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Fermez les Centres de Rétention !

La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

Solidarite avec Mimmo Lucano

Source : Médiapart - Nejma Brahim - 27/12/2020

Les arrivées de migrants aux Canaries ont fortement augmenté cette année. Ils sont bloqués depuis des mois, en raison de la pandémie et de la fermeture des frontières. Au risque de tensions avec la population locale. Certains sont transférés vers des campements au nord de Gran Canaria.

rguineguín (Espagne).– Ils sont assis sur un banc et regardent les voitures défiler. Il est 10 heures et Oumar*, Mohamad et Bassirou tuent le temps, là, à seulement cinq minutes à pied du port d’Arguineguín qui les a vus débarquer il y a six mois, au sud de Gran Canaria. « On est partis du Sénégal, on était 36 dans un cayuco », confie le premier. L’été dernier, les trois comparses ont décidé de quitter le Mali ensemble pour rejoindre Saint-Louis par la route. Ils embarquent alors pour une nouvelle vie.

À 20 ans, ils fuient « la guerre » et l’instabilité politique de leur pays, cette « vie difficile » dans laquelle ils ne se projettent pas. L’un veut rejoindre Paris, où son père et son frère vivent déjà, les autres espèrent s’installer à Barcelone, où des frères les attendent. « On n’aspire pas à rester aux Canaries, précise Oumar. C’est juste qu’on a préféré passer par le Sénégal plutôt que par la Libye, où c’est très compliqué maintenant. »

Au 20 décembre 2020, 21 524 personnes ont rejoint l’archipel espagnol selon le Haut Commissariat aux réfugiés, contre 2 700 en 2019. Cette route migratoire, longue de plus de 1 000 kilomètres et très empruntée en 2006, semble s’être réactivée (lire notre entretien ici), attirant surtout de jeunes hommes originaires du Maroc et d’Afrique de l’Ouest.

Deux migrants subsahariens observant le port d'Arguineguin, où ils ont débarqué en novembre 2020. © NB.
Deux migrants subsahariens observant le port d'Arguineguin, où ils ont débarqué en novembre 2020. © NB.
 

Depuis quelques mois, et après avoir été « maintenus » au port de cette petite ville côtière de Gran Canaria, Oumar et ses amis sont hébergés dans un hôtel non loin de là. Les traits tirés, le trio semble usé. L’un d’eux est obnubilé par la peau de ses avant-bras et de ses mollets, qui pèle sans qu’il ne sache pourquoi. Miguel, un Canarien âgé de 15 ans, vient interrompre leur ennui. « Hola ! Todo bien ? », leur lance-t-il avec un grand sourire, avant de leur tendre un sac contenant de la nourriture. D’autres Subsahariens, assis à l’arrêt de bus, s’en voient proposer également.

« Ça arrive souvent que des gens nous donnent à manger, leur gentillesse nous réconforte », commente B., un Guinéen. Lui et son cousin sont partis depuis la Mauritanie en novembre, à bord d’une embarcation de fortune transportant 45 personnes. « On a mis cinq jours à rejoindre les Canaries, c’était catastrophique, car il y avait beaucoup de vent et de houle », raconte-t-il, précisant qu’une femme et un enfant de cinq ans étaient à bord.

« La Libye, c’est trop loin et trop dangereux. Là-bas, les passeurs, c’est la mafia, ils peuvent t’arnaquer ou même te tuer avant le départ juste pour garder ton argent. Et puis, c’est beaucoup plus cher », explique-t-il, ajoutant qu’en empruntant la route des Canaries, ils ont pu se cotiser pour acheter une pirogue et de quoi se sustenter durant la traversée, réduisant ainsi les coûts.

Après avoir été secourus par les sauveteurs espagnols et ramenés au port d’Arguineguín, la Croix-Rouge, qui gère l’accueil des migrants sur l’île, a pris le relais. « Certains d’entre nous étaient épuisés. On nous a donné à boire et à manger et des couvertures. On a dû respecter une quarantaine de 14 jours avant de pouvoir sortir. Ça fait du bien de retrouver du lien social, car l’isolement n’était pas facile. »

L’hôtel où ils sont pris en charge accueille, selon eux, entre 500 et 600 personnes de nationalités différentes. Il est lui aussi géré par la Croix-Rouge. En marchant vers le port d’Arguineguín, B. et son ami évoquent les difficultés rencontrées en Guinée, notamment depuis les élections en octobre dernier. Il débloque l’écran de son smartphone et fait défiler les photos d’autres exilés hébergés à l’hôtel : une femme pleine de bleus, un homme blessé à la tête, un autre le pied ensanglanté.

« On part parce qu’on n’a pas le choix »

« C’est pour ça qu’on quitte notre pays. Nos droits sont violés. Certains sont torturés, d’autres disparaissent. On entre chez nous et on frappe nos parents sous nos yeux. On n’aurait jamais imaginé prendre la mer un jour, on était bien chez nous, aux côtés de nos proches. On part parce qu’on n’a pas le choix. »

Sur la gauche, le bateau de sauvetage en mer, reconnaissable à sa taille et à son teint orangé, est à quai. La veille en fin d’après-midi, il portait secours à une quarantaine de personnes à bord d’une embarcation en direction de Gran Canaria. « C’est vrai qu’on a eu beaucoup plus d’arrivées cette année », reconnaît l’un des sauveteurs.

Au bout du quai, Luis, un habitant d’Arguineguín, promène son chien et constate que le camp temporaire de la Croix-Rouge, servant à maintenir les exilés à leur arrivée avant leur transfert à l’hôtel, a été évacué [fin novembre, sur demande de plusieurs organisations qui dénonçaient des conditions d’accueil indignes – ndlr]. Le quarantenaire a grandi ici. Il évoque les Canaries comme une « terre de passage », où il y a toujours eu des migrations.

« Avant, les migrants passaient par le nord du Maroc ou la Libye. Mais là, c’est plus simple et plus court de passer par les Canaries, assure-t-il. Cette année, c’est une invasion. Sauf qu’avec la pandémie, le tourisme a beaucoup chuté et c’est devenu très difficile pour les locaux, car il n’y a plus de travail. »

Luis jette un œil à la rive, en face : il est agent d’entretien à l’Anfi hôtel, qui emploie habituellement 400 personnes. « Aujourd’hui, l’établissement tourne avec dix employés. On a 120 clients cette semaine contre des milliers à cette période en temps normal. Les Canaries vivent du tourisme mais tout est à l’arrêt. »

Les bateaux des sauveteurs espagnols, au port d'Arguineguin. © NB.
Les bateaux des sauveteurs espagnols, au port d'Arguineguin. © NB.
 

De la pêche artisanale, aussi. Au port, des banderoles accrochées aux bateaux viennent justement le rappeler : « Vivimos del tuno » (nous vivons du thon), « El virus mata, sin atun mas » (le virus tue, la pénurie de thon encore plus), « Canarias libre de cuotas » (les Canaries sans limitations de pêche), peut-on lire çà et là. Depuis quelque temps, des bateaux étrangers pratiquent la surpêche du thon au large des côtes canariennes, mettant en difficulté les pêcheurs artisanaux.

« On n’a jamais été autant en difficulté. À côté de ça, les migrants sont hébergés gratuitement, on leur donne à manger et des vêtements, ensuite ils prennent des photos qu’ils envoient au pays et ça en attire d’autres. Ce n’est pas du racisme, c’est une question de survie. Si je tends la main à un exilé, il va m’entraîner avec lui dans la misère », dit-il en mimant son bras chuter vers le bas.

Et d’en vouloir aux hôtels qui accueillent les migrants depuis plusieurs mois : « Ils prennent l’argent de l’Espagne et de l’Union européenne. La municipalité de Mogán est en train de les attaquer, car c’est illégal. »

Sur le front de mer, assis en petits groupes face à la plage où une poignée de touristes est occupée à bronzer, des dizaines de Marocains scrutent l’horizon. « On est arrivés par ici, confie l’un d’eux en pointant du doigt le port. On nous a installés par terre pendant des jours avant que la Croix-Rouge ne nous transfère à l’hôtel. »

C’était il y a trois mois. Depuis, ils « survivent ». Et espèrent rejoindre l’Espagne dès que possible. « En temps normal, les autorités canariennes ferment les yeux et les laissent prendre l’avion pour gagner la péninsule avec leur passeport marocain. Mais depuis dix jours, la police aux frontières fait blocage à l’aéroport », note Raphaële, une membre du réseau Migreurop qui suit de près les migrations aux Canaries.

« On a compris qu’ils avaient stoppé les vols à l’aéroport. Avec le virus, tout est compliqué. Mais on ne nous donne aucune information, donc on attend », chuchote Jamal, dont les amis hochent la tête comme pour insister sur ce dernier point.

« Les conséquences de la crise sanitaire et des difficultés socioéconomiques »

En fin de journée, près de la station balnéaire Maspalomas au sud de l’île, une dizaine de jeunes Marocains et Subsahariens sont assis sur les murets de l’hôtel Oasis Vista. Un agent de sécurité surveille les allées et venues, vérifiant l’identité de chaque personne. Les lieux sont impénétrables. « On ne laisse entrer personne ici », lâchent deux employés de la Croix-Rouge à l’air las.

« On vit une situation très difficile », enchaîne la responsable du centre d’accueil, qui finit par sortir : « Il y a tellement de choses injustes qui se disent sur la Croix-Rouge et les migrants que nous préférons les protéger. Même si la police venait, je ne la laisserais pas entrer. » Selon elle, 350 exilés sont hébergés là, bien que ce soit « aléatoire ». Une vingtaine d’hôtels ont ainsi été transformés en centres d’accueil temporaires à Gran Canaria.

En évoquant les campements construits au nord de l’île, à Las Palmas, la coordinatrice du centre fait la moue. « Il y a même un camp militaire. Ils ont déjà commencé à transférer les migrants là-bas, même certains de notre centre », confie-t-elle en précisant ne pas pouvoir donner davantage d’informations. Contacté par Mediapart, le bureau de la Croix-Rouge n’a jamais donné suite.

La responsable signifie aux résidents de rentrer. Dans la rue attenante, les grillages bâchés qui encerclent l’établissement ne laissent rien entrevoir. Autour de l’Oasis Vista, plusieurs autres hôtels, comme le Vista Flor et le Waikiki, accueillent des migrants.

Le lendemain midi, au nord de l’île, Raphaële retrouve Txema Santana au bureau du CEAR (Comisión Española de Ayuda al Refugiado). En décembre, le responsable plaidoyer de l’agence, qui traite les demandes d’asile aux Canaries depuis 32 ans, note une baisse des arrivées sur l’île, qu’il explique par des conditions météorologiques peu favorables.

« Entre septembre et novembre, les mouvements ont été bien plus importants, indique-t-il. Ce sont les conséquences de la crise sanitaire, la chute du tourisme, les difficultés socioéconomiques et le manque de perspectives d’avenir qui ont poussé ces populations à la migration. » Les changements climatiques au Mali, la surpêche au large du Sénégal ou le fait que les jeunes hommes soient souvent inscrits à l’école coranique, sans formation professionnelle, sont d’autres phénomènes ayant pu conduire à une hausse des départs cette année.

Selon les chiffres du CEAR, 10 à 11 000 migrants seraient présents sur l’ensemble des Canaries, dont 7 500 à Gran Canaria. Sept centres d’accueil ont été créés sur l’archipel, avec l’objectif de « vider » les hôtels au 31 décembre. « Ce délai est impossible à tenir. 3 000 places sont disponibles à Tenerife mais l’île est fermée. À côté de ça, 50 % des places dans la péninsule sont vides, mais on laisse les gens vivre ici sous des tentes », déplore Txema.

« Cela fait 26 ans que le premier bateau de migrants a débarqué aux Canaries. Il est incompréhensible que les autorités espagnoles n’aient pas développé une politique migratoire structurelle d’une part, et qu’elles n’aient pas pris en compte le contexte de la pandémie et la pauvreté chronique d’autre part », poursuit le représentant du CEAR, rappelant que 35 % des Canariens sont en situation de pauvreté ou risquent de l’être. Une situation qui suscite une certaine « crispation sociale » et un sentiment d’envie inapproprié chez les locaux, qui peuvent se sentir « abandonnés au profit des migrants », explique Raphaële.

Yassin et deux autres jeunes Marocains, sur les hauteurs du camp Collegio León, à Gran Canaria. © NB.
Yassin et deux autres jeunes Marocains, sur les hauteurs du camp Collegio León, à Gran Canaria. © NB.
 

Au sud de Las Palmas, le Collegio León, un établissement désaffecté, sert depuis peu à l’accueil de migrants marocains. C’est le premier des sept centres à avoir ouvert mi-décembre, il est géré par la Cruz blanca. Situé en contre-bas d’une route bordée d’habitations, dans un quartier populaire, le campement laisse apparaître douze grandes tentes blanches, tatouées du drapeau de l’Union européenne et installées dans la cour de l’ancien collège.

En milieu d’après-midi, sur les hauteurs du camp, plusieurs jeunes sont assis dans l’herbe et observent ce qui leur sert d’abri depuis deux jours. « On était dans un hôtel à Playa del Ingles [au sud de l’île – ndlr]. Ils nous ont transférés ici avant-hier soir. Il n’y a que des hommes et des Marocains », raconte Mehdi*, derrière le grillage de l’une des entrées de l’établissement.

À 27 ans, il est l’aîné de quatre sœurs et le seul à pouvoir travailler. « J’étais plombier, mais ça ne suffit pas à nourrir la famille. J’ai décidé de partir pour rejoindre Madrid ou Cuenca, où j’ai de la famille, et trouver un travail qui me permettrait d’aider ma famille au Maroc. C’est tellement difficile d’améliorer ses conditions de vie en étant là-bas. »

Lui et 21 autres personnes, dont deux mineurs, sont partis en barque depuis Dakhla. Près des côtes canariennes, la coque de la barque s’est fissurée, laissant l’eau s’infiltrer. « On a eu peur de mourir, on a commencé à prier. Puis les sauveteurs sont venus nous secourir », se souvient-il, précisant que c’était « la seule route » leur permettant de rejoindre l’Espagne, notamment à cause du renforcement des contrôles à la frontière au nord du Maroc.

De l’autre côté, toujours sur les hauteurs qui entourent le camp, d’autres hommes errent dans cette attente éternelle d’une autre vie. « On doit être 250 là-dedans, précise Yassin, qui cumulait les petits boulots au Maroc sans pouvoir s’en sortir. Chaque tente est divisée en deux compartiments et chacun d’entre nous a un lit pour dormir. En journée, on a le droit de sortir jusqu’à 21 heures. »

À terme, le camp doit accueillir 700 personnes. Sous le préau du collège désaffecté, des tables ont été installées et font figure de réfectoire pour les repas. À l’extérieur, des vêtements sèchent au soleil, suspendus à un fil.

Le camp Collegio León, près de Las Palmas à Gran Canaria, qui accueille des migrants marocains depuis mi-décembre 2020. © NB.
Le camp Collegio León, près de Las Palmas à Gran Canaria, qui accueille des migrants marocains depuis mi-décembre 2020. © NB.
 

Tous expliquent rester à proximité du camp pour éviter de croiser la police. « Un agent de sécurité m’a tabassé un soir à Puerto Rico [une autre commune de Gran Canaria – ndlr]. Il m’a volé tout mon argent, soit 400 euros », assure l’un d’eux. Un autre, qui serait rentré ivre au camp la veille, aurait été embarqué par la police. « On nous a dit qu’on ne le reverrait pas. »

« Il a sûrement été emmené au centre d’internement des étrangers, équivalent aux centres de rétention administrative en France, en attendant son expulsion », commente Raphaële. Connu sous le nom de « Barranco Seco », celui-ci se situe au nord de l’île.

Tandis que le ciel s’assombrit pour accueillir la tombée de la nuit, des adolescents remontent les escaliers vers les habitations entourant le camp. Ils saluent les Marocains sur leur passage, puis leur proposent d’aller faire quelques passes. Les uns parlent espagnol, les autres arabe, mais le ballon de foot est un langage universel. « C’est la première fois qu’ils nous proposent de jouer avec eux, se réjouit l’un des jeunes Marocains. On pensait qu’ils ne nous aimaient pas trop dans le coin. »

La petite placette prend vie au rythme des cris et des rires qui accompagnent la partie de foot. « C’est comme ça qu’ils se feront accepter dans le quartier. Les parents vont voir que ça se passe bien, et pour les plus conservateurs, ça suffira sans doute à les rassurer », conclut Raphaële.

 

 


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