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La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

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Source : Mediapart - Marie Cosnay - 14/8/2018

N’aie pas peur, on disait aux enfants. 70 enfants ont peur, cette nuit. 70 enfants, à bord de l’Aquarius, ont peur cette nuit. Et j’ai peur avec eux.

12 août 2018, une vie, un bon morceau de vie, une vie d’attentions, de soins et tendresses, de violences qu’on voulait apaiser, comme si on était au moment où, dit-on, on voit en accéléré, tout, les images, les paroles qu’on a prononcées, tout vient en confusion, il y a un peu plus de vingt ans ce qu’on voulait pour nos enfants, les livres qu’on leur lisait à haute voix, la foi qu’on avait ou l’énergie, bon sang tout ce qui bouillait, ce qui était debout, ce qui restait debout à chaque étape et chaque étape, 2002 et 2007, le deuxième tour et l’identité nationale, comme on était debout, les enfants sur les épaules, puis à côté, si près, si près.

Le 12 août 2018, SOS Méditerranée communique : le bateau l’Aquarius qui a sauvé en mer 141 personnes exhorte les gouvernements européens à désigner un lieu sûr de débarquement. Si SOS Méditerranée exhorte le 12 août, c’est que les gouvernements n’ont pas répondu la veille. Et ils n’ont pas répondu le lendemain, le 13 août. La gorge est serrée, on s’étrangle, on est par dessus le chagrin et par dessus la honte, on entend que Jean Claude Gayssot allume une lumière à Sète, un phare dans la nuit et on écrit son nom, on est prêt à écrire chaque nom qui compte, on se compte, tandis que l’incroyable transgression a lieu, qui a eu lieu une première fois en juin, c’était comme un frisson, le frisson se répète, on s’est fait peur et on aime ça, se faire peur, tout devient possible quand on marche à l’envers, quand on parie sur l’envers, on a quitté la réalité depuis longtemps, on l’a quittée à force d’idées si bien entortillées sur elles-mêmes qu’elle sont devenues monstres. On attend que les gouvernements européens désignent d’urgence le port sûr le plus proche, comme le prévoit le droit maritime international, afin que le bateau l’Aquarius y débarque 141 rescapés, dont 70 enfants.

On ne pensait pas lire une chose pareille. On ne pensait pas attendre un jour, deux jours, pour que des rescapés accostent sur une terre, même pas d’asile - de salut. On ne pensait pas, un enfant sur les épaules, il y a un peu plus de 20 ans, alors qu’on consolait, rassurait, on ne pensait pas qu’on lirait une chose pareille au mois d’août 2018, on ne pensait pas qu’on lirait qu’un bateau devrait exhorter, qu’il attendrait, à son bord les personnes sauvées du naufrage, qu’en Europe quelqu’un ouvre un port. Ouvre un port. C’est un monde qui est mort, un champ sémantique qui est mort, celui d’un mot, le mot port, arriver à bon port, port d’attache, c’est notre enfance hospitalière, avec l’enfance de nos enfants, qui s’échappe, on ne pensait pas que ça irait si vite, que le plaisir criminel de transgresser, on le trouverait là, chez des gens si bien élevés, on ne pensait pas qu’on pourrait vouloir laisser en mer, au mois d’août 2018, 141 personnes dont 70 enfants, on ne pensait pas qu’on pourrait vouloir signifier que la mort en mer de 141 personnes, dont 70 enfants, ce jour-là, pour nous était possible, pensable. Un enfant sur les épaules, tout petit, on promettait. Notre vie devant les yeux tandis qu’un mot meurt, un champ sémantique, un monde meurt, tandis que plus de 1000 personnes se sont noyées en quelques mois et combien tombées dans le désert, tandis que 141 attendent entre deux eaux, tandis que nous attendons avec, sur la terre ferme, la terre ferme de l’Europe, on a la gorge serrée, on s’est étranglé, on est tombé, c’est fait, bon sang comme on a tenu debout, tout ce qui tenait et bouillait et cavalait, toute une vie, un bon moment de vie, tout ce qui nous tenait debout et puis on est tombé.

Le poulain a mis ses yeux dans les miens, tout à l’heure. Une vie au tout début, une qui tient debout, cette force qu’il a pour se lever, l’enclos bien sûr et les premières ruades, l’échappée belle, et soudain c’est trop. Le bateau exhorte les gouvernements européens. 141 personnes attendent ce jour qu’un port s’ouvre et personne ne dit un mot, sauf Jean Claude Gayssot. Ce même mois d’août les directions régionales de la cohésion sociale annoncent aux directeurs de centres sociaux que sur quatre ans, pour les publics les plus pauvres, le gouvernement a décidé 57 millions d’économie, autant dire que les noyades sur terre ferme, c’est prévu aussi, et si pour le prix d’une noyade on en avait d’autres, noyades en mer et sur terre ferme, noyades contre noyades, noyades en rivalité.

Les gamins, poussés par leur jeunesse et la nécessité, ont traversé le désert et la mer et leur élan s’écrase. C’est qu’on les garde entre deux eaux, sans école en vue, dans les maisons vides des campagnes qu’on appelle foyers. On attend que meure l’élan, la force d’être debout, ça tient encore, à un fil et par un miracle, ça ne tient plus, se déchire, l’enfant dit j’ai traversé la mer et je pourris ici, je pourris ici dans la maison vide qui pourrit. Enfant, que je ne peux ni rassurer ni consoler, enfant, n’aie pas peur, debout, tu as 17 ans, de la vie à revendre, tu vas t’échapper belle.

N’aie pas peur, on disait aux enfants. On mentait.
70 enfants ont peur, cette nuit.
70 enfants, à bord de l’Aquarius, tremblent de peur cette nuit.
Et j’ai peur avec eux.

 


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