Source : Le monde - Marina Rafenberg - 10/10/2020

Après l’incendie du camp de Moria, deux sites réservés aux réfugiés les plus vulnérables doivent fermer d’ici à la fin octobre en Grèce, pour ne laisser sur l’île qu’un seul lieu d’hébergement.

Depuis la destruction du camp de Moria par le feu, début septembre, les conditions d’accueil des réfugiés sur l’île grecque de Lesbos suscitent confusion et tensions. Dernier sujet de polémique en date : l’annonce de la fermeture d’ici à la fin octobre de deux lieux d’hébergements des migrants les plus vulnérables, révélatrice de la volonté des autorités de profiter de la catastrophe − qui a laissé 13 000 migrants sans abri − pour tenter de décourager les arrivées.

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Principale victime de ce nouveau tour de vis, le centre Pikpa. Cette ancienne colonie de vacances abandonnée, à 7 kilomètres de Mytilène, la capitale de l’île, a accueilli plus de 30 000 réfugiés depuis 2012, essentiellement des femmes seules avec enfants, des personnes à mobilité réduite, des membres de la communauté LGBT et des mineurs non accompagnés.

« Nous avons appris de manière brutale, via un article dans la presse locale, la décision de fermer Pikpa le 15 octobre, relève Quentin Brzustowski, membre de Lesvos Solidarity qui gère ce site avec d’autres ONG. Les hôteliers et les habitants des environs, qui protestent depuis plusieurs années, ont finalement eu gain de cause… Mais aucune solution viable n’est proposée pour ces réfugiés qui demandent des soins particuliers. »

« Accueillir les plus vulnérables »

Actuellement, près de 100 demandeurs d’asile, dont vingt et un mineurs non accompagnés, sont hébergés à Pikpa. Un soutien psychosocial, médical et légal leur est offert. Les enfants ont accès à l’éducation et à diverses activités. « A Moria, où j’ai vécu pendant sept mois, je ne me sentais pas en sécurité. J’ai été plusieurs fois agressé à cause de mon orientation sexuelle, raconte Sharam, un demandeur d’asile iranien. Au centre de Pikpa, j’ai retrouvé un lieu sûr pour me reconstruire, je ne veux pas retourner dans un camp où les bagarres sont quotidiennes et où l’hygiène est déplorable. »

A 10 kilomètres du havre de Pikpa, le camp municipal de Karatepe, qui accueille 1 200 migrants, uniquement des familles, dans des conditions sanitaires correctes, doit lui aussi être démantelé d’ici à la fin octobre, au grand dam des ONG. Grecques comme internationales, 160 d’entre elles ont écrit au ministre de l’immigration, Notis Mitarachi, pour lui demander de revenir sur ces décisions : « Il est important d’avoir des camps comme Pikpa et Karatepe pour accueillir les plus vulnérables, notamment les personnes handicapées qui, par exemple, dans le nouveau camp, ne peuvent pas avoir accès aux toilettes. »

Vue du ciel du camp de réfugiés de Moria après avoir été brûlé, sur l’île de Lesbos (Grèce), le 28 septembre.

D’après Amnesty International, le transfert des résidents des camps de Pikpa et de Karatepe dans le nouveau hotspot (centre d’accueil et d’enregistrement des migrants) les mettrait en « danger » : ce site « n’offre pas les conditions de vie adéquates pour accueillir les personnes qui se trouvent dans des situations de vulnérabilité ».

La mobilisation des humanitaires est d’autant plus forte que, depuis les incendies qui ont ravagé le camp de Moria, ses anciens résidents se sont retrouvés à la rue, puis ont été transférés quelques jours plus tard dans un nouveau camp, construit à la hâte sur un site de tir militaire non loin du village de Panagiouda. Mais, déjà, les ONG dénoncent la construction d’un « Moria 2 ». D’après l’association Refugee Support Aegean, seule une centaine de toilettes de chantier a été installée, les douches et l’eau courante manquent toujours, la nourriture n’est distribuée qu’une fois par jour.

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« Criminalisation des ONG »

La fermeture imminente du centre Pikpa et du camp de Karatepe répond à « une demande des autorités locales et à la logique de limiter l’impact de la crise migratoire sur les populations exténuées », justifie le ministère grec de l’immigration. La municipalité de Mytilène avait en effet demandé en septembre au gouvernement conservateur de Kyriakos Mitsotakis « la fermeture des autres structures sur l’île et la fin du programme d’accueil des réfugiés dans des appartements [nommé Estia, géré jusqu’à présent par le HCR avec des fonds européens ] ».

Depuis 2019, le gouvernement grec fait face à la fronde des insulaires qui s’opposent à la construction de nouveaux camps fermés et demandent le désengorgement de Lesbos. Le ministère de l’immigration a ainsi commencé le transfert, la semaine dernière, de 2 500 réfugiés vers le continent.

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« Le feu de Moria a finalement servi d’aubaine pour le gouvernement qui a mis son plan à exécution dans l’urgence, sans trop d’opposition, estime Panayote Dimitras, de l’Observatoire grec des accords d’Helsinki. Parallèlement, Athènes continue sa politique pour rendre la vie des réfugiés de plus en plus difficile. Leur logique est de dissuader ceux qui se trouveraient de l’autre côté de la rive, en Turquie. Mais cette tactique, qui avait été mise en place avec le camp de Moria, n’a que peu fonctionné jusqu’à présent… Les flux n’ont jamais été totalement arrêtés. »

Panayote Dimitras s’indigne également de la tentative de « criminalisation des ONG » présentes à Lesbos. Fin septembre, trente-cinq travailleurs d’ONG ont été suspectés par la police d’avoir renseigné des migrants sur les positions des gardes-côtes ainsi que des passeurs sur des lieux d’accostage sur l’île. « Il s’agit d’une préenquête menée par la police qui n’a apporté aucune preuve crédible, mais les autorités et les médias ont largement relayé l’information, commente Panayote Dimitras. Qui plus est, c’est étonnant que les ONG accusées soient celles qui ont dénoncé avec le plus de véhémence, ces derniers mois, les refoulements par les gardes-côtes grecs de migrants vers la Turquie. »