Source : le monde - Thibaud Métais, Julia Pascual - 27/01/2023
Si l’hôtellerie et la restauration poussent en faveur de la mesure proposée par le gouvernement, d’autres branches sont plus rétives, car cela reviendrait à reconnaître avoir recours à du travail dissimulé.
« Il y a longtemps qu’on attend une politique qui s’empare de la question ! » Pascal Mousset est restaurateur. A la tête de plusieurs brasseries chics parisiennes, il estime qu’« entre un tiers et la moitié de [ses] collaborateurs sont étrangers. Et vous ne trouvez pas de plongeurs français. Ils sont maliens, bangladais, pakistanais… »
Alors, quand le gouvernement a annoncé, en novembre, vouloir faciliter la régularisation des travailleurs sans papiers en créant un titre de séjour métiers en tension, à l’occasion de la loi « immigration » qui sera présentée en conseil des ministres mercredi 1er février, M. Mousset, également président du Groupement national des indépendants hôtellerie-restauration d’Ile-de-France, s’est dit « extrêmement concerné ». Il affirme avoir soupé de l’« hypocrisie totale » sur le sujet et des « procédures administratives kafkaïennes » pour qu’un salarié obtienne un titre de séjour. « On souhaite faire tourner nos boîtes, c’est tout, martèle-t-il. Et sans ces personnes, nos entreprises ne fonctionnent plus, pas plus que nos hôpitaux, nos maisons de retraite ou le bâtiment. »
« C’est parce qu’on avait des remontées de terrain avec des employeurs souhaitant régulariser leurs salariés qu’on a voulu agir de ce côté-là », assure Sacha Houlié, député (Renaissance) de la Vienne et président de la commission des lois. En 2022, près de 11 000 personnes ont été régularisées au titre de leur activité salariale. « Dans notre secteur [où 200 000 à 300 000 emplois seraient vacants], il y a un consensus sur le sujet », appuie M. Mousset. Le président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie, le chef cuisinier Thierry Marx, est, lui aussi, favorable à une simplification des régularisations : « Régulariser les gens, c’est un moyen de répondre aux difficultés des métiers en tension, c’est un moteur d’inclusion et de régulation. »
Un « débat pollué politiquement »
Directeur général de la Fédération des particuliers employeurs (Fepem), Pierre-Olivier Ruchenstain est l’auteur d’un avis du Conseil économique social et environnemental, en janvier 2022, sur les métiers en tension. Un texte qui, en matière d’immigration, recommande seulement de développer les cours de français ou la reconnaissance des compétences. « On y a été doucement, explique M. Ruchenstain. Les branches professionnelles craignent une polarisation médiatique, car la question migratoire a été deux fois en finale de la présidentielle. » Au titre de la Fepem, il se dit « favorable à la régularisation des salariés ». « Un cinquième de nos salariés sont nés à l’étranger, justifie-t-il. C’est structurel et ça date des années 1960. »
D’autres secteurs dépendent aujourd’hui largement de la main-d’œuvre étrangère : selon une étude de la Dares de 2021, 28,4 % des agents de gardiennage et de sécurité sont des immigrés, 27 % des ouvriers non qualifiés du BTP, 17,4 % des agents d’entretien… Mais, au sein du patronat, tout le monde n’est pas aussi prolixe à propos de la création d’un titre métiers en tension. Ex-directeur du cabinet de l’ancienne ministre du travail Muriel Penicaud et aujourd’hui à la tête du cabinet de conseil Quintet, Antoine Foucher considère que le sujet « met assez mal à l’aise le patronat. D’abord parce que certains sont pris entre l’intérêt économique de l’entreprise et leur position de citoyen en faveur d’une limitation des flux. Ensuite parce que l’immigration de travail a à voir avec le travail au noir et personne n’a trop envie d’ouvrir le capot sur les pratiques des uns et des autres ».
« Il est normal que toutes les branches ne voient pas les choses de la même façon puisque tout le monde n’a pas besoin ou n’est pas concerné par ce titre », complète le président du Medef, Geoffroy Roux de Bezieux, qui évoque un « débat pollué politiquement ». A tel point qu’aucune organisation interprofessionnelle n’a pris position sur la mesure annoncée par l’exécutif. « Certains considèrent qu’il n’y a que des coups à prendre sur un sujet aussi clivant dans la population », reprend M. Foucher. « Notre crainte, c’est qu’on fasse des chefs d’entreprise les agents de l’immigration », prévient à son tour Eric Chevée, vice-président de la Confédération des petites et moyennes entreprises.
« Masse salariale à bas coût »
Un patron du BTP, sous le couvert de l’anonymat, raille cette prudence : « Ils ont peur de déplaire. Il y a une forme de lâcheté. Dans le bâtiment, on ne peut pas être contre l’immigration. Ça fait deux siècles qu’on a intégré les différentes vagues, voire qu’on les a créées. » Le président de la Fédération française du bâtiment (FFB), Olivier Salleron, aborde néanmoins le sujet avec la plus grande précaution. « Nous sommes plus réservés que d’autres organisations patronales sur la méthode », précise-t-il. M. Salleron craint, lui, que des régularisations massives « puissent finalement encourager le travail illégal contre lequel on lutte fortement depuis des années ». D’autres branches, comme la propreté ou la logistique, restent silencieuses. « Pour certains, accepter le titre de séjour métiers en tension, ce serait reconnaître qu’ils fonctionnent depuis longtemps avec beaucoup de sans-papiers », indique Sacha Houlié, qui ajoute que les salariés régularisés « pourraient coûter beaucoup plus cher à certains employeurs ».
Les militants associatifs ou syndicaux partagent la même analyse. « Certains secteurs ont intégré dans leur modèle économique une masse salariale à bas coût de travailleurs corvéables, car en situation irrégulière », considère Lydie Nicol, secrétaire nationale de la CFDT. « Venir entre 3 h 30 et 5 heures du matin pour finir à 7 h 30, tout ça pour 600 euros par mois, seuls les sans-papiers acceptent », considère Christian Schweyer, porte-parole du collectif des travailleurs sans-papiers de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne), engagé dans une longue grève dans le secteur de la logistique. « La restauration a besoin de personnels un minimum qualifiés et stables, et les grèves de sans-papiers sont désastreuses en termes d’image, estime Jean-Albert Guidou, référent de la CGT sur le sujet. Mais, dans le bâtiment, le système est construit sur l’utilisation de boîtes sous-traitantes ou d’intérim dont une partie fonctionnent sur la base du travail dissimulé. Aucun travailleur français ou en règle n’accepterait ces conditions. »