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Solidarite avec Mimmo Lucano

Source : l'humanité - Eugénie Barbezat - 14/03/2023

Chaque soir, l’association Utopia 56 vient en aide, place de l’Hôtel-de-Ville à Paris, aux jeunes étrangers dont la minorité n’a pas été reconnue par l’aide sociale à l’enfance. Nous avons suivi ses bénévoles.

Alors que la nuit tombe, les lumières de l’imposante façade de l’hôtel de ville de Paris donnent à l’endroit un côté ­féerique. C’est l’heure où les habitants de la capitale pressent le pas pour s’engouffrer dans le métro, à la sortie des bureaux. C’est aussi le moment où celles et ceux qui n’ont nulle part où aller se rassemblent pour avaler un repas chaud et espérer qu’une association leur trouve un lieu où dormir.

Hassan, 15 ans, grelotte

Chaque soir, des adolescents à la démarche fatiguée rejoignent ce petit ­espace de solidarité. « Ce matin, j’ai eu un coup dur », soupire Hassan. Vêtu d’un simple sweat, ce frêle Guinéen de 15 ans grelotte et a même du mal à ­parler. Arrivé à Paris deux jours auparavant après un ­périple de six mois, l’adolescent ne cache pas sa désillusion.

« Je ­pensais qu’en France, j’aurais un abri, que je pourrais faire des études, devenir informaticien… Mais apparemment, lors de l’entretien (au dispositif d’accueil de mineurs non accompagnés de Paris, assuré par France Terre d’asile – NDLR), ils ont mal compris ma situation. J’avais signalé que j’avais très mal aux oreilles ; ils m’ont donné une chambre pour la nuit. Mais ce matin, quelqu’un est venu me dire que, pour eux, je n’étais pas mineur et que je devais quitter la chambre immédiatement. »

« C’est marqué sur mon passeport »

Même déception pour Aboubacar, un autre adolescent guinéen arrivé à Paris le 17 février. « La personne qui m’a fait l’évaluation de minorité a écrit sur le papier des choses que je n’ai pas dites. C’était très rapide et je n’avais pas d’interprète. Je ne comprends pas pourquoi ils ne croient pas que j’ai 16 ans alors que c’est marqué sur mon passeport. Quand j’ai vu ça, j’ai failli pleurer. »

Ce soir là, une dizaine de « recalés de la minorité » sont place de l'Hôtel de ville, à Paris, pour être aidés par l'association Utopia 56.

Ce soir là, une dizaine de « recalés de la minorité » sont place de l'Hôtel de ville, à Paris, pour être aidés par l'association Utopia 56.
 

Ce lundi soir, ils sont une dizaine de jeunes « recalés de la minorité » à avoir rejoint la place de l’Hôtel-de-Ville où, depuis des mois, chaque soir à partir de 18 heures, les membres de l’association Utopia 56 tentent de les aider.

« On les accompagne dans leurs démarches pour faire ­reconnaître leur minorité. Et on essaie de leur trouver un hébergement pour une nuit ou plus, grâce à notre réseau de familles solidaires. Certains Parisiens nous laissent même les clés de leur appartement quand ils partent en vacances. Mais, hélas, on n’a pas de solution pour tous », détaille Edvige Liotta, bénévole pour Utopia 56.

« On essaie de leur apporter un peu de considération car, ce qui fait vraiment mal, c’est de voir à quel point l’administration et l’État les déshumanisent », assure cette productrice de cinéma ­italienne, drapée dans un grand manteau beige. « Nous allons équiper ceux qui resteront sur le carreau avec des tentes et des couvertures, complète Zelda Gayet, coordinatrice d’Utopia 56, en désignant la camionnette de l’association chargée de matériel de camping et de vêtements chauds. Mais on risque de manquer de couvertures. »

« On veut invisibiliser la misère »

Pour ceux qui restent à la rue, le plus difficile commence alors : trouver un endroit où se poser sans subir harcèlement et violences policières. « Depuis décembre, la situation est vraiment très difficile, les jeunes sont obligés de se séparer pour se cacher dans des recoins. Bien sûr, les campements ne sont pas la panacée, mais cela permet de les rendre visibles et oblige les pouvoirs publics à prendre leur situation en considération et à leur trouver des solutions d’hébergement, comme l’impose la loi », explique Anna, 23 ans, bénévole au pôle mineur d’Utopia 56.

Des soupes chaudes sont distribuées à ceux qui attendent d’être hébergés.
Des soupes chaudes sont distribuées à ceux qui attendent d’être hébergés.

Sous les ­anneaux olympiques lumineux qui éclairent la place de la mairie, la jeune femme ajoute : « On a l’impression qu’il y a une politique “zéro tente” à Paris et qu’avec les JO qui se préparent il faut invisibiliser la misère, la repousser au-delà du périphérique. » Quitte à maltraiter des enfants.

« Il y a deux jours, une quinzaine de mineurs qui avaient planté leurs tentes porte de la Villette ont été réveillés en pleine nuit à coups de gaz lacrymogène et des policiers ont lacéré leurs tentes. Deux jeunes ont été embarqués et placés en garde à vue, ils viennent juste d’en sortir. L’un a écopé d’une Obligation de quitter la France, alors qu’il avait un document prouvant qu’il était dans une procédure de recours concernant sa ­minorité, rapporte Zelda. On va faire un énième signalement à la Défenseure des droits. »

Des multiples condamnations de la France... qui ne sont pas suivies d'effet

Depuis de nombreuses années, l’institution alerte sur les manquements relatifs à la protection de ces enfants. « Les jeunes exilés se disant mineurs doivent être considérés comme tels et jouir im­médiatement des droits s’y rattachant, le cas échéant jusqu’au prononcé d’une ­décision judiciaire définitive », estimait Claire Hédon dans un avis rendu en février. Mais ses recommandations, pas plus que les multiples condamnations de la France par le Conseil national des droits de l’homme pour « défaut de prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant », ne sont suivies d’effet.

Tandis que les bénévoles de la « bambini team » font chauffer leurs téléphones à la recherche de solutions d’urgence pour les jeunes, des soupes chaudes sont distribuées à ceux qui attendent. Debout, entre deux cuillerées, les jeunes se racontent. « Regardez, ça, c’est sur le bateau, quand on a été secourus après deux jours sur l’eau », indique Mohamed Maurice, grand gaillard âgé de 15 ans et 9 mois, en nous tendant son téléphone où défile une vidéo tournée en Méditerranée.

« J’ai quitté Conakry avec mon grand frère le jour de mon anniversaire », se rappelle-t-il. «  Je n’ai pas connu ma maman. Je vivais avec ma belle-mère et mon père. Quand ce dernier est mort en 2019, la marâtre a commencé à me torturer », raconte-t-il en nous montrant les cicatrices sur ses avant-bras.

« Elle m’empêchait d’aller à l’école, alors que j’étais très bon élève. À la place, je devais faire des travaux domestiques. Mon frère m’a recueilli chez lui. Je travaillais dans son restaurant. Un jour, il m’a demandé de l’accompagner en voyage et nous avons quitté le pays. Je ne savais pas qu’on partait pour l’Europe. »

Traversée du Mali à pied en en camion

Tous deux ont traversé à pied et en camion le Mali et le désert algérien avant d’arriver en Tunisie, où ils ont embarqué sur un petit bateau, direction l’Italie. Secourus au large de la Sicile après plusieurs jours de mer, ils ont pris des trains jusqu’à Nice, où leurs routes se sont séparées.

Son histoire fait écho à celle de Hassan. « Mon rêve, c’était d’aller à l’école. En Guinée, j’étais le meilleur de ma classe et la personne qui me poussait à apprendre, c’est ma maman. Quand elle est morte en 2021, ma belle-mère n’a pas voulu payer les frais de scolarité, et elle me traumatisait, j’étais privé de tout, même de nourriture. Rentrer là-bas, ce serait un suicide. »

Éprouvés par des voyages périlleux et traumatisants, les jeunes sont souvent dans un état psychologique alarmant. « Beaucoup sont en état de choc, notamment quand ils ont perdu un proche sur la route. D’autres, voyant leurs espoirs de scolarisation s’envoler, s’effondrent en arrivant en France », constate la coordinatrice d’Utopia.

Pour les plus vulnérables, l’association a mis en place avec l’ONG Médecins du monde le programme « Accueillir », qui dispose de trois maisons en Île-de-France (deux pour les garçons et une pour les filles) où sont hébergés, le temps de l’examen de leur recours en minorité, une cinquantaine de jeunes « en grande fragilité médicale ou psychologique ».

Pallier les défaillances de l’État

Une mission qui relève pourtant de la responsabilité de l’État, tout comme l’accès universel à la santé. Pour pallier ces défaillances, un camion de Médecins du monde est présent chaque soir sur la place de l’Hôtel-de-Ville, grâce auquel les jeunes mais aussi les familles sans abri peuvent consulter un médecin et un psychologue.

« On assure une vingtaine de consultations chaque soir », précise le jeune homme en charge de l’accueil des patients. Debout dans l’angle du barnum de l’ONG, Fatoumata ­attend son tour. Engoncée dans sa doudoune, un foulard noir serré autour de la tête et des lunettes sur le nez, la jeune Ivoirienne de 17 ans semble épuisée. « Parfois je me demande à quoi ça sert d’être en vie », souffle-t-elle.

Pourtant, elle a la chance d’être scolarisée. En seconde au lycée Alfred-Nobel à Clichy-sous-Bois, elle est interne mais se retrouve à la rue durant les week-ends et les vacances scolaires, lorsque l’établissement est fermé. Ce soir, c’est Zelda qui lui a téléphoné pour qu’elle vienne afin qu’on lui trouve un lieu où dormir. Mais son cas est complexe.

Victime dans son enfance, en Côte d’Ivoire, de parents maltraitants, elle a fui le pays à 14 ans, aidée par une voisine plus âgée. De cette période, Fatoumata garde un profond traumatisme. « Je ne supporte pas d’aller dans une famille, même s’ils sont très gentils. Cela me rappelle de mauvais souvenirs et je me sens très mal… », confie-t-elle au bord des larmes.

La jeune fille qui rêve de devenir infirmière

La seule chose qui aide la jeune fille, qui rêve de devenir infirmière, ce sont ses études. « Sans prétention, je suis très bonne en classe, surtout en mathématiques, en physique et en bio­logie », glisse-t-elle avec un sourire ­timide. « Ce que j’aime aussi c’est faire des stages, j’en ai fait un de trois semaines dans une école maternelle et cela s’est très bien passé. À mes 18 ans, je pourrai en faire un autre, plus long, en Ehpad ­durant les vacances. »

« Fatoumata, j’ai trouvé une personne qui veut bien t’accueillir chez elle avec une autre fille cette nuit. Si vous êtes à deux, tu penses que ce sera moins dur pour toi ? » interrompt Zelda. « Oui, je crois. Je vais essayer… » murmure la jeune fille.

Des éclats de voix et de rire fusent soudain au milieu du groupe d’adolescents, rejoints par quatre jeunes aux ­visages moins marqués, écouteurs vissés dans les oreilles et démarche assurée.

« Ce sont les anciens ! » s’exclame Edvige, tandis qu’Abdoulaye et Koné lui donnent l’accolade. Tous deux ont fini par être reconnus mineurs par un juge des enfants. Le premier est aujourd’hui en formation pour devenir électricien et le second prend des cours intensifs de français.

Mahamad est là aussi. Ce jeune Afghan a eu davantage de chance, il a été reconnu ­mineur du premier coup, mais a quand même vécu plusieurs ­semaines d’errance dans des campements aux portes de Paris avant d’être pris en charge par l’aide sociale à ­l’enfance.

« Je suis dans un foyer à côté de la place de la Bastille et je vais à l’école depuis un mois. Je viens dire ­bonsoir à mes amis qui n’ont pas encore cette chance », ­articule-t-il dans un français impeccable. « C’est sympa qu’ils reviennent nous voir, sourit Edvige. Cela donne un peu d’espoir aux autres. Et ils savent qu’on sera encore là s’ils ont besoin de nous. » 

 


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