de l’homme, mais aussi par la Charte d’engagements réciproques entre l’État, le mouvement associatif et les collectivités territoriales.

La Cimade est présente en centre de rétention depuis leur création en 1984. C’est à la demande du Gouvernement de l’époque qu’elle a débuté une mission d’accompagnement, d’abord social, puis juridique, des personnes étrangères privées de liberté. Elle a dès le début activement contribué à la diffusion de statistiques, d’informations et de témoignages sur les situations vécues en rétention, notamment par la publication d’un rapport annuel. En 36 ans, la mission de La Cimade a été plusieurs fois menacée. Dans ce nouvel épisode 20 organisations majeures du monde associatif témoignent de leur attachement à la liberté d’expression, en particulier dans ces lieux de privation de liberté que sont les CRA. Il appartient désormais au Premier ministre d’apporter des garanties pour qu’elle soit pleinement assurée..