Source : Médiapart - NEJMA BRAHIM ET TOMAS STATIUS - 5/11/2020

Mediapart a pu consulter les dossiers de plusieurs réfugiés issus de la communauté tchétchène concernés par une procédure de retrait d’asile, qui se fait le plus souvent sur la base de « notes blanches » transmises par les services de renseignement.

«C’est quelque chose d’assez récent, je n’en avais jamais entendu parler auparavant », note Pascale Chaudot, présidente du comité Tchétchénie. Créée au début de la seconde guerre russo-tchétchène à la fin des années 1990, la structure, transformée ensuite en association, constate depuis quelques années une hausse du nombre de Tchétchènes concernés par une procédure de retrait d’asile initiée par l’office français chargé d’attribuer le statut de réfugié.

« Le premier cas que nous avons eu à suivre date de 2015. Depuis, j’ai dû accompagner une bonne dizaine de personnes, poursuit-elle, ajoutant que les hommes sont davantage touchés par cette procédure. Ce qui est étonnant, c’est qu’il n’y avait eu aucun drame impliquant des Tchétchènes au moment où l’OFPRA a commencé à leur retirer le statut de réfugié. »

Tout récemment, un attentat perpétré par un jeune Russe d’origine tchétchène à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines) a conduit à l’assassinat de Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie au collège du Bois d’Aulne. Le terroriste, Abdoullakh Anzorov, était âgé de 18 ans et avait bénéficié, avec le reste de sa famille, du statut de réfugié.

L’OFPRA, qui leur avait initialement refusé l’asile, avait vu sa décision contredite par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), largement montrée du doigt depuis l’attentat, comme le relatait le journal Le Monde jeudi 22 octobre. La présidente de la cour a d’ailleurs choisi de porter plainte à la suite d’injures et de menaces proférées à l'encontre de la CNDA, notamment sur Twitter.

Décision de fin de protection de l'OFPRA pour un réfugié d'origine tchétchène. © NB. Décision de fin de protection de l'OFPRA pour un réfugié d'origine tchétchène. © NB.

« L’OFPRA a la responsabilité, en vertu de la loi, de rejeter les demandes d’asile ou de retirer la protection internationale en cas de menace grave représentée par la présence de la personne concernée sur le territoire national, explique Julien Boucher, directeur général de l’Office. C’est une mission pour laquelle nous sommes très vigilants, notamment parce qu’elle participe de la protection du public contre un certain nombre de menaces graves. »

Dans le cadre de l’examen, l’Office est amené à effectuer des vérifications sécuritaires concernant les personnes qui sollicitent l’asile, en particulier par le biais d’enquêtes administratives de sécurité, que l’on surnomme familièrement des « criblages ». Une fois le statut de réfugié ou la protection subsidiaire accordés (les deux grandes catégories de la protection internationale – ndlr), la loi prévoit la possibilité de retirer ces deux statuts avec des conditions différentes selon le cas : c’est l’article L.711-6 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) qui prévoit le retrait du statut de réfugié, soit lorsqu’il y a une « menace grave pour la sûreté de l’État », soit lorsque la personne a été définitivement condamnée pour une infraction de nature terroriste ou passible au moins de dix ans de prison et représente une menace grave pour la société.

En 2019, selon le rapport d’activité de l’OFPRA, 47 cas étaient concernés par une procédure de fin de protection et 23 par une fin de protection subsidiaire. À titre de comparaison, seuls deux cas de fin de statut étaient enregistrés en 2015, avec une augmentation relativement constante des procédures jusqu’en 2018 pour atteindre 65 cas.

À chaque fois, les ressortissants russes sont surreprésentés dans les graphiques établissant les cessations et retraits de statuts de l’OFPRA, sauf en 2017 où ils arrivent en seconde position derrière les Sri Lankais. En 2019, 24,3 % des personnes concernées par ces procédures étaient russes. « Nous tenons nos statistiques par nationalités et il est donc difficile de dire combien de Tchétchènes sont concernés. Mais ce qui est certain, c’est qu’ils se trouvent dans ce pourcentage puisque ce sont des ressortissants russes », relève Julien Boucher.

Selon Lucie Simon, avocate spécialisée en droit des étrangers et droit pénal, les Tchétchènes seraient de plus en plus nombreux à être concernés par cette procédure de fin de protection. « Je le vois bien à travers les dossiers que j’ai à défendre, mais aussi ceux de mes confrères. » Contactée par Mediapart, la DGSI n’avait pas répondu avant la publication de cet article.

« Des retraits de statut, on en voit depuis l’attentat de Charlie Hebdo. À l’époque, il y a eu une inflation des perquisitions et des enquêtes sur des réfugiés du Caucase, complète Me Roilette, avocate spécialisée en droit pénal et droit international. En ce moment, on doit avoir une dizaine de clients concernés par cette procédure. Pour des cas de terrorisme mais aussi pour des infractions de droit commun. »

Le plus souvent, l’OFPRA entame la procédure de fin de protection à la suite de signalements. « Ils nous sont adressés par l’autorité judiciaire s’il y a eu une condamnation susceptible de justifier l’engagement de la procédure de fin de protection, par les préfets, et par les services du ministère de l’intérieur, y compris les services de renseignement », précise le directeur général de l’Office. Sur la base de ces signalements et si les éléments reçus « paraissent justifier » l’engagement de la procédure, celle-ci est lancée et donne lieu à une procédure contradictoire, « pour assurer le respect des droits ».

« Les éléments qui leur sont communiqués sont entre autres des notes blanches où l’on peut lire que la personne a rencontré Untel à telle date, qu’elle a des liens étroits avec Untel, qu’elle est allée à tel endroit tel jour », énumère Pascale Chaudot, du comité Tchétchénie, qui accompagne actuellement deux hommes d’origine tchétchène concernés par une procédure de fin de statut.

Des notes blanches parfois « peu étayées »

Mediapart a pu consulter différents dossiers permettant de mieux comprendre le schéma de cette procédure. Dans un courrier adressé à Monsieur S. en 2016, l’OFPRA informe le réfugié d’origine tchétchène de sa décision de mettre fin à sa protection, évoquant parmi les éléments portés à sa connaissance une note de la Direction générale des étrangers en France (DGEF) et une note blanche des services de renseignement sur la situation de l’intéressé.

Les notes l’accusent d’être un ancien membre de la rébellion au Caucase du Nord, d’être parti en Syrie et d’avoir intégré un groupe armé de Tchétchènes combattant en zone syro-irakienne lié à l’organisation terroriste de l’État islamique du Caucase (EIC). À son retour en France, Monsieur S. aurait été, selon les notes communiquées à l’OFPRA, « en relation étroite avec des réseaux de financement logistique et financier en direction de l’EIC ».

« La note conclut que Monsieur S. est fortement impliqué dans les réseaux djihadistes radicaux, tant au niveau du soutien logistique et financier que dans l’action sur le terrain et que l’ensemble de ces éléments permet de penser qu’il serait en capacité de constituer un groupe capable de mener une action violente à caractère terroriste sur le territoire national », poursuit l’Office dans son courrier.

Si le principal intéressé a nié toutes ces accusations lors de son entretien à l’OFPRA dans le cadre de la procédure contradictoire prévue par la loi, ses réponses ont été considérées par l’Office comme « évasives et peu convaincantes ». « Des arguments entachés d’un manque de crédibilité qui dénotent une volonté manifeste de dissimulation de son parcours et de ses agissements. » Une seconde note blanche a été adressée à l’Office après l’entretien.

Après un recours devant le tribunal administratif de Melun, celui-ci a choisi de renvoyer l’affaire devant la CNDA. Considérant « qu’il ressort de cette [deuxième] note qu’elle se limite à compléter et à préciser les éléments contenus dans la première note blanche », le juge de l’asile a demandé à la DGSI, par le biais d’une mesure d’instruction, des informations complémentaires sur les éléments contenus dans ces notes.

La décision de fin de protection de l’OFPRA a ensuite été annulée par la cour, qui a tout de même décidé d’exclure Monsieur S. du statut de réfugié en application de l’article 1er de la Convention de Genève. La décision de fin de protection donne généralement lieu à des recours, note le directeur de l’Office. « Ces derniers se font devant la CNDA mais cela peut aller jusqu’au Conseil d’État s’il y a un pourvoi en cassation. » C’est le cas de Monsieur S., qui attend toujours que son cas soit étudié par les juges de la plus haute juridiction administrative française.

Pour Pascale Chaudot, ce type d’accusations par le biais d’une note blanche relève davantage d’une « appréciation globale » que de faits précis. « La loi veut qu’on démontre des raisons sérieuses de considérer que la personne représente une menace. Or, la problématique dans le cas des personnes que j’ai accompagnées, c’est que les notes sont souvent peu étayées. Un jour, lors d’une audience au tribunal administratif pour un recours, le représentant du ministère de l’intérieur a d’ailleurs expliqué qu’il n’avait pas à s’expliquer ou à détailler ces notes, car les enquêtes étaient parfois en cours », assure la présidente du comité Tchétchénie.

Selon elle, les Tchétchènes dont elle a suivi le dossier ne comprennent pas vraiment ce qui leur est reproché et ont du mal, une fois « pointés du doigt » comme étant dangereux, à s’en défaire et à s’en défendre. « C’est un peu insaisissable. » Un autre aspect de la procédure tend à l’inquiéter. Une circulaire d’Interpol, que Mediapart s’est procurée, encourage l’échange d’informations entre pays membres et indique que les notices rouges doivent être consultées pour examiner les demandes d’asile.

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Une circulaire d'Interpol visant à encourager les échanges d'informations entre pays membres pour l'examen des demandes d'asile. © TS

« Ce sont des informations qui émanent d’Interpol, où la Russie est maintenant vice-présidente. Ce n’est déjà pas objectif compte tenu du contentieux entre les autorités russes et les Tchétchènes, et c’est très dangereux de renvoyer une personne à qui l’on a retiré le statut de réfugié avec une ardoise de soupçons de terrorisme sur les épaules. Elle ne sera en sécurité ni en Russie ni en Tchétchénie. » Selon plusieurs sources, les notices rouges seraient aussi utilisées pour l’examen des demandes d’asile, contribuant à des décisions de rejet en tant que motivation.

Interrogé sur la collaboration franco-russe pour l’obtention d’informations pouvant incriminer les réfugiés tchétchènes et l’éventuelle mise en danger de ces derniers, le patron de l’OFPRA n’a pas souhaité réagir.

Le dossier de Monsieur M., un autre réfugié d’origine tchétchène âgé de 56 ans et concerné par une procédure de fin de protection, est tout aussi complexe. Dans le bureau de son cabinet situé à Saint-Mandé (Val-de-Marne), MSimon s’empare de trois épais dossiers dont la couverture est marquée par le nom de ses clients. Celui de Monsieur M. se situe au-dessus de la pile. L’affaire a été ouverte, comme les autres, il y a plus de trois ans.

« Ce dossier a sans doute marqué un tournant vis-à-vis des Tchétchènes. Depuis cet arrêt-là, on perd tous les dossiers ou presque », souligne l’avocate. En 2016, l’OFPRA décide de mettre fin à sa protection, après une assignation à résidence l’année précédente dans le cadre de l’état d’urgence. Monsieur M. avait bénéficié du statut de réfugié en 2010, tout comme son épouse et ses trois enfants.

Après un recours devant la CNDA, qui annule la décision du retrait d’asile, l’OFPRA se pourvoit en cassation devant le Conseil d’État, qui annule cette nouvelle décision et renvoie l’affaire devant la CNDA. Un vrai mille-feuilles, à l’issue duquel le résultat du délibéré, attendu le 28 octobre 2020, a été retardé. « On a toutes les chances de gagner, anticipe MSimon. Lors de la dernière audience, les juges de la CNDA ont dit à l’OFPRA, à propos des notes blanches : “C’est tout ce que vous avez ?” »

À son arrivée en France, Monsieur M. travaille dans une usine en tant que sableur. Mais il perd son emploi lorsqu’il est assigné à résidence. S’il retrouve un travail l’année suivante, il reçoit un courrier de l’OFPRA l’informant de sa convocation à l’Office. L’objet de l’entretien indique que « l’Office envisage de mettre fin à [son] statut de réfugié sur le fondement de l’article L711-6 1 du Ceseda […] ».

« Pour moi, ça a été un choc, se souvient Monsieur M. Je me suis rendu à l’entretien accompagné de mon avocat et il y avait un traducteur. Cela a duré trois heures. » À l’entretien de fin de protection, qui n’est pas « incontournable » comme peut l’être l’entretien pour l’examen d’une demande d’asile selon Julien Boucher, peuvent se substituer des échanges écrits (seule une procédure contradictoire écrite est exigée par la loi – ndlr) permettant à l’intéressé de s’expliquer et d’avancer des preuves de son innocence.

« J’ai essayé de leur faire comprendre que toutes les accusations qu’on me renvoyait (avoir tué des gens, être parti en Syrie, avoir favorisé le transfert de futurs djihadistes là-bas) étaient fausses, indignes et injustifiées. Que je ne suis pas une personne à problèmes. Mais j’ai eu l’impression qu’on ne m’écoutait pas », poursuit le père de famille.

« Toutes les personnes m’ont dit avoir eu le sentiment, en arrivant à l’entretien, que c’était déjà acté. Elles ont préparé un dossier avec des preuves, sont venues avec un avocat, mais ont senti que c’était formel et que leurs explications étaient inutiles », abonde Pascale Chaudot, du comité Tchétchénie.

« Une liste d’arguments infondés s’accumule »

Au fur et à mesure des procédures, son avocate explique avoir « fait tomber » les arguments des notes blanches en apportant des éléments de contestation. Comme cette photo fournie dans une seconde note blanche, montrant un groupe d’hommes armés dont Monsieur M. ferait partie selon les services de renseignement. « En réalité, il s’agissait de son frère. Cela signifie que si nous ne faisons pas le travail de vérification, une liste d’arguments infondés s’accumule à l’encontre de mon client », insiste MSimon.

Parmi les dossiers de Tchétchènes défendus par l’avocate, l’un a été « trié » par le Conseil d’État, qui a rejeté le recours par une ordonnance de tri, jugeant qu'il était infondé. L’autre dossier, quant à lui, est toujours en cours. Des procédures particulièrement longues, donc, et qui ne manquent pas de plonger les intéressés dans un avenir incertain.

Entre-deux administratif et précarité

Car même lorsque le retrait de statut est définitivement prononcé, rares sont les cas où la procédure mène à une mesure d’éloignement vers le pays d’origine. Dans l’un des dossiers consultés par Mediapart, une demande d’extradition d’un ressortissant tchétchène a été formulée par les autorités russes et motivée par une accusation d’homicide… La juridiction saisie – la cour d’appel de Colmar – a refusé de l’extrader, considérant que les éléments russes étaient « peu fiables ».

Dans un jugement du tribunal administratif de Lille concernant un autre Tchétchène à qui le statut de réfugié a été retiré, la juridiction refuse de procéder à l’éloignement du requérant. Les autorités russes ayant collaboré avec la France dans la procédure, le tribunal a estimé que le retour de l’ancien réfugié au pays d’origine serait compliqué et a annulé l’arrêté du préfet fixant la Russie comme pays de destination de la mesure d’éloignement.

En 2019, la cour d’appel de Lyon a eu à traiter le cas d’un ancien réfugié tchétchène concerné par une procédure de retrait d’asile arrivée à son terme en 2016, qui a ensuite fait l’objet d’une demande d’extradition de la part du gouvernement de la Fédération de Russie. Problème : les informations livrées par les autorités russes à son encontre pour justifier de son extradition auraient été inexactes. D’après elles, il se serait rendu en Syrie, alors même qu’il était sous surveillance en France dans le cadre d’un dossier judiciaire. La cour a émis un avis défavorable à la demande d’extradition.

Selon Pascale Chaudot, les Tchétchènes auraient fait l’objet de demandes d’extradition « de façon beaucoup plus fréquente » depuis que la Russie est vice-présidente d’Interpol. « La plupart des personnes à qui le statut de réfugié a été retiré sont restées sur le territoire français, constate la représentante du comité Tchétchénie. Je n’ai vu que deux cas pour lesquels c’est allé jusqu’à l’expulsion, dont un jeune qui s’est retrouvé sans aucun proche une fois renvoyé dans le pays d’origine. »

Le second cas a été extradé « de façon détournée » malgré le veto de la France, en étant d’abord renvoyé en Allemagne, puis expulsé vers la Russie. « C’est encore pire, car dans le cas d’une extradition, l’État qui renvoie la personne doit s’assurer qu’il ne lui arrive rien sur place. Aujourd’hui, ça se passe très mal pour lui : il a été condamné à 17 ans de prison et subit de mauvais traitements. »

Pourquoi donc retirer le statut de réfugié à des personnes supposées dangereuses, représentant une menace pour la sûreté de l’État, si la majorité de ces personnes reste ensuite sur le territoire national ?

« Il semble que ce soit la nouvelle politique de l’OFPRA, estime MSimon. Une sorte de protection doublée d’un aspect très moralisateur, destinée à l’opinion publique en cas de malheur ou de drame, afin qu’on ne puisse pas lui reprocher d’avoir protégé un terroriste. »

L’Office assume la dimension symbolique de la procédure, affirmant que les dispositions appliquées ont vocation à protéger la population contre des risques graves. « La symbolique est très forte, c’est non négligeable. Ne serait-ce que pour cette raison, il est de la responsabilité de l’OFPRA de les appliquer avec vigilance, cette dernière participant à la confiance dans le système et dans l’institution de l’asile », rappelle Julien Boucher, ajoutant que les mesures d’éloignement qui en découlent et qui dépendent des préfets ne doivent pas exposer les anciens réfugiés à des traitements inhumains ou dégradants.

Mais derrière cette procédure se cache aussi la perte de la reconnaissance des difficultés vécues par les intéressés, comme le souligne Pascale Chaudot. « Être placé sous la protection de la France est un symbole fort. Les réfugiés vivent des choses terribles, subissent des persécutions, perdent des proches, et ça n’est pas reconnu dans leur pays. La reconnaissance de l’OFPRA est donc la seule qu’ils ont pu avoir. Retirer cette protection, c’est aussi renier ce qui leur est arrivé. » Plusieurs fois, les Tchétchènes dont elle a suivi le dossier ont verbalisé ce ressenti en lui soufflant, une fois le retrait d’asile prononcé : « Mais je suis vraiment un réfugié ! »

Monsieur M., qui considérait avoir trouvé « une nouvelle patrie » en France, estime que cette procédure est « injuste »« Je me suis senti offensé. Je comprends qu’un État ait intérêt à faire le nécessaire pour lutter contre le terrorisme, mais dans mon cas personnel, vu la façon dont j’ai été traité alors que j’ai prouvé que j’étais incapable de commettre les actes qui m’étaient reprochés, je pense que c’est exagéré. Et je suppose que les services de renseignement russes ne sont pas étrangers à tout ça. »

Dans le même temps, le retrait d’asile plonge les principaux intéressés dans un entre-deux administratif contraignant, ces derniers étant dans l’incapacité de régulariser leur situation auprès de la préfecture pour l’obtention d’un titre de séjour une fois le statut de réfugié retiré. « C’est une zone de non-droit incroyable puisqu’on ne les expulse pas. On crée de la précarité et de la stigmatisation, des éléments qui peuvent justement mener à de la radicalisation », soulève MSimon.

Monsieur M. reconnaît que cette situation a suscité de l’angoisse pour lui et ses proches. Sa carte de séjour, qui arrivait à expiration en juillet 2020 comme celle de son épouse et de ses enfants, n’a pas été renouvelée. « Mon beau-fils a été convoqué à la préfecture en 2018 et s’est entendu dire que nous étions une famille de terroristes, que j’étais un bandit. » Sa fille est la seule à avoir reçu un message de la préfecture dernièrement lui signalant que ses documents étaient prêts.

« Ils sont plongés dans une grande précarité car l’incertitude de pouvoir rester ou non sur le territoire subsiste, complète Pascale Chaudot, du comité Tchétchénie. Sans papiers, ils n’ont plus le droit de travailler. Cela ferme la porte à beaucoup de projets. »

Les attentats perpétrés à Paris, Conflans-Sainte-Honorine et Nice pourraient encore contribuer à la hausse du retrait d’asile concernant les Tchétchènes. Début novembre, le comité Tchétchénie a appris que deux hommes d’origine tchétchène fichés S ont été interpellés en vue d’une expulsion vers la Russie, l’un par arrêté ministériel, l’autre à la suite d’une décision de la préfecture. Ils sont aujourd’hui en centre de rétention administrative (CRA).

« L’un des deux s’était justement vu retirer le statut de réfugié. Le second a vu sa demande d’asile rejetée par l’OFPRA, son avocat va faire un recours. Dans les deux cas, ces personnes contestent leur radicalisation mais encourent un grave danger si elles sont expulsées », alerte la présidente de l’association.

L’affaire de Monsieur M. n’a quant à elle pas souffert de l’actualité récente : la CNDA, dans une décision rendue mercredi 4 novembre, a opté pour le maintien de son statut de réfugié. « Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que les éléments imprécis et non étayés contenus, en particulier, dans les notes blanches des services de renseignement et la note de la DGEF du 18 avril 2016, ne permettent d’établir ni un quelconque engagement en faveur de l’EIC et la qualité de membre actif de cette organisation terroriste qui lui est imputée, ni une implication dans la mouvance djihadiste », estime la cour, ajoutant qu’il ne peut être conclu que « la présence en France de l’intéressé constitue aujourd’hui une menace grave pour la sûreté de l’État ».

Un soulagement pour le principal intéressé et son conseil. « À l'heure où nous basculons dans le droit du soupçon, il est salutaire que la CNDA réaffirme qu’aucune décision de retrait du statut de réfugié ne saurait être prise sans être étayée par des éléments matériels précis, relève MSimon. D’un dossier vide, on a fait quatre ans de procédure. Une période durant laquelle Monsieur M. a vécu avec l’idée qu’il n'aurait plus jamais de papiers, que la France le considérait comme un terroriste. Je me réjouis de cette victoire mais la longueur de la procédure interroge sur le crédit qu’on est prêts à donner à de simples notes blanches corroborées par aucune preuve tangible. »

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