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Fermez les Centres de Rétention !

La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

Solidarite avec Mimmo Lucano

Source : Médiapart - AutonoMIE 31 - 14/09/2020

Nous nous appelons Ibrahim, Oumar, Idriss, Aicha. Ce texte est le témoignage de jeunes MIE - Mineur·e·s Isolé·e·s Étranger·e·s. basé·e·s à Toulouse. Il relate leur parcours, des raisons de leur départ à la longue attente pour enfin être reconnu·e·s mineur·e·s.

Partir

Nous nous appelons Ibrahim, Oumar, Idriss, Aicha. Nous sommes ici des MIE, des Mineur.e.s Isolé.e.s Etranger.e.s. Un MIE, c’est une jeune de moins de 18 ans, qui arrive en France sans ressources ni famille et a besoin de protection, comme tout enfant dans le monde.

Nous venons de Guinée, du Mali, du Cameroun, de Côte d’Ivoire, et d’autres pays encore. Nous venons principalement de pays d’Afrique de l’Ouest, et bien souvent d’anciennes colonies françaises.

Nous avons généralement 14, 15, 16 ans lorsque nous quittons nos pays.  Les raisons qui nous poussent à partir sont multiples. Certains d’entre nous fuient le travail forcé des enfants, comme dans les mines de Bauxite en Guinée, qui sont en pleine expansion, ou encore dans les mines de Cobalt en RDC[1]. On s’échappe aussi pour ne pas être vendu.e.s comme domestiques, ou marié.e.s de force, voire pire parfois. Certains d’entre nous fuient des régions instables, comme en Guinée, où le chômage et les violences policières font rage, notamment à Conakry[2]. Nous fuyons des zones de conflits, comme au Mali ou au Nigéria, où Boko Haram enrôle les enfants comme soldats, mais aussi au Cameroun, où le combat entre séparatistes et forces de sécurité a déjà causé le déplacement de plus de 500 000 personnes[3] .

Beaucoup d’entre nous sont également contraint.e.s de partir à cause de situations familiales douloureuses, quand nous sommes rejeté.e.s et mis à la rue par nos parents. Nous partons tou.t.e.s à cause de la pauvreté, du manque de nourriture, du manque d’avenir. Nous avons tou.t.e.s pour rêve d’aller à l’école, de trouver une formation, d’apprendre un métier et de construire une vie stable.

Il faut le dire aussi, au pays, tout le monde nous encourage à partir. L’Europe c’est, pour tous, l’El Dorado.

Le voyage

Le voyage jusqu’en Europe, c’est l’enfer[4]. Nous traversons en moyenne cinq pays. Parmi eux, les pays du Sahel et entre autres : le Niger, le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, la Libye, l’Algérie. Au Mali, si les passeurs estiment que notre paiement ne leur suffit pas, nous nous faisons frapper, et risquons d’être vendu.e.s pour travailler dans les champs. Dans le désert, ceux et celles qui ralentissent sont tué.e.s ou abandonné.e.s. Mais la Libye est le pire. Nous sommes emprisonné.e.s, torturé.e.s, puis vendu.e.s comme esclaves. Les femmes sont violées devant nous. Pour nous faire peur, et nous maintenir dociles, on nous tire entre les jambes…[5]

Pour ceux.elles qui survivent à cette partie du voyage, vient le moment de traverser la méditerranée. Nous sommes entassé.e.s sur des Zodiac, à 100 voire 200 personnes. Marins libyens et marocains nous tirent dessus. Beaucoup tombent à l’eau. Quand nous foulons enfin le sol européen, l’Espagne ou l’Italie, le prix que l’on a payé pour notre nouvelle vie est déjà très élevé. Il nous reste encore les montagnes à traverser, le plus souvent à pied et de nuit.

La France

Nous choisissons la France car nous avons déjà une histoire commune, et surtout, une langue : le français. Nous pensons ainsi que notre intégration sera plus aisée. Nous savons aussi que la France dit respecter la Convention internationale des droits de l’enfant, qui explique notamment qu’un.e mineur.e est un enfant avant d’être un migrant. A ce titre, nous devons être intégré.e.s au dispositif français de protection de l’enfance (l’ASE : l’Aide Sociale à l’Enfance)[6].  L’ASE est gérée, dans chaque Département, par le Conseil Départemental. Nous avons l’espoir d’être enfin protégé.e.s en tant qu’enfants. De pouvoir enfin commencer à aller à l’école, à apprendre, envisager un avenir meilleur. Pouvoir manger à notre faim et vivre dans un endroit sécurisé.

L’évaluation

Il nous reste pourtant une dernière épreuve : les centres d’évaluation de la minorité. En Haute-Garonne, à Toulouse, le Conseil Départemental a chargé l’ANRAS, à travers le DDAEOMI (Dispositif Départemental d’Accueil, d’Evaluation et d’Orientation des Mineurs Isolés) de cette évaluation[7]

Nous passons plusieurs semaines, voire plusieurs mois dans le centre d’évaluation du DDAEOMI. Lorsque nous arrivons, nous passons un premier entretien avec l’évaluateur. En attendant que cet entretien commence, nous sommes isolé.e.s des autres jeunes. La nourriture et l’eau nous sont refusées tant que l’entretien n’est pas passé. Celui-ci peut durer entre une heure et deux heures (selon notre histoire, ou s’il y a l’intervention d’un interprète). Souvent, nous n’avons pas mangé, bu, ni dormi depuis plusieurs jours, et nous sommes complètement désorienté.e.s. On doit alors raconter notre vie au pays, les raisons de notre départ et notre voyage. Les questions posées par l’évaluateur sont très précises et très intimes. Nous sommes fatigué.e.s et traumatisé.e.s par ce que nous venons de traverser. Ces chocs nous font parfois oublier une partie de notre histoire. Nous avons également de la pudeur à parler de certaines choses difficiles à un inconnu. Comment faire confiance, quand on a notre parcours ? Que faut-il confier et de quoi a besoin l’évaluateur ? Nous ne comprenons pas toujours le sens des questions. Parfois, l’évaluateur estime que nous n’avons pas besoin d’interprète, alors que nous l’avons demandé. Il nous est demandé des dates précises, au jour près, ce qui nous pose beaucoup de difficultés : nous ne connaissons pas toujours ces dates, surtout durant le voyage. Culturellement, celles-ci ont également moins de signification pour nous que pour vous en Europe. : nous ne savons donc pas toujours situer chaque évènement.

Cet entretien d’évaluation sera effectué trois fois au cours des semaines qui suivent notre entrée au DDAEOMI. Lors de ceux-ci, nous marchons sur une corde raide. Après quelques jours de repos, des souvenirs reviennent : si nous les racontons, on nous reproche de ne pas l’avoir dit au premier entretien, et l’on nous accuse donc de mentir. Si notre récit comporte des erreurs, ou au contraire que nos propos sont trop cohérents, on nous accuse également de mentir. Si nous parlons correctement le français, on nous explique que nous parlons trop bien et que nous sommes trop vieux.ieilles pour être des enfants. C’est oublier que le niveau scolaire de français dans les anciennes colonies est très bon ! Si l’on ne regarde pas l’évaluateur dans les yeux, on nous dit que nous ne sommes pas honnêtes. Mais en Afrique, il est impoli de regarder son ainé dans les yeux ! Il nous semble que tout est fait pour nous piéger.

Entre les entretiens, nous sommes pris en charge par les éducateurs du DDAEOMI. Ils nous observent constamment et remontent nos faits et gestes à l’évaluateur. Tout alimente l’évaluation et les éducateurs y participent activement, même s’ils n’ont pas l’habilitation. Si nous jouons trop bien au foot, que nous sommes trop sportif.ives : nous sommes des adultes. Si nous ne nous amusons pas, que nous parlons trop de l’école : nous sommes des adultes. Si nous sommes trop sérieu.s.e.s et que nous avons des connaissances : nous sommes des adultes. Mais a-t ’on envie de jouer, de rire, de s’amuser, quand on a notre histoire ? Ce n’est pas parce que la vie a fait de nous des adultes avant l’heure que nous n’avons pas besoin de protection.

Les évaluations ne sont pas adaptées à nos parcours, nos traumatismes, nos histoires et nos cultures.

Elles en deviennent arbitraires et incohérentes. Pourtant, la loi oblige à ce que l’évaluation soit effectuée par un personnel compétent et qualifié au sujet des Mineur.e.s Isolé.e.s Etranger.e.s.

Le Conseil Départemental visite parfois le dispositif. Tout est alors préparé pour donner une bonne image du centre d’évaluation. On nous donne des consignes, en nous demandant de nous taire et de rester discret.e.s. Aucun d’entre nous n’oserait de toute façon parler, nous avons bien trop peur que notre minorité ne soit pas reconnue.

A la fin, lorsque le DDAEOMI rend son rapport, le refus de reconnaissance de minorité est quasi systématique, surtout pour ceux.elles d’entre nous qui viennent de pays d’Afrique de l’Ouest. Et ce, même quand nos papiers d’identité ont été authentifiés par la PAF (Police Aux Frontières) !

Dans la lettre de refus qui nous est rendue, il est à peine expliqué notre droit à effectuer un recours, et les démarches à suivre ne sont pas données. Par chance, certain.e.s d’entre nous sont parfois informé.e.s, oralement, de l’existence du collectif toulousain AutonoMIE.

La vie durant le recours

La vie à la suite d’un refus du DDAEOMIE, c’est l’attente, la longue attente avant de gagner enfin son droit à la protection de l’ASE. A Toulouse, nous sommes intégrés (seulement les garçons, rien n’est prévu pour les filles) à un dispositif d’hébergement de la mairie, géré par l’ARSEAA. L’accompagnement juridique pour notre recours est fait par les militant.e.s du collectif AutonoMIE.

Le temps avant d’atteindre la majorité nous est compté. Pour beaucoup d’entre nous, il s’est passé plusieurs mois, voire un an depuis notre départ du pays. Nous attendons en moyenne trois mois pour obtenir une audience avec le juge. Pour être prêt.e.s à passer cette audience, il nous faut d’abord préparer notre dossier, et pour cela, trouver l’argent nécessaire à la constitution de celui-ci. Cette étape est compliquée et stressante. C’est grâce aux soutiens et aux donateurs que nous arrivons à la franchir.

Le résultat de l’audience ne nous est pas donné immédiatement, nous attendons parfois plusieurs semaines, ce qui constitue une nouvelle perte de temps. Le juge peut accepter la reconnaissance de minorité, demander des documents complémentaires, ou refuser la reconnaissance. Nous pouvons alors faire appel de la décision.

 Souvent, avant de rendre sa décision, le juge demande des tests osseux. Pour rappel, le test osseux doit permettre de définir l’âge d’une personne. Or, la marge d’erreur d’un test osseux est de 1 à 2 ans ! Selon l’académie de médecine[8] « cette méthode ne permet pas de distinction nette entre seize et dix-huit ans", alors que c’est l’âge de la plupart d’entre nous. Ces tests sont largement décriés par les scientifiques et les associations[9]. Certains pays, comme le Royaume-Uni, en ont interdit la pratique. En France, d’après l’article 388 du Code civil, les tests osseux peuvent être demandés uniquement « en l’absence de documents d’identité valables et lorsque l’âge allégué n’est pas vraisemblable ». Pourtant, à Toulouse, les tests osseux sont demandés de plus en plus souvent, même quand nous avons présenté tous les papiers demandés. Nous passons le test du poignet, de la clavicule, et même des dents (celles-ci sont souvent très abimées), jusqu’à ce que le résultat convienne. Pour certain.e.s, le test osseux est demandé alors qu’il avait déjà été effectué par le DDAEOMI. Quelle est la logique ? Pourquoi demander ces tests, alors que l’on connait leur marge d’erreur ?

Le résultat met en moyenne deux mois à arriver. Là également, nous perdons du temps.

Il arrive que le juge refuse la reconnaissance de minorité, alors même que nos papiers sont attestés par la PAF. Quand nous discutons entre nous, nous voyons que les décisions sont très aléatoires et nous ne comprenons pas leur logique, ni leur sens. Il nous semble aussi que certains pays sont défavorisés, et partent toujours perdants. Nous avons le sentiment d’être piégé.e.s une deuxième fois, par la justice. Certain.e.s voient leurs 18 ans arriver dans l’angoisse, car tous leurs sacrifices seront perdus ce jour-là.

La vie au dispositif d’hébergement est très compliquée. Nous sommes 80 jeunes avec des parcours traumatisants, vivant la même attente et la même angoisse. Certain.e.s d’entre nous deviennent fous. Grâce à l’association TEC31, nous avons des professeurs bénévoles qui viennent nous donner des cours, et certain.e.s réussissent à être scolarisés. Malgré tout, il reste très difficile de voir les jeunes français aller à l’école, pendant que nous attendons. Nous sommes très déprimé.e.s, nous dormons beaucoup pour ne pas voir les journées défiler. Beaucoup ont envie de baisser les bras. Nous ne mangeons pas toujours à notre faim, car le dispositif ne prévoit pas la prise en charge totale de la nourriture. Nous sommes très peu encadré.e.s, et nous nous sentons bien souvent abandonné.e.s, mis.e.s à l’écart de la société, rendu.e.s invisibles. Durant la période de confinement liée au COVID-19, nous sommes resté.e.s sans eau chaude, sans livraison de nourriture, pendant plusieurs jours. Nous n’avons vu personne, à part de rares associations, et AutonoMIE.

La lutte continue…

En arrivant en France, nous pensions être pris en charge en tant que mineur.e.s, mais finalement, nous nous retrouvons traité.e.s comme des menteur.euses, des suspect.e.s, des pestiféré.e.s. Nous savons qu’il en est de même pour tou.te.s les MIE des autres villes, comme Paris, Bordeaux, Grenoble, etc.

Grâce au travail des avocat.e.s, des militant.e.s, des donateur.trice.s, nous gagnons presque toujours nos recours. Mais que de temps perdu, que de nouveaux traumatismes inutiles ! C’est pourquoi nous demandons l’arrêt des centres d’évaluation, et la prise en charge automatique de tous les MIE. Nous ne voulons pas que les jeunes qui arriveront après nous subissent les mêmes choses. Car un.e jeune est un.e jeune, quelle que soit sa nationalité !

[1] https://www.amnesty.org/download/Documents/AFR6231832016FRENCH.PDF

[2] https://www.infomigrants.net/fr/post/10342/les-jeunes-guineens-de-plus-en-plus-nombreux-a-choisir-l-exil

[3] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/09/02/au-cameroun-anglophone-le-conflit-jette-les-habitants-sur-les-routes-de-l-exil_5505559_3212.html

[4] https://afrique.latribune.fr/politique/politique-publique/2020-08-07/sur-les-routes-de-la-mediterranee-voyage-au-bout-de-l-enfer-854418.html

[5] https://information.tv5monde.com/afrique/libye-des-migrants-africains-vendus-comme-esclaves-par-des-trafiquants-203789 et https://www.amnesty.fr/refugies-et-migrants/actualites/refugies--le-piege-libyen

[6] http://www.infomie.net/spip.php?rubrique121

[7]https://www.infomie.net/spip.php?article3486

[8] https://www.sciencesetavenir.fr/sante/os-et-muscles/jeunes-migrants-pourquoi-les-tests-osseux-ne-suffisent-pas_132404

[9] https://www.politis.fr/articles/2019/03/mineurs-isoles-etrangers-les-tests-osseux-en-question-40121/

 

 


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