Source : Le monde - Pierre Terraz - 10/12/2021

La chercheuse à l’INED Pascale Dietrich-Ragon estime, dans un entretien au « Monde », que les déplacements vers la banlieue parisienne viennent aussi du fait que l’Etat ne prend pas le problème du mal-logement à la racine.

Les travaux de Pascale Dietrich-Ragon, chercheuse en sociologie à l’Institut national d’études démographiques (INED), portent sur les inégalités de logement, la vulnérabilité résidentielle et les conditions de vie des catégories populaires. Elle a travaillé sur le logement insalubre, dont les squats, ainsi que sur les demandeurs de logements sociaux et les sans-domicile. Elle a notamment publié Le Logement intolérable (PUF, 2011).

Les migrants font-ils partie de la population traditionnelle des squats en France ?

Dès le début des années 2000, et probablement avant, certains squats étaient déjà occupés par des personnes d’origine africaine. Parallèlement, il y a eu une augmentation de la part des migrants dans la population sans domicile : en 2001, la part d’étrangers y était de 38 % ; en 2012, elle atteignait déjà les 53 %. Globalement, les portes d’entrée dans la ville pour les populations migrantes sont l’hébergement par des tiers (famille, amis), les foyers, les hôtels, les centres d’hébergement, les squats, et la rue. Parmi ces solutions, le squat est aujourd’hui valorisé, car il permet une certaine liberté : on peut y inviter qui on veut, organiser l’espace comme on le souhaite. On y trouve aussi une forme d’ancrage, certes très précaire, mais qui contraste avec l’hébergement par les institutions : les occupants ne sont pas déplacés de foyer en foyer, ce qui garantit une vie plus stable, la possibilité d’avoir une vie de famille. Ce qui semble nouveau, en revanche, est le déplacement des squats vers les banlieues. La politique de résorption de l’habitat insalubre menée dans la capitale (depuis le plan de résorption du logement dégradé, mis en place à Paris en 2002), conjointement à la saturation des dispositifs d’accueil et au démantèlement systématique des campements, fait qu’il n’y a plus d’interstices pour se loger dans Paris.

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Pourrait-il aussi s’agir d’une politique d’exclusion volontaire pour « préserver » Paris ?

Bien sûr, Paris est en rivalité avec les autres villes globales et doit répondre à un impératif de conservation de son image muséale en faisant disparaître l’insalubrité la plus visible, qui nuit à sa production politique et touristique. Par ailleurs, la Mairie de Paris fait aussi face à l’enjeu politique de ne pas porter la responsabilité des drames potentiels qui auraient lieu dans des locaux inadaptés à l’habitat et dangereux. Mais je ne crois pas pour autant que le déplacement des squats en banlieue découle d’une volonté d’exclusion. Cela vient plutôt du fait que l’Etat ne prend pas le problème à la racine : le mal-logement, en France, est surtout la conséquence de politiques économiques qui sécrètent de la précarité, des inégalités, et qui ne prennent toujours pas en compte la question de l’immigration.

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Le déplacement des squats en banlieue est-il un problème pour l’intégration des personnes qui y vivent ?

Les squats en banlieue perdent sur tous les tableaux. D’abord, il est extrêmement difficile de quantifier le phénomène : beaucoup d’immeubles occupés passent sous les radars, et les gens qui y vivent se retrouvent dans des conditions de précarité qui perdurent très longtemps. J’ai rencontré des Maghrébins qui vivaient dans des bâtiments inadaptés depuis plus de vingt ans ! D’autre part, l’éloignement des squats prive ses occupants des nombreux avantages qu’offre la centralité, pour une population qui peut être « désorientée ». Il y a un double enjeu, parfois contradictoire, de visibilité et de respectabilité. Tant qu’ils restent invisibles, en banlieue notamment, les occupants savent qu’ils ne seront pas pris en charge par les pouvoirs publics. Mais ils veulent quand même rester discrets pour que les squats aient l’air d’immeubles comme les autres : l’objectif est de se fondre dans la ville, pour être acceptés par la population. Enfin, ils fonctionnent souvent selon un mode de regroupement communautaire, qui ne facilite pas l’intégration. Il s’agit généralement d’un mélange d’entraide et d’exploitation : il faut connaître quelqu’un partageant son origine ou son statut social pour y obtenir une place, et payer pour entrer dans les locaux. Cela change sans doute aujourd’hui, avec l’encadrement des squats par des associations, mais ça a longtemps été le cas.