Source : MEMORIAL98 - 3/12/2020

La célébration de Giscard envahit l'espace médiatique. Les hommes politiques de droite et de gauche se bousculent pour célébrer le " modernisateur" du pays. Emmanuel Macron lui rend un hommage dithyrambique.

En réalité, ce conservateur bon teint craignait fortement une nouvelle grande vague sociale équivalente à mai 68.

giscard barre

Il choisit donc de céder du terrain dans le domaine tels que l'âge du vote et les droits des femmes. Dans ce domaine il faisait face à de grandes mobilisations autour du droit à l'IVG: procès de Bobigny, Manifeste de 343 femmes, actions et manifestations du Mouvement pour la liberté de l'avortement et de la contraception.

Mais plusieurs aspects sombres de son bilan sont délibérément passés sous silence.

Le premier est que Giscard tenta de forcer au départ des centaines de milliers d’immigrés algériens dont le séjour en France était parfaitement régulier

500 000 Algériens dans le viseur

Nous sommes au milieu des années 1970. Confrontée, à l’époque, à l’une des premières hausses importantes du chômage, la France a interrompu depuis 1974 l’immigration de nouveaux travailleurs.

Mais Giscard veut aller beaucoup plus loin. À ses yeux, il ne suffit pas de stopper les entrées. Il faut aussi renvoyer les immigrés chez eux pour pouvoir « remplacer, par exemple, les éboueurs étrangers par des éboueurs français », relève l'historien Patrick Weil.

Dans son livre (le Sens de la République, Folio poche), l’historien et politologue revient longuement sur les dessous de la politique migratoire de l’ancien président. Il révèle notamment que, de 1978 à 1980, giscard a tout fait pour essayer d’organiser le retour, de gré ou de force, de plusieurs dizaines de milliers d’Algériens dans leur pays. Choqué par sa découverte dans les archives du Quai d’Orsay, Patrick Weil n’hésite pas à employer le mot de « déportation ».

Dans les premières années de son mandat, VGE met ainsi en place des aides financières "au retour" dans les pays d'origine. Une démarche basée sur le volontariat qui n’aura aucun succès. Alors, en 1978, le président durcit le ton et prône une politique de retour forcé et planifié. Avec en ligne de mire les travailleurs algériens.

En septembre 1978, Lionel Stoleru, alors secrétaire d’État chargé des travailleurs manuels et immigrés, rencontre à Paris l’ambassadeur d’Algérie. Et lui expose l’invraisemblable intention du chef de l’État : organiser le retour forcé de quelque 100 000 Algériens par an pendant cinq ans, soit un total de 500 000 personnes

Des exigences réitérées un mois plus tard lors d’entretiens à Alger. Pour parvenir à ses fins, Valéry Giscard d’Estaing ne recule devant rien. Il envisage de dénoncer les accords de d’Évian de 1962 à la fin de la guerre, qui permettent la libre circulation entre la France et l’Algérie. Mais aussi de changer la législation sur l’immigration pour permettre l’arrêt ou la non-reconduite des titres de séjour de migrants qui vivent pourtant en France depuis parfois plus de vingt ans

« Et les enfants, on en fera quoi ? »

Giscard va devoir rapidement en rabattre sur ses ambitions. Déjà, côté algérien, les autorités refusent toute idée de retours qui ne seraient pas volontaires. Mais surtout, côté français, la réforme des titres de séjour coince au Parlement. Rejetée par l’ensemble de la gauche, elle l’est aussi par les chrétiens-démocrates et certains gaullistes, dont Charles Pasqua pour qui cette mesure met en cause l'héritage de De Gaulle. Cela n'empêchera pas Pasqua de mener plus tard une politique d'alliance avec le FN et une guerre contre le Code de Nationalité

Giscard s’obstine. 

Il fit élaborer un avant-projet de loi visant le non-renouvellement des titres de séjour et de travail. Sa mesure phare : l’instauration de quotas par département. « Ces derniers ont été étudiés pour que les départements hébergeant le plus de Maghrébins aient le taux de renouvellement le plus bas », précise Patrick Weil. Tollé à droite comme à gauche.

Le Conseil d’État recale le texte, mais Giscard s’obstine. Lors d’un conseil restreint à l’Élysée, le 18 décembre 1979, il demande à Jean François-Poncet, son ministre des Affaires étrangères, de négocier au moins avec Alger le retour de 35 000 adultes par an. Dans la marge de ce compte rendu de trois feuillets – dont le service des archives du Quai d’Orsay a confirmé l’existence au journal Jeune Afrique   – Giscard ajoute cette mention manuscrite : « Éviter de parler de quotas d’enfants ».

Séparer des parents de leurs enfants ayant acquis la nationalité française en vertu du droit du sol aurait à coup sûr engendré des drames humains, mais aussi des imbroglios administratifs et une crise diplomatique.

Finalement, confronté à l’opposition de  Simone Veil, de la plupart des membres du gouvernement et du Conseil d’État, Valéry Giscard d’Estaing mettra un terme à son projet en janvier 1980.  De cet épisode giscardien, Patrick Weil retient néanmoins deux choses : « Le projet a été tenté ( par Giscard), mais il y a eu suffisamment de forces dans la société française pour faire prévaloir le principe de liberté et d’égalité. »

Giscard et son ministre Papon, bourreau des Juifs de Bordeaux et des Algériens de Paris.

De 1978 à 1981, Papon est ministre du Budget  dans le gouvernement de Raymond Barre ( voir ci-dessous sur ce dernier) Or Papon était déjà connu comme organisateur du massacre des Algériens de Paris, lors de leur manifestation pacifique du 17 Octobre 1961.

A la veille du deuxième tour de l'élection présidentielle de 1981, le Canard Enchaîné révèla le résultat des recherches du résistant et militant Michel Slitinsky . Elles montrent  que Papon a organisé la déportation de 1600 Juifs de Bordeaux vers Drancy. Papon échappera encore à un procès jusqu'en 1997. Condamné à 10 ans de prison, il sera rapidemment libéré sous le prétexte fallacieux d'un "état grabataire".

Giscard et son premier ministre antisémite Raymond Barre

Raymond Barre et Maurice Papon

Raymond Barre, premier ministre de Giscard de 1976 à 1981, a  multiplié les déclarations antisémites. La plus connue est celle prononcée lors de la tuerie de la synagogue de la rue Copernic le 3 octobre 1980.

 Il avait alors déclaré sur TF1: " « Cet attentat odieux voulait frapper les Israélites qui se rendaient à la synagogue et qui a frappé des Français innocents qui traversaient la rue Copernic »

Mais en réalité cela faisait bien longtemps que Barre était connu pour son antisémitisme. Simone Weil le raconte dans son livre autobiographique " Ma Vie" :

« … Dès 1978, un dérapage verbal en Conseil des ministres avait bien failli mettre le feu aux poudres. Raymond Barre avait évoqué le «lobby juif» dans des termes que j'avais jugés déplacés. Après le Conseil, j'avais déclaré au président qu'en cas de nouvelle sortie de son Premier ministre sur le prétendu «lobby juif», je quitterais aussitôt le gouvernement en disant pourquoi. Giscard était intervenu, et Barre avait ensuite doctement expliqué ce qu'il avait voulu dire; à l'entendre, j'avais mal interprété ses propos.

Deux ans plus tard, après l'attentat de la synagogue de la rue Copernic, sa langue (Barre) avait à nouveau fourché. Alors que son ministre de l'Intérieur, Christian Bonnet, évoquait l'hypothèse d'un coup monté et que le président de la République s'abstenait de toute déclaration, Raymond Barre avait déploré la mort, à côté de juifs, de « Français innocents»… »

Barre a défendu Papon lors de son procès mais aussi le dirigeant du FN Bruno Gollnisch.  Il  a ensuite maintenu jusqu'à sa mort un antisémitisme constant.  Cela n'a pas empêché de multiples louanges après son décès. Fillon, Sarkozy Bayrou à droite mais aussi certains  dirigeants socialistes qui  en rajoutaient dans la flagornerie, tels Jacques Delors, Michel Rocard et le maire de Lyon, Gérard Collomb.

Giscard fait affaire avec Jean-Marie Le Pen et lui délivre une attestation de non-antisémitisme

En 1987, six ans après sa défaite présidentielle,  Giscard  est candidat à la présidence de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale. Il déclare, au cours de l'émission " Face au public " du lundi 23 février 1987  sur France-Inter, " qu'il est bien évident que le Front national préfère apporter ses voix à la majorité qu'à l'opposition de gauche... " et que par conséquent " il n'y a rien de dirimant contre le fait que nous apportions éventuellement nos voix à M. Giscard d'Estaing ".

Le président du Front national a rappelé que dès octobre 1986 la candidature à ce poste  de l'ancien président de la République lui était apparue " comme quelque chose d'assez logique ". Une logique que M. Le Pen s'était cependant de réevaluer après le passage de Giscard à " L'heure de vérité " du 11 février 1987 . Interrogé au cours de cette émission sur une éventuelle alliance de la majorité avec le Front national, l'ancien président avait déclaré " qu'en ce qui concerne l'extrême droite, il y a deux choses que nous devons rejeter catégoriquement : l'antisémitisme et le racisme ".

Fallait-il comprendre que le député du Puy-de-Dôme assimilait le Front national à l'extrême droite ? Au surlendemain de cette émission,  Le Pen écrivait à Giscard pour lui préciser qu'il serait " heureux " s'il pouvait confirmer " que telle n'a pas été [sa] pensée et [qu'il] considère que le mouvement [qu'il] préside est respectueux des règles démocratiques et des valeurs nationales ".

 Giscard d'Estaing s'est empressé de se plier aux exigences du dirigeant fasciste. Le 20 février 1987, l'ancien président fait porter une lettre au domicile de  Le Pen " J'ai marqué, dans ma réponse, explique  Giscard , la différence entre l'extrême droite traditionnelle et votre parti (Front national) quand j'ai dit qu'il recueillait aujourd'hui des voix venant d'autres horizons politiques. Comme vous le savez, je cherche en ce qui me concerne à élargir le consensus entre les Français, c'est pourquoi je me félicite chaque fois qu'un des partis démocratiques représenté au Parlement, comme c'est le cas du vôtre, condamne le racisme et l'antisémitisme... Ces sujets peuvent être ainsi bannis de notre débat politique... " Quelques mois plus tard  le " non-antisémite" Jean-Marie Le Pen déclarait sur RTL le 13 septembre 1987:  "les chambres à gaz  sont un détail de l'Histoire". Il ne cessera  plus de répéter ce propos.

On comprend dès lors que le même Jean-Marie Le Pen salue aujourd'hui sur son compte Twitter la mémoire de Giscard et sa "non-déloyauté" à l'égard du Front National.

 
Contrairement à Chirac, Valéry Giscard d'Estaing ne fut jamais déloyal à l'égard de la droite nationale. Son prisme de gauche nous opposait sur des sujets majeurs aux conséquences néfastes. Je salue cependant sa mémoire avec une forme de nostalgie.

Le bilan de Giscard est ainsi entièrement négatif dans le domaine du racisme et de l'antisémitisme, sans compter son refus d'abolir la peine de mort et de gracier des condamnés à mort.

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