FINI DE RIRE | 09 FÉVRIER 2014

A Calais, à Lille, à Rennes, à Quimper ou ailleurs, des migrants sont en danger: empêchés de quitter le pays pour trouver du travail de l'autre côté de la frontière, empêchés de continuer à vivre là où ils ont commencé à s'enraciner. L'application rigoureuse de lois obsolètes fait son œuvre. Bribes d'une chronique du début de 2014.

Le législateur n'a rien vu de l'évolution des migrations; il ne voit rien du foisonnement des projets de vie des étrangers avec qui il voisine. L'application d'une loi inadaptée à la réalité, ne peut que provoquer le sentiment d'être débordé par une "invasion"; et sa répression.

Rennes, 23 janvier 2014. Après plus de 8 mois d'occupation, les 150 migrants qui occupaient l'église Saint Marc ont été évacués mardi 14 janvier. Grâce au soutien du secours-catholique, 92 personnes ont été relogées par le préfecture d'Ille et Vilaine jusqu'à la fin mars pour les personnes sans enfants, et jusqu'à la fin juin pour les familles avec enfants scolarisés. Exclues de ce dispositif, deux familles roumaines se sont vu proposer uniquement une nuit à l'hôtel, à condition qu'elles acceptent de se présenter dès le lendemain à l'OFII pour le retour volontaire en Roumanie...Offre légitimement déclinée, ces familles étant en France depuis plusieurs années. Ces deux familles sont aujourd'hui à la rue avec 3 jeunes enfants. C'est le cas aussi de quelques autres migrants, craignant une expulsion du territoire, qui ont refusé les conditions proposées par la préfecture. En soutien à un Un Toit c'est Un Droit, la coordination solidaire des moyens humains et matériels du Secours Catholique, du Secours populaire et de la Communauté Emmaus, ont permis une évacuation dans des conditions dignes sans intervention des forces de l'ordre. Dix jours après la fermeture du squat de Saint Marc, le secours-catholique avec le CCFD/Terre solidaire et Un Toit c'est Un Droit continuent d'accompagner les migrants face à leurs nouvelles difficultés : déplacements, scolarisation, cuisine à l'hôtel, réception du courrier...Des aménagements restent possibles par la préfecture.

Lille, 29 janvier 2014. Les travailleurs du comité des sans-papiers du Nord (CSP59) continuent désespérépent à se battre pour leur régularisation. Il y a un an, le 13 janvier 2013, ils suspendaient une grève de la faim de 77 jours. Le préfet avait alors laissé entrevoir une forme d’assouplissement dans le traitement des dossiers de régularisations. Le 29 janvier 2014 à 15h45 ils ont occupé l'agence régionale d'Air France. Ils, elles revendiquent la libération de leurs camarades ex-grévistes de la faim détenus au CRA de Lesquin en vue de leur expulsion, leur régularisation ainsi que le respect des engagements pris par le préfet lors de la grève de la faim de 2012/2013. Après plus d’une heure trente d’occupation, les sans-papiers ont quitté les lieux sans qu’il y ait eu besoin d’avoir recours à la force publique. "C’est le début d’une nouvelle campagne. Tout ça ne fait que commencer". Le comité des sans-papiers veut ainsi alerter l’opinion publique : il y a eu deux expulsions en quelques semaines, un Gambien et un Algérien. "Les gens sont déterminés. On fera quelque chose de plus important que la grève de la faim de la dernière fois. On ira jusqu’à la mort".

Rennes, 3 février 2014. Après six ans de présence en France et plusieurs déménagements, la famille Stepanian continue d'être pourchassée par la police aux frontières (PAF). Natalia et Sarkis ont fui leur pays, la Russie, en 2008 pour échapper aux agressions racistes et aux menaces de mort qui pesaient sur eux du fait de leurs origines ethniques (géorgienne et arménienne), et protéger leurs futurs enfants de la violence dont ils ont été quotidiennement témoins et victimes. Leur demande d'asile a cependant été rejetée. Ils ont ensuite multiplié les démarches pour tenter de régulariser leur situation, sans succès. Natalia, linguiste, a rapidement appris le français, et elle poursuit actuellement des études d'allemand. Sarkis, technicien prothésiste dentaire, s'est vu refuser le droit au travail, malgré plusieurs promesses d'embauche. Il travaille bénévolement au Restaurant du Cœur depuis décembre 2012. Leur fils Stephan est né en 2009 à Châlons-en-Champagne, il va à l’école comme tous les enfants de son âge. Tous sont à tout moment sous la menace d'une expulsion avec interdiction de revenir en France pendant deux ans. C'est la procédure. La police a déjà tenté de les interpeller à leur domicile le 12 novembre 2013, mais trouvant porte close, ils ont attrapé le père de famille qui rentrait d'une journée de bénévolat au resto du cœur. Libéré quelques heures plus tard, il a dû fournir à la PAF les documents permettant leur expulsion vers l'Arménie. La famille a ensuite déménagé pour échapper à cette expulsion. Lundi 3 février, la PAF est allée dans l'agence immobilière qui louait l'appartement à la famille Stepanian pour obtenir leur nouvelle adresse. Ils ont annoncé qu'ils cherchaient la famille "pour les emmener à l'aéroport". Dès le lendemain la PAF débarquait à leur nouveau domicile. Nouvel échec. Nouveau déménagement. Cachés chez des amis, Stephan et ses parents doivent à nouveau fuir. La responsable de l'agence immobilière est convoquée à la PAF. Les parents d'élèves de l'école de Stephan soutiennent la famille et organisent la mobilisation.

Calais, 4 février 2014. Le passage vers la Grande-Bretagne depuis Calais est toujours aussi périlleux, et ceux qui attendent la bonne occasion sont toujours autant persécutés. Le 4 février, une vingtaine d’exilés, principalement Syriens, Égyptiens et Afghans, avaient tenté d’occuper la passerelle piétonne du port, sur les traces de l’occupation des Syriens en octobre 2013, qui avait duré trois jours. Cette fois la sécurité du port et la police ne se sont pas laissés surprendre. Les exilés et leurs soutiens associatifs avaient manifesté une heure et demie devant le port puis s’étaient dispersés. Cette manifestation faisait suite à la mort de deux exilés en moins d’une semaine, mais réagissait aussi aux conditions de vie et au harcèlement policier. Il y a eu une nouvelle manifestation le 8 février; une quarantaine d’exilés, Syriens, Égyptiens, Kurdes, Afghans, mais aussi Soudanais et Érythréens, et leurs soutiens, ont parcouru la ville du lieu de distribution des repas au théâtre et retour. Leurs slogans portaient principalement sur des conditions de vie dignes, la liberté de circulation, la liberté tout court, l’union entre les exilés de toutes origines. Ils semblent vouloir continuer leur mouvement.

Quimper, 6 février 2014. Un jeune Tunisien d'une vingtaine d'années a été arrêté à Quimper dans la nuit du 5 au 6 février et mis en rétention pour être expulsé. Il devait se marier le surlendemain, 8 février, tout était prêt pour la fête ; la fiancée, enceinte de plusieurs mois est désespérée. Les arrestations avant mariage ne sont pas rares à Quimper ; les policiers avaient même; pendant un temps, pris l'habitude d'aller noter les noms à consonance "exotique" à l'occasion des publications de bans à la mairie.

Martine et Jean-Claude Vernier