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La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

Solidarite avec Mimmo Lucano

Source : Médiapart - Nejma Brahim - 10/12/2020

Le tribunal administratif de Nice a donné raison à deux associations qui dénoncent l’impossibilité de porter une assistance juridique et médicale aux exilés arrêtés à la frontière franco-italienne.

«Cela fait cinq ans que l’on nous refuse l’accès à ces lieux », peste Laure Palun, directrice de l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé). Ces lieux, ce sont des préfabriqués installés au niveau de la police aux frontières (PAF) de Menton et de Montgenèvre (Hautes-Alpes), deux points d’entrée pour les migrants à la frontière franco-italienne particulièrement surveillés.

Les personnes exilées qui sont arrêtées lors de contrôles à la frontière y sont placées le temps que la PAF leur notifie un refus d’entrée, puis les renvoie vers l’Italie. Mais à Menton comme à Montgenèvre, les préfectures affirment qu’il s’agit de lieux de « mise à l’abri » et non de lieux privatifs de liberté, telles que les zones de maintien ou les zones d’attente (lire notre reportage à la zone d’attente de Roissy ici).

Constatant l’impossibilité d’accéder à ces lieux afin de porter une assistance à la fois juridique et médicale aux exilés durant leur maintien, l’Anafé et Médecins du Monde se sont d’abord tournés vers les préfectures des Alpes-Maritimes et des Hautes-Alpes, qui leur ont confirmé l’interdiction d’accès à ces espaces.

Une famille d'exilés interpellée et transférée au poste de la police aux frontières de Montgenèvre (Hautes-Alpes), le 21 novembre. © Juliette Pascal Une famille d'exilés interpellée et transférée au poste de la police aux frontières de Montgenèvre (Hautes-Alpes),
le 21 novembre. © Juliette Pascal
 

« Nous avons donc décidé de saisir les tribunaux administratifs de Nice et de Marseille. La décision du tribunal de Nice est déjà une petite victoire », poursuit l’Anafé. Après une audience au tribunal administratif de Nice le 26 novembre, ce dernier a suspendu la décision du préfet des Alpes-Maritimes portant refus d’accès aux locaux attenants à la PAF de Menton-Pont-Saint-Louis. La seconde audience, au tribunal administratif de Marseille, s’est tenue lundi 7 décembre.

Dans son ordonnance datant du 30 novembre, la juge des référés enjoint au préfet des Alpes-Maritimes « de réexaminer sans délai, et au besoin sous astreinte, la demande d’accès que [les associations] ont formulée ». Elle rappelle le « caractère coercitif » de ce maintien et le « caractère quotidien de ces pratiques de mise à l’abri notamment entre 19 heures et 8 heures », « sans que cette durée soit justifiée par l’examen de leurs dossiers notamment l’étude de demandes d’asile ».

« À Menton, les contrôles ont souvent lieu à la sortie du train, dans la vallée de la Roya ou dans les sentiers de randonnée, indique Laure Palun. Le temps de la procédure, elles sont transférées à la PAF et enfermées dans ces lieux en attendant d’être renvoyées. » Censées y rester quatre heures au maximum, les personnes exilées ont témoigné, à la fois auprès de l’Anafé et de Médecins du Monde, de conditions laissant à désirer.

Selon les associations, la durée de maintien dépasserait « régulièrement » le délai autorisé : passée une certaine heure le soir, le poste de police italien situé de l’autre côté du pont Saint-Louis à Menton est fermé et les exilés doivent passer la nuit dans ces étroites constructions modulaires. « Même en journée, lorsqu’ils sont trop nombreux, ce délai est dépassé car les policiers italiens ne récupèrent pas tout le monde d’un coup. »

« Les conditions de maintien sont scandaleuses, assure la directrice de l’Anafé. Ce sont des Algeco de 15 mètres carrés où l’on ne peut pas s’allonger, avec des bancs collés au mur lorsqu’il y en a. Il n’y a pas forcément de chauffage, pas de nourriture ou très peu. Les toilettes sont à l’extérieur. Il arrive que des femmes et des enfants se retrouvent là alors qu’ils devraient être au poste. Ils n’ont accès ni à un médecin, ni à interprète, ni à un avocat. Ils n’ont aucun droit. »

Contactée par Mediapart, la préfecture des Alpes-Maritimes n’a pas réagi à la décision du juge administratif. Et continue de se réfugier derrière la notion de « mise à l'abri », évoquant des locaux couverts dotés d’un espace extérieur qui permettent de « préserver la sécurité des personnes et de les protéger des intempéries »« L’existence de ces locaux, créés pour faire face au flux migratoire important, a été validée par une ordonnance du Conseil d’État du 5 juillet 2017, rappelle-t-elle. Concernant l’accès au droit, le formulaire de refus d’entrée est un formulaire européen normé qui n’est pas susceptible de modifications au niveau des services de police. Concernant l'accès à un médecin, ni le formulaire, ni les textes ne prévoient d’information à ce sujet, la zone de mise à l’abri n’étant pas une zone d’attente. »

La préfecture ajoute que le nettoyage des locaux et des sanitaires est effectué chaque jour et que les blocs modulaires « disposent d’un chauffage réversible en version climatiseur pour l’été ». Des « bancs métalliques » sont à disposition et permettent à « environ 60 personnes de s’asseoir ». À propos de l’insalubrité des lieux dénoncée par les associations, l’autorité administrative assure que « de nombreuses dégradations sont commises quotidiennement par les personnes accueillies et nécessitent de fréquentes réparations ».

Pour Yannick Le Bihan, directeur des opérations France chez Médecins du Monde, ces arguments ne tiennent pas au vu des nombreux témoignages d’exilés. « C’est une drôle de mise à l'abri. Il était urgent de donner une vraie définition juridique à ces locaux. Nous étions dans une situation de non-droit, sans cadre légal, plutôt en défaveur des exilés qui ne pouvaient pas être assistés. Il est très important pour nous d’être présents à la frontière pour observer les difficultés d’accès aux droits et aux soins de ces personnes. »

En 2019, l’eurodéputée Manon Aubry (La France insoumise) avait tenté d’accéder aux locaux attenants à la PAF de Montgenèvre… Sans succès. « Je m’étais rendue sur place avec un code de procédure pénale qui dispose que les députés peuvent avoir accès aux lieux de privation de liberté », se souvient l'élue. Le commissaire qui la reçoit lui apprend alors l’existence d'une note interne, que Mediapart s’est procurée, qui précise que les « locaux de non-admission et locaux de mises à l’abri » pour la PAF de Menton et Montgenèvre sont des « cas particuliers ».

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Une note interne évoquant l'interdiction d'accès aux parlementaires dans les locaux de "mises à l'abri"
de la PAF de Menton et Montgenèvre. © Document Mediapart
 

« Ces locaux sont des “zones de mise à l’abri”, validés par la jurisprudence. […] Ces locaux n’entrent donc dans aucun cadre juridique de droit de visite des parlementaires », indique la note. «  Ce sont des espaces de non-droit, où des personnes sont détenues et privées de liberté mais où les associations et les élus ne peuvent entrer. Les témoignages de migrants nous apprennent qu’on leur retire leurs affaires personnelles, y compris leurs médicaments, et qu’on fait parfois usage de gaz poivré pour avoir le calme », rétorque Manon Aubry.

Deux maraudeurs venus en aide à des familles à Montgenèvre poursuivis en justice

À ses yeux, la décision du tribunal administratif de Nice est une première étape dans la bataille juridique. « La juge des référés considère que le refus d’accès à ces lieux porte atteinte au principe de fraternité consacré par le Conseil constitutionnel. Notre objectif est de faire reconnaître ces espaces comme des lieux de rétention pour y faire appliquer le droit. »

Et Yannick Le Bihan de constater qu’en plus de cette impossibilité de porter assistance aux exilés, ces derniers se voient notifier des refus d’entrée presque systématiquement. « Ils pourraient demander l’asile mais ne le peuvent pas, car l’interprétation de la PAF entre en jeu. On observe régulièrement des refoulements illégaux qui ne sont pas dignes d’un État de droit. »

À Montgenèvre fin novembre, au moins trois personnes ont été arrêtées dans la montagne et ont reçu une obligation de quitter le territoire français (OQTF) avec un refoulement immédiat. Une pratique illégale selon la directrice de l’Anafé, puisqu’elles ont normalement 48 heures pour faire un recours.

Une décision du Conseil d’État datant du 27 novembre pourrait changer la donne concernant les refus d’entrée notifiés aux exilés arrêtés à la frontière franco-italienne. Celle-ci annule partiellement un décret du 14 décembre 2018 pris pour l’application de la loi Collomb sur l’immigration, qui permet d’opposer un refus d’entrée à un étranger qui a pénétré sur le territoire métropolitain en franchissant une frontière intérieure terrestre.

« On sait que le parcours migratoire est déjà compliqué, notamment pour ceux qui sont passés par la Libye, avec des conséquences sur la santé physique et mentale. Lorsqu’ils arrivent en France, où ils pensent trouver un accueil plus favorable, ils se retrouvent dans des lieux d’enfermement puis sont renvoyés vers l’Italie sans pouvoir demander l’asile », dénonce Yannick Le Bihan.

Du côté de Montgenèvre, le 19 novembre, deux maraudeurs ont été interpellés lors d’une maraude de l’unité mobile de mise à l’abri (Umma), organisée par Médecins du Monde et l’association Tous migrants. Les bénévoles portaient assistance à une famille composée d’une femme enceinte, de son mari et de leurs deux enfants âgés de 10 et 14 ans, qui tentaient de passer la frontière pour la troisième fois.

Placés en garde à vue durant 24 heures, ils sont aujourd’hui poursuivis pour « aide à l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d’étrangers en situation irrégulière en leur faisant franchir la frontière pédestrement » et sont renvoyés devant le tribunal de Gap en avril 2021 [une première audience, fixée au 4 décembre, a été reportée – ndlr].

Pour Agnès Antoine, bénévole à Tous migrants, l’arrivée de renforts venus d’ailleurs explique l’ambiance « étrange » qu’elle a pu observer ces dernières semaines à la frontière. « Leur mauvaise connaissance du terrain les a peut-être induits en erreur. Les policiers qui ont interpellé les deux bénévoles ont affirmé qu’ils avaient passé la frontière alors que ce n’est pas le cas. C’est problématique, car ils ne maîtrisent pas le terrain », soupire-t-elle. Un point que confirme l’avocat des deux maraudeurs, Me Vincent Brengarth : « Les policiers qui les ont interpellés venaient de Pontivy (Morbihan). Ils n’arrivaient pas à donner leur localisation exacte au moment des faits, pourtant la constatation de l’aide à l’entrée irrégulière tient à leur seule interprétation. »

Mi-novembre, la préfecture des Hautes-Alpes a annoncé l’augmentation des effectifs de la PAF de Montgenèvre (10 fonctionnaires) et de la gendarmerie (20 gendarmes), un escadron de la gendarmerie mobile supplémentaire et l’arrivée de 30 militaires des forces sentinelles afin de « lutter contre le terrorisme ». « Nous constatons, depuis, le déploiement d’un arsenal technologique (drones et jumelles thermiques). Ce dispositif permet le refoulement de nombreuses familles fuyant leur pays, ainsi que la criminalisation de la solidarité, à l’image des événements de la journée du 19 novembre », dénonce le comité de soutien aux 3+4+2+2… de Briançon.

Un père et son fils placés dans les constructions modulaires accolées au poste de la police aux frontières de Montgenèvre. © Juliette Pascal
Un père et son fils placés dans les constructions modulaires accolées au poste de la police aux frontières de Montgenèvre.
© Juliette Pascal
 

Contactée par Mediapart, la préfecture des Hautes-Alpes devait répondre à nos questions mais a finalement préféré botter en touche, précisant que « l’autorité administrative n’a pas à commenter une affaire en cours d’instruction », en référence à la procédure en référé lancée par l’Anafé et Médecins du Monde. Le tribunal administratif de Marseille devrait rendre sa décision dans les semaines à venir. Elle n’a pas souhaité s’exprimer non plus concernant les maraudeurs interpellés et poursuivis en justice.

« Dans ce dossier, la position du procureur de la République est intéressante, car elle accepte que le fait humanitaire puisse être pris en compte dans l’aide à la circulation et au séjour des personnes en situation irrégulière. Ce qui est problématique à ses yeux, c’est l’aide à l’entrée et non l’aide à la circulation, ce qui ouvre de nouvelles perspectives. C’est plutôt rassurant », relève Me Vincent Brengarth.

« J’étais moi-même en maraude dans la forêt lorsque les maraudeurs ont été arrêtés, confie Juliette, bénévole à Tous migrants depuis un mois. Le 21 novembre, soit deux jours plus tard, j’ai décidé de me poster devant la PAF de Montgenèvre toute la journée pour prendre des photos. »

Ce jour-là, la jeune femme observe, aux côtés d’Agnès Antoine, une autre bénévole, l’arrivée d’une famille interpellée et transférée à la PAF aux alentours de midi. La mère est emmenée à l’hôpital dans une ambulance sans que son enfant puisse l’accompagner. Lui et son père sont placés dans les constructions modulaires.

« Une deuxième famille est arrivée, composée de deux enfants et de leurs parents, puis un groupe de quatre adultes. L’officier de la PAF me hurlait dessus, me disait “dégage”, “casse-toi”, “tu vas voir si je monte”. On a été contrôlées par trois policiers qui cherchaient à nous intimider », raconte Juliette.

Six heures plus tard, la bénévole entend les pleurs d’un enfant et s’approche des Algeco. « C’était le fils de la femme qui avait été emmenée à l’hôpital. Son père et lui étaient à la fenêtre, ils semblaient désespérés, car ils n’avaient pas eu de ses nouvelles. Le délai légal de maintien avait été dépassé », souligne-t-elle. Le père reçoit une OQTF à 20 heures, avant que la PAF ne le dépose devant l’hôpital où était son épouse.

Alors que la neige fait ses premières apparitions, le comité de soutien aux 3+4+2+2… de Briançon se dit inquiet. « On voit beaucoup de familles avec enfants qui tentent le passage en ce moment, on risque d’avoir des drames. Le renforcement des contrôles à la frontière crée de l’amalgame, nous regrettons le harcèlement policier à l’égard des exilés comme des solidaires », conclut Agnès, qui a adressé un courrier à la préfète des Hautes-Alpes.

Une logique sécuritaire que dénonce également Yannick Le Bihan, de Médecins du Monde. « Nous œuvrons pour l’ouverture des frontières et une plus grande liberté de circulation, mais c’est l’inverse qui se passe en France comme en Europe. Les attentats ajoutent de l’anxiété et le discours sur la fermeture des frontières finit par atteindre l’ensemble de la population. » Jusqu’au député de La France insoumise, François Ruffin, qui a récemment déclaré sur France Inter qu’il fallait « poser des limites à la circulation tous azimuts des personnes ».

 


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