Source : InfoMigrants - Marion MacGregor - 31/12/2021
Michael Kurzwelly vit en Allemagne, près de la frontière polonaise. Depuis des années, cet artiste peintre est engagé aux cotés des réfugiés. Il organise des dons de vêtements et une aide juridique au sein de la Brückenplatz, l'espace communautaire qu'il a fondé à Francfort-sur-l'Oder.
Le fleuve Oder, séparant les villes de Słubice, en Pologne, et de Francfort-sur-l'Oder, en Allemagne, n'est pas très large. Pour passer d’une rive à l’autre, il suffit d’emprunter, à pied ou en voiture, un pont d’environ 200 mètres de long. Le fleuve fut autrefois la frontière extérieure de l’Union européenne avant l'adhésion de la Pologne en 2004. Désormais, et depuis plusieurs mois, ce sont des demandeurs d’asile partis de Biélorussie qui traversent l’Oder pour trouver refuge en Allemagne.
C’est ici que l’artiste allemand Michael Kurzwelly travaille depuis des années sur les concepts d’identité et d’État-nation. Avec cette question fondamentale : comment passer de l’exclusion à l’inclusion, d’un "eux" à un "nous", avec, au final, une société sans réfugiés ?
L’esprit d’ouverture de Michael Kurzwelly se matérialise par la "Brückenplatz" (qu’on peut traduire par "Place du pont" en français), un espace communautaire situé dans une ancienne salle de sport de Francfort-sur-l’Oder. La salle n’est pas chauffée, l’argent reçu par la ville suffit à peine à payer l’eau et l’électricité. Seule la yourte mongole installée à l'intérieur de la salle est équipée d'un chauffage d'appoint au gaz.
Salon de coiffure et réparation de vélos
"La Brückenplatz est ouverte à tout le monde", explique le peintre. "Tout le monde peut venir avec ses propres idées et les réaliser ici, à condition d’en assumer la responsabilité."
La Brückenplatz abrite un atelier de couture, un théâtre de marionnettes ainsi qu'un salon de coiffure, rempli de perruques et géré par une chanteuse et chorégraphe guinéenne. On y trouve également un café et un atelier de réparation de vélos.
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L'endroit propose aussi un "magasin gratuit", rempli de vêtements, de chaussures, de jouets et de livres d'occasion.
Les articles y sont soigneusement triés pour être envoyés aux migrants à la frontière biélorusse. "Voilà les dons que l'on a reçus ces derniers jours. Il y a des sacs de couchage résistants à des températures de moins 30 degrés", explique Michael Kurzwelly.
"Il faut sélectionner ce qui vaut la peine d'être envoyé. Par exemple, les vêtements trop colorés restent ici", car ces habits seraient trop voyants en forêt pour les migrants qui tentent de ne pas se faire repérer par les militaires.
Słubfurt
Le public de la Brückenplatz change tout le temps. "Ceux qui obtiennent l'asile et commencent à travailler cessent de venir ici car ils n'ont plus besoin de nous", raconte Michael Kurzwelly. "Pendant longtemps, la communauté afghane était très présente. Maintenant, avec la situation en Afghanistan, ils obtiennent l'asile, et ne viennent plus très souvent ici."
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Les dons sont envoyés au nom de "Słubfurt", le nom officiel de l'organisation de Michael Kurzwelly. C’est aussi le nom qui désigne une ville imaginaire, créée par l’artiste en 1999. Słubfurt est la contraction des villes de Słubice et de Francfort-sur-l’Oder. "À cette époque, il n'y avait aucun réfugié par ici", se souvient Michael Kurzwelly. Ce n’est que des années plus tard, en 2014, que les premiers groupes de demandeurs d’asile ont commencé à arriver.
Freddy et Cyprien ont fait partie de ces premiers arrivants. Les deux Camerounais avaient quitté leur pays et voyagé jusqu'en Espagne, avant de se retrouver dans un centre pour demandeurs d'asile à Francfort-sur-l’Oder.
C’est là qu’ils font la rencontre de Michael Kurzwelly, qui vient alors de lancer un groupe de chant. "On a frappé aux portes du centre de réfugiés et demandé aux gens s'ils voulaient chanter avec nous. Très vite, on s’est retrouvé avec un groupe de 15 à 20 personnes qui chantaient une fois par semaine dans une grande salle. On a été invités à chanter un peu partout. On a appris à se connaître avant de faire de plus en plus de choses différentes."
Au delà du groupe de chant, l’une des préoccupations de Michael Kurzwelly et de son équipe est de proposer une assistance juridique aux personnes menacées d’expulsion. Par leur intermédiaire, depuis 2014, l’avocat Dieter Bollmann a assisté quelque 260 demandeurs d'asile, dont Cyprien et Freddy.
"Un soir, Freddy m'a appelé, il était très nerveux", se souvient Michael Kurzwelly. "Il m'a dit : 'La police est là et ils veulent nous emmener pour nous renvoyer en Espagne'. Heureusement, ils n'étaient pas à la maison à ce moment-là."
S’en suit une réunion de crise, en pleine nuit. "J'ai appelé et réveillé l'avocat et il a accepté de m'aider". Pour éviter à Freddy et Cyprien d’être expulsés, en vertu du règlement de Dublin, Michael Kurzwelly contacte l’Église de Francfort, qui accepte d’accueillir les deux hommes.
Les trois mois qui suivent sont une épreuve difficile pour les deux Camerounais. "Ils n'avaient aucun soutien financier pendant cette période", assure Michael Kurzwelly. "L'église leur a juste donné un endroit avec une cuisine. Ils n’étaient pas autorisés à sortir. On faisait les courses pour eux. Ils étaient enfermés, c'était très compliqué. À l'époque, notre Brückenplatz se trouvait dans une zone piétonne, on avait un local vide qui servait d'atelier de réparation pour les vélos. Freddy a reçu la clé du local. Il y allait la nuit et réparait des vélos pour se sentir mieux psychologiquement et pour ne pas devenir fou."
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Aujourd’hui, les deux Camerounais sont tous deux mariés et ne peuvent plus être expulsés d'Allemagne. Freddy et Cryprien sont devenus électriciens. Lors des examens, Cyprien a même réussi à décrocher la meilleure note de la région, précise avec fierté Michael Kurzwelly. "Les deux parlent couramment l'allemand avec l'accent du dialecte de cette région, ce qui est très amusant."