Source : le quotidien indépendant luxembourgeois - Geneviève Montaigu - 11/08/2022

Le rapport de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) n’est pas encore rendu public. Mais les premières fuites ont confirmé le scandale des «pushbacks». Depuis, les députés mettent la pression.

L’agence européenne des garde-frontières et garde-côtes (Frontex) a attiré sur elle le flair des fins limiers de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF), qui démarrait une enquête fin 2020 sur des pratiques condamnables, rapportées par de nombreux témoins. Certaines opérations de sauvetage en mer, menées en Méditerranée, ne consistent, en réalité, qu’à refouler les bateaux des migrants pour les renvoyer dans les eaux turques. Des «pushbacks» sur lesquels les responsables de Frontex ont volontairement fermé les yeux et qui ont poussé son directeur, le Français Fabrice Leggeri, à la démission, après des années de polémiques.

Cette réalité, établie par des vidéos filmées par des témoins directs, a souvent offusqué les députés luxembourgeois qui ont interrogé le gouvernement pour connaître sa position. Il condamne avec fermeté les faits et attend des décisions au niveau européen. La première est tombée au Parlement européen, en juillet dernier, quand les députés ont décidé de suspendre leur approbation de la décharge du budget de Frontex.

 

« Le rôle du Parlement européen est de mettre de l’ordre »

Les eurodéputés ont souligné, entre autres, qu’ils n’avaient pas été en mesure de consulter l’ensemble du rapport de l’OLAF, et n’étaient donc pas à même de prendre une décision éclairée pour le moment. Seules les fuites dans des médias européens ont permis de prendre connaissance des premières conclusions du rapport, toujours pas rendu public.

«Le rôle du Parlement européen est de mettre de l’ordre, et c’est grâce à quelques parlementaires, en observateurs très avertis, que ces pratiques ont pu être dénoncées», précise Charles Goerens, eurodéputé libéral. Il le sait par expérience, «lorsque l’on dénonce de telles dérives, il y a toujours des parlementaires derrière ces accusations».

Violation des droits fondamentaux

Président de la commission des Affaires étrangères et européennes à la Chambre des députés, le socialiste Yves Cruchten, a prévu d’inscrire un débat sur Frontex à l’ordre du jour de la prochaine réunion. «Il faut faire une recherche sur ce qui s’est vraiment passé. Il faut qu’on arrête avec cette agence qui bafoue les valeurs européennes à nos frontières et personne pour l’en empêcher!», peste le député luxembourgeois. Il enrage quand il pense que la direction a fermé les yeux sur ces violations des droits fondamentaux et, pire encore, qu’elle y a participé.

Il s’interroge sur le mécanisme de contrôle du PE qui n’avait pas pu conclure que Frontex avait participé à des «pushbacks», mais il s’est avéré que l’ex-directeur de l’agence avait effrontément menti lors de son audition.  «C’est la consternation partout, en Allemagne, le gouvernement veut une enquête plus approfondie et il y aura de la pression pour faire bouger les choses», assure-t-il. Ce qui l’effraie, c’est la stigmatisation de la Grèce. «On ne parle que des Grecs, mais j’ignore ce qui se passe à d’autres frontières, parce que ces « pushbacks«  ne constituent pas un phénomène isolé, alors que l’on n’entend rien, ailleurs», craint-il.

L’espoir du mécanisme européen de relocalisation

Yves Cruchten compte sur le nouveau mécanisme européen de relocalisation des migrants pour améliorer leur situation. Les ministres européens ont trouvé un accord en juin dernier sur plusieurs dispositions du pacte migratoire, dont un «mécanisme volontaire de solidarité» pour soulager les pays de premier accueil des migrants.

«Les pays peuvent choisir entre les accueillir ou aider financièrement les pays qui les accueillent, cela pourrait retirer de la pression aux frontières», explique Yves Cruchten qui a mis trois fois le sujet à l’ordre du jour de la commission qu’il préside.

«Pour Frontex, selon moi, il faut retourner chaque pierre. J’ai hâte de voir les conclusions de l’OLAF, un organisme auquel je fais confiance», confie-t-il.

Moins de répression

De son côté, Charles Goerens ne s’attend pas à des surprises. «Le PE soupçonne depuis longtemps le non-respect des règles et cela fait plusieurs années que les rumeurs de « pushbacks«  circulent», déclare l’eurodéputé. Il se dit chagriné par ce scandale et aussi par le fait que l’Europe «n’arrive pas à se passer de son bras répressif». Il prône davantage de prévention dans ce domaine et s’exaspère de certaines situations. «Pas un seul étudiant africain, de tout le continent, n’est autorisé à venir étudier en Europe sans visa. Il faudrait assouplir tout ça et faire en sorte que ces jeunes Africains puissent faire bénéficier leur pays des connaissances acquises.»