Source : InfoMigrants - Maïa Courtois - 09/08/2022

Agents du Home Office peu formés, hébergements inadéquats, manque de suivi et de soutien financier sur le long terme... Dans un rapport paru début août, les branches britanniques de la Croix-Rouge et du Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) épinglent le manque de protection des migrants face aux risques d'exploitation, étroitement liés aux lacunes du système d'asile.

Le système de demande d'asile actuel au Royaume-Uni "ne protège pas les personnes vulnérables et les expose involontairement à un risque d'exploitation", affirme Zoë Abrams, directrice exécutive de la Croix-Rouge britannique, au sujet du rapport co-produit avec le HCR et paru début août.

Dans ce document, les deux organisations mettent en lumière "la formation inadéquate des fonctionnaires, des retards dans la prise de décision, des logements insalubres et un soutien insuffisant". Autant de facteurs qui aggravent la vulnérabilité des demandeurs d'asile face aux phénomènes d'esclavage moderne.

Les organisations craignent désormais que les changements législatifs introduits par le Nouveau plan pour l'immigration (New plan for immigration) et la Loi de 2022 sur la nationalité et les frontières (Nationality and Border Act 2022) augmentent encore ces risques d'exploitation.

Deux fois plus d'Érythréens victimes de traite

Il existe un mécanisme de référencement national des victimes d'esclavage moderne ou de traite au Royaume-Uni. Celui-ci est utilisé par les agents du Home Office (équivalent du ministère de l'Intérieur) depuis 2009, en réponse à une obligation européenne. Ce système concerne autant les situations d'exploitation présentes que passées. Il est plus connu sous l'abréviation de NRM (National Referral Mechanism).

En 2021, grâce au NRM, 12 727 personnes ont été repérées et suivies par les autorités en tant que victimes potentielles de la traite. Parmi elles, on compte des personnes nées au Royaume-Uni et des personnes exilées. Le Home Office publie peu de données sur le NRM. On sait cependant qu'on compte 77 % d'hommes et 23 % de femmes parmi ces victimes. 50% d'entre elles ont été exploitées à l'âge adulte et 43 % dans leur enfance.

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Les personnes issues du Royaume-Uni, d'Albanie et du Vietnam sont majoritaires. On retrouve aussi "un nombre important" de migrants d'Érythrée, du Soudan, d'Iran, de Roumanie, d'Irak et d'Afghanistan. Le nombre d'exilés originaires d'Érythrée et victimes de la traite, par exemple, a doublé entre 2020 et 2021.

Mais le recensement dans le NRM ne suffit pas. "Nous constatons que des femmes sont identifiées comme potentiellement victimes de la traite lors de nos entretiens, elles sont référées au NRM, mais, ensuite, personne ne prend contact avec elles", déplore un agent cité dans le rapport de la Croix-Rouge et du HCR.

"On vous montre qu'on ne vous croit pas"

Le manque de formation des agents fait que les gens "se sentent souvent incapables de divulguer leurs expériences", juge le HCR. Le rapport pointe le peu de relations entre le Home Office et d'autres organisations travaillant sur l'esclavage moderne.

Plusieurs personnes interrogées expliquent ne pas s'être senties à l'aise dans l'environnement où elles passaient leur entretien de demande d'asile. C'est le cas de Nabila*, une ancienne victime de traite, qui témoigne dans le rapport de sa mauvaise expérience au fil des entretiens avec le Home Office. "On vous dit : pourquoi ne vous êtes-vous pas échappée à ce moment-là ? Pourquoi vous avez attendu ce moment pour venir ? Et on vous montre qu'on ne vous croit pas [...] Je me suis mise à penser que ce serait mieux de retourner là où j'étais auparavant."

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Or, le moment du dépôt de la demande d'asile est celui où les migrants font face à de "hauts risques" de se retrouver en situation d'esclavage moderne. "Ils ont peu de liens avec la communauté, n'ont pas de repères et sont extrêmement vulnérables. Au début, ils sont souvent sans-abri, donc ils font face à beaucoup de difficultés", analyse un fonctionnaire. Le rapport cite le cas d'un groupe de femmes albanaises, prises au piège d'un système de traite dès leur arrivée, après qu'un homme de leur communauté leur eut proposé un hébergement et de la nourriture.

Des hébergements loin d'être adaptés

Lorsque les demandeurs d'asile accèdent aux hébergements officiels de l'État, ces derniers offrent peu de garantie d'accompagnement. Au-delà de l'insalubrité des lieux, les personnes potentiellement victimes n'y sont pas assez suivies. Pire, les demandeurs d'asile sont parfois placés "dans des hébergements proches, voire avec les personnes qui constituent un risque pour eux", pointe le rapport. Cela concerne tout particulièrement les femmes.

"Nous étions logées dans un immeuble à côté d'une station-service. Je savais qu'il y avait beaucoup de victimes de la traite là-bas… Certaines ont commencé à y travailler", témoigne ainsi une ancienne victime de traite.

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Le cas de Mohammed Camara, un Ivoirien de 26 ans, arrivé au Royaume-Uni en juin 2020, après avoir été torturé en Côte d'Ivoire et en Libye, avait attiré l'attention médiatique sur ce problème. Placé par les autorités dans un hôtel situé dans le nord de Londres, il se plaignait de douleurs constantes et allait demander quotidiennement de l'aide aux employés de son hôtel, géré par une entreprise mandatée par l'État. Mais "on lui a dit qu'il ne pouvait pas aller à l'hôpital ou chez un médecin", commente un témoin interrogé par The Guardian. En novembre 2020, le jeune Ivoirien a été retrouvé mort d'un arrêt cardiaque dans sa chambre.

Selon l'avocat de la famille, les services du Home Office n'avaient pas informé le personnel de l'hôtel que Mohammed Camara nécessitait une attention particulière. Or, l'homme avait été identifié par les autorités comme étant une victime potentielle d'esclavage moderne. Selon la procédure en vigueur, il aurait dû être suivi de près.

"Permettre aux gens de commencer à reconstruire leur vie le plus rapidement possible"

En dernier lieu, le HCR et la Croix-Rouge estiment que "les décisions doivent être prises dans un délai raisonnable pour éviter des retards inutiles et permettre aux gens de commencer à reconstruire leur vie le plus rapidement possible". Le rapport cite le cas d'Anita*, reconnue comme victime d'esclavage moderne, mais qui a pourtant dû attendre quatre ans avant que sa demande d'asile ne soit traitée et acceptée.

De même, après l'obtention de la protection internationale, l'aide de l'État doit se poursuivre plus solidement pour les personnes les plus fragiles, estiment les organisations. Celles-ci promeuvent "un soutien plus rapide aux personnes après qu'elles ont obtenu une décision d'asile positive pour les aider à accéder à un logement et à une aide financière".

À l'heure actuelle, la période de soutien n'est que de 28 jours. Passé ce délai, le Home Office ne délivre plus aucune aide de quelque nature que ce soit. Un délai insuffisant, selon des agents et travailleurs sociaux cités dans le rapport, pour se stabiliser dans un logement, ouvrir un compte en banque, trouver un travail hors de tout réseau d'exploitation etc.

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Un rapport rendu public le 21 juillet, commandé par la ministre de l'Intérieur Priti Patel et mené par l'inspecteur en chef des frontières et de l'immigration, concluait à des manquements "inexcusables" dans la gestion des demandeurs d'asile. Et ce, à l'heure où les arrivées sur le sol britannique sont de plus en plus nombreuses.

*Les prénoms ont été modifiés

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