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La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

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Source : Mediapart - Christelle Gérand - 9/10/2018

Non contente d’accueillir près d’un million de réfugiés, l’Éthiopie s’engage à les intégrer, par l’emploi notamment. Le pays est massivement aidé dans sa démarche par l’Union européenne et les institutions internationales : ainsi, davantage de « migrants » devraient rester sur le sol africain.

Addis Abeba (Éthiopie), correspondance.-  S’il est un domaine pour lequel l’Éthiopie ne cesse d’être complimentée, c’est sa politique d’accueil des réfugiés. « Brillant exemple de l’hospitalité africaine », selon les termes du haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés Filippo Grandi, le pays accueille officiellement 928 663 réfugiés.

Limitrophe du Soudan du Sud en guerre civile, de l’Érythrée et de son travail obligatoire à durée illimitée, de l’archétype de l’État failli qu’est devenue la Somalie, l’Éthiopie, de par sa relative stabilité, apparaît comme une terre d’asile de choix. La mosaïque ethnique du pays facilite l’intégration des nouveaux venus. Ainsi, les Éthiopiens du nord parlent la même langue que la majorité des Érythréens, de même pour les Éthiopiens d’ethnie somalie qui accueillent les Somaliens.

Dans les camps, toutefois, les conditions de vie sont rudes. Pics de chaleur, moustiques porteurs du paludisme, isolement : situés à proximité des frontières où les réfugiés arrivent à pied, ils ne sont accessibles que par des pistes cabossées, uniquement empruntées par le bétail et les 4×4 des ONG.

Sans véhicule, les réfugiés sont « enfermés dehors », pour reprendre les termes du philosophe Michel Foucault à propos des boat people du Vietnam. Prisonniers du manque de perspectives des 26 camps dans lesquels, sauf autorisation spéciale, la loi les cantonne, nombreux sont ceux qui migrent une nouvelle fois. Ainsi, une étude de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) estime que 40 % des réfugiés érythréens quittent les camps éthiopiens durant les trois premiers mois suivant leur arrivée, et 80 % au bout d’un an. Certains espèrent que davantage d’opportunités les attendent en Égypte, en Arabie saoudite ou en Afrique du Sud. D’autres se rendent dans les grandes villes éthiopiennes. Ils renoncent alors aux abris de fortune des camps et à l’aide alimentaire qui y est fournie.

Dans la capitale Addis Abeba, les réfugiés, bien que non autorisés à travailler, sont partout. Pour l’achat de robes, de parfums et de cosmétiques, les Éthiopiennes se rendent dans le « petit Mogadiscio », un quartier où les réfugiés somalis revendent des produits importés illégalement à travers la frontière poreuse avec leur pays d’origine. De nombreux garages sont tenus par des Érythréens, dont la licence est au nom d’une connaissance éthiopienne, qui se fait généralement remercier pour ce « service » d’une part du chiffre d’affaires.

Certains réfugiés sont employés de façon informelle par des organisations officielles en tant que médecins ou interprètes. D’autres travaillent à la journée comme employés de maison ou dans l’un des multiples chantiers de construction d’une capitale en constante expansion. Plusieurs ONG financent des formations pour les réfugiés, or tous les programmes des ONG doivent être validés par le gouvernement. À quoi bon enseigner la carrosserie ou la coiffure aux réfugiés, si ce n’est pour qu’ils utilisent ce savoir dans le pays ?

L'Éthiopie accueille officiellement 928 663 réfugiés. 

Formaliser ce laisser-faire est l’un des axes de la nouvelle « vision » éthiopienne. Accorder des permis de travail et des licences commerciales aux réfugiés, les enregistrer à l’état civil, les autoriser à cultiver des terres fertiles… L’Éthiopie a pris neuf engagements lors du Sommet des dirigeants sur les réfugiés qui s’est tenu en septembre 2016 à New York. Deux ans et un changement de gouvernement plus tard, les progrès sont en cours. L’Éthiopie a instauré un « cadre d’action global pour les réfugiés » (CRRF dans le jargon du HCR), en novembre dernier. Depuis, des bureaux de l’état civil ont été établis dans les camps. Les enfants qui y sont nés ont dorénavant une existence légale, les actes de mariage évitent aux nombreuses femmes laissées seules d’être stigmatisées, et les actes de décès peuvent permettre d’hériter, ou de faciliter la garde d’un enfant orphelin.

Avec une personne sur quatre au chômage dans les villes, et un nombre inconnu mais important d’Éthiopiens devant se contenter d’emplois pour lesquels ils sont surqualifiés, ou de quelques heures informelles de-ci de-là, le quota d’emplois pour les réfugiés est la promesse « la plus controversée », selon Tadesse Kassa, conseiller auprès de la Commission éthiopienne des investissements. Cet avocat a fait partie du comité chargé d’amender la Constitution pour mettre en œuvre l’engagement de « construire des parcs industriels qui devront employer 100 000 personnes, dont 30 % de réfugiés ». Dans la nouvelle loi, approuvée par le Conseil de la fédération et « qui devrait être approuvée par le Conseil des représentants des peuples d’ici un mois ou deux », croit savoir Tadesse Kassa, les réfugiés sont traités non plus comme des étrangers, soumis à de nombreuses restrictions dans le pays, mais « presque comme des Éthiopiens ».

Le projet, sobrement baptisé « pacte de travail », est financé à hauteur de 429 millions d’euros par la Banque mondiale, la Banque européenne d’investissement, l’Union européenne et le Royaume-Uni. Du fait du grand nombre de réfugiés et de son très faible revenu intérieur brut, l’Éthiopie bénéficie également d’une aide spéciale de la Banque mondiale, par le truchement des crédits IDA (association internationale de développement) : en juin, le pays s’est vu accorder un don de 102 millions d’euros et un prêt de 72 millions d’euros sur 38 ans.

Ces financements s’inscrivent dans la nouvelle logique des donateurs de favoriser les projets de développement, visant, selon les termes de l’Union européenne, à « agir sur les causes du déplacement et des migrations irrégulières en créant des opportunités économiques ». Pour la directrice du bureau européen d’Amnesty International, Iverna McGowan, il s’agit de « balancer de l’argent pour garder les réfugiés au loin ». L’Éthiopie fait ainsi partie des 16 pays que l’Union européenne entend aider en priorité dans le but de décourager les migrations vers l’Europe : le fonds fiduciaire qui lui est alloué représente 224 millions d’euros, utilisés pour des formations, des microcrédits et un accès amélioré à l’eau et à l’éducation, notamment.

« Les donateurs ont l’impression d’entendre que l’Éthiopie a besoin d’aide depuis 50 ans »

Ces arrivées de fonds estampillés « développement » compensent la « fatigue des donateurs », estime Alexandra de Sousa, directrice du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies en Éthiopie. « Les donateurs ont l’impression d’entendre que l’Éthiopie a besoin d’aide depuis 50 ans. L’année dernière, c’était la sécheresse ; cette année, les conflits ethniques à l’origine du déplacement de 2,8 millions de personnes… Cette “fatigue” est difficile à surmonter », se désole-t-elle.

Pour Tadesse Kassa, l’échange est « gagnant-gagnant » : grâce à sa politique d’accueil des réfugiés et de collaboration concernant le retour de ses migrants, l’Éthiopie perçoit une « assistance technique pour déployer son agenda industriel ». Clémentine Nkweta-Salami, la représentante du HCR en Éthiopie, n’est pas aussi optimiste : « Cette année, nous avons demandé 282 millions d’euros pour l’aide aux réfugiés, et, à ce jour, nous n’avons reçu que 19 % de la somme. Donc nous priorisons, et nous faisons avec le peu que nous avons. »

Les montants alloués étant fonction du nombre de réfugiés, on peut se demander si ceux-ci ne sont pas gonflés. Ainsi, les chiffres utilisés par le Programme alimentaire mondial (PAM) sont beaucoup moins importants que les chiffres officiels, comptabilisés par l’Agence éthiopienne pour les réfugiés et les rapatriés, un organisme gouvernemental qui n’a pas voulu répondre à nos questions, et par le HCR. Le PAM distribue de la nourriture aux 685 761 réfugiés qu’il comptabilise dans les camps. On est loin des 928 663 censés s’y trouver. Clémentine Nkweta-Salami ironise : « Aucun réfugié ne vient nous voir pour nous dire : “Retirez-moi de la liste, je vais dans un autre pays.” » Elle assure que son agence va mettre en place un comptage biométrique « dans les prochaines semaines ».

Quel que soit le nombre exact de réfugiés, Stine Paus, directrice du Norvegian Refugee Council (NRC) en Éthiopie, s’enthousiasme du « changement positif » de la politique éthiopienne en leur faveur. Elle souhaiterait toutefois que davantage de moyens soient consacrés à leur intégration dans les villes. Selon elle, en effet, les cantonner dans des camps est « très onéreux et n’aide pas le pays ». En réalité, même « enfermés dehors », les réfugiés contribueraient au produit intérieur brut, d’après une étude de la Banque mondiale et du HCR. Dans le comté de Turkana, l’aide alimentaire et financière apportée aux 160 000 réfugiés du camp de Kakuma au Kenya accroîtrait la consommation ; le camp, quant à lui, contribuerait au produit intérieur brut du comté à hauteur de 3 %.

Outre les considérations financières, la politique d’accueil de l’Éthiopie lui permet d’améliorer son image à l’international. « C’est le pays qui va bien, où l’on se réfugie », insiste Stine Paus. Il est d’ailleurs vraisemblable que ce rôle de « gardien des migrants », particulièrement apprécié de l’Union européenne, lui vaille que ses manquements en matière de droits de l’homme soient passés sous silence.

 


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