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Source : Médiapart - Nejma Brahim - 10/01/2021

Mediapart embarque pour plusieurs semaines sur le navire de SOS Méditerranée. Lundi 11 janvier, l’ONG est repartie après cinq mois d’immobilisation imposée par l'Italie. Elle reprend ses opérations de secours à un moment où, au large de la Libye, peu de bateaux sont en mesure de porter secours aux migrants.

e navire avait été contraint de rester à quai, au port de Porto Empedocle, en Sicile, au cours des cinq derniers mois, après avoir été bloqué par les autorités maritimes italiennes pour des raisons administratives. L’Ocean Viking est reparti lundi 11 janvier en Méditerranée centrale, pour porter secours aux embarcations de migrants en détresse. Mediapart est monté à bord pour témoigner des opérations.

En cause officiellement en Italie : une « nouvelle interprétation » du droit maritime appliquée à tous les navires de sauvetage depuis avril 2020, selon Sophie Beau, directrice de SOS Méditerranée. Cette interprétation impose, étant donné le caractère « répété » des activités de sauvetage, de renforcer la sécurité à bord du navire, qui est désormais certifié pour 286 personnes et non plus 41 après des travaux de réaménagement.

« L’inspection des garde-côtes italiens a conduit à la détention de l’Ocean Viking du 22 juillet au 21 décembre. Cela revient à bloquer des ambulances, c’est scandaleux et cynique », peste celle qui a cofondé SOS Méditerranée en 2015 avec le capitaine de porte-conteneurs d’une société allemande, tous deux « choqués » par la fin de l’opération européenne « Mare Nostrum » visant à secourir les migrants en mer.

L’« Ocean Viking » à quai, au port de Marseille, avant la reprise de ses opérations de sauvetage en janvier 2021. © NB
L’« Ocean Viking » à quai, au port de Marseille, avant la reprise de ses opérations de sauvetage en janvier 2021. © NB
 

Après quelque 271 opérations de sauvetage et 31 799 personnes secourues en quatre ans, d’abord avec l’Aquarius, puis avec l’Ocean Viking, l’association n’a sauvé « que » 903 personnes en 2020. « Ça a été une année très difficile, souffle Sophie Beau. L’Ocean Viking était en mer en janvier-février et, lorsque l’on a débarqué les personnes en Italie, le pays connaissait une première flambée épidémique liée au Covid-19. On a senti que les frontières se fermaient, il y avait une désorganisation totale du monde maritime. »

Par mesure de sécurité, SOS Méditerranée décide alors de suspendre temporairement ses opérations. Son partenaire médical, Médecins sans frontières, choisit de quitter l’aventure à la suite d’un désaccord à ce sujet. La rotation du mois de juin – la dernière avant le blocage du navire – connaît des tensions sans précédent : d’une part, le Covid-19 et les restrictions sanitaires aseptisent les relations humaines à bord ; d’autre part, débarquer les personnes en Italie ou à Malte s’avère compliqué.

« Les États européens ne voulaient pas nous donner de port sûr, rembobine la directrice de SOS Méditerranée. L’Ocean Viking a été bloqué en mer durant onze jours. Ça a dégénéré, il y a eu des tentatives de suicide et des personnes qui se sont jetées par-dessus bord. On a dû déclarer l’état d’urgence, l’équipe a été très marquée par ces événements. »

Fin août, c’est le navire humanitaire Louise Michel, affrété par le street artist Banksy, qui restait sans réponse des autorités italiennes et maltaises durant des heures, malgré la situation critique dans laquelle il se trouvait (lire notre article ici).

« Depuis mi-2018, l’ouverture d’un port n’est pas systématique, c’est même plutôt le contraire, abonde Frédéric Pénard, directeur des opérations. Il y a des considérations politiques internes à l’Union européenne en termes de politique migratoire, de répartition des migrants dans les pays… Mais ce ne sont pas des considérations pour un capitaine ! Le barquement ne peut être soumis à un préambule de discussions entre États, et donc à une attente insupportable sur le navire. »

La pandémie semble donner une raison supplémentaire aux autorités maritimes italiennes et maltaises pour ignorer les demandes de débarquement des ONG durant quelque temps. Dès mars 2020, les deux pays méditerranéens ont choisi de fermer leurs frontières.

Pour Sophie Beau, la « criminalisation » des ONG a précédé l’arrivée de Matteo Salvini au ministère de l’intérieur italien en juin 2018, connu pour ses mesures anti-migrants. « Avec l’arrivée de Luciana Lamorgese en 2019 [sa successeure – ndlr], l’Italie est revenue à la table des négociations. Depuis, il y avait un mécanisme de débarquement coordonné, mais tout a volé en éclats avec la pandémie », confie Sophie Beau.

En septembre, le navire humanitaire espagnol Open Arms reprenait la mer après six mois de travaux et d’aménagement. Fin décembre, il était le seul navire à patrouiller en Méditerranée centrale et secourait 265 migrants au large des côtes libyennes. Une partie d’entre eux était à bord d’une embarcation en bois en piteux état, sans eau ni nourriture durant deux jours.

Le Sea-Watch 3, de l’ONG allemande Sea-Watch, a, lui aussi, été bloqué par les autorités italiennes au port de Porto Empedocle, à l’issue d’une quarantaine de quatorze jours venant boucler l’une de ses missions de sauvetage en Méditerranée, le 8 juillet dernier. 

« La conséquence de ces blocages a été de laisser une mer vide de navires pouvant porter secours aux personnes en détresse. Il y a donc eu des naufrages répétés », explique Frédéric Pénard, ajoutant qu’en temps normal déjà la société civile compense l’absence des États européens. Le 12 novembre dernier, près de 100 migrants avaient perdu la vie dans deux naufrages au large de la Libye.

« Il n’y a plus eu de navire européen sur zone après les opérations de sauvetage “Triton” ou “Sophia” de Frontex [l’agence européenne de surveillance des frontières – ndlr], qui utilise la notion d’appel d’air pour se retirer, souligne Sophie Beau. C’est faux : l’absence de bateaux de sauvetage en mer n’empêche pas les départs. En 2020, malgré le blocage des navires de sauvetage humanitaires par les autorités italiennes, les gens ont continué de partir. »

Des interceptions répétées par les garde-côtes libyens
Sur le pont de l’«Ocean Viking», le 4 juillet 2020. © Shahzad ABDUL / AFP
Sur le pont de l’«Ocean Viking», le 4 juillet 2020. © Shahzad ABDUL / AFP
 

Fin 2019, deux chercheurs déconstruisaient le mythe de « l’appel d’air » à travers les résultats d’une étude réalisée pour l’European University Institute de Florence, démontrant que les opérations de recherche et de sauvetage en mer n’avaient pas de corrélation avec le nombre de migrants quittant la Libye par la mer. La météo étant, en plus d’autres facteurs d’ordre géopolitique, le seul élément pouvant avoir une réelle influence sur les départs.

Selon les données du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), 708 personnes ont disparu en Méditerranée centrale l’an dernier. Au 30 novembre 2020, l’agence des Nations unies comptait plus de 34 000 arrivées via cette route migratoire. Entre janvier et août 2020, déjà 17 350 personnes avaient rejoint l’Italie et Malte, soit trois fois plus qu’en 2019 à la même période.

Les personnes secourues étaient originaires d’Afrique de l’Ouest, de Somalie, d’Érythrée, de Tunisie, du Bangladesh et du Pakistan. Si le nombre de traversées a baissé depuis le pic des migrations connu en 2015 en Europe, le taux de mortalité continue de progresser, passant de 1,96 en 2017 à 3,63 % en 2019. Sans parler des « naufrages invisibles », que l’ONG Alarm Phone tente de répertorier à la suite de signalements envoyés par les migrants en détresse ou leurs proches.

« En hiver, il y a moins de départs, vu le climat peu favorable. Il suffit que l’on ait une mer plus clémente pour qu’il y ait plusieurs départs au même moment. Nous devons donc rester très vigilants, car les sauvetages peuvent s’enchaîner en l’espace de quelques jours », indique le directeur des opérations de SOS Méditerranée. Des embarcations surchargées et une météo changeant brutalement peuvent, par ailleurs, mettre les migrants en difficulté.

En 2020, un autre élément est venu compromettre les traversées des migrants. De nombreuses interceptions des garde-côtes libyens ont été recensées par les associations. Depuis juillet 2018, la Libye a la responsabilité du sauvetage en Méditerranée centrale (lire notre enquête). Dans la pratique, explique Sophie Beau, le pays n’en assure pas la coordination.

« Si les personnes n’arrivent pas à dépasser la limite entre la zone libyenne et la zone maltaise, il y a de grands risques qu’elles soient renvoyées en Libye », confirme Jose Benavente, cofondateur de l’association Pilotes volontaires, dont l’objectif est d’apporter un soutien d’observation aérienne aux ONG effectuant des opérations de recherche et de sauvetage en Méditerranée centrale. Après avoir vu leur premier avion, le Colibri, bloqué par l'Italie en 2019, les pilotes ont pu reprendre leurs vols en novembre 2020 à bord d'un nouvel appareil certifié aux normes européennes.

« Nous regrettons qu’il n’y ait pas eu plus de bateaux sur zone cette année. Nous avons fait une dizaine de vols en 2020 et repéré quatre embarcations. Nous n’avons pas eu de nouvelles de la première, deux d’entre elles ont été secourues par l’Open Arms et la quatrième a éinterceptée par les garde-côtes libyens. » Afin de documenter ces interceptions, les pilotes transmettent, à chaque fois, des informations à des organisations humanitaires internationales actives sur le territoire libyen.

« Nous savons qu’il y a des violations des conventions internationales là-bas et faisons tout pour éviter les push back [refoulements – ndlr] vers la Libye, précise Jose Benavente. Lorsqu'on est présent lors d'une interception, on ne peut qu'espérer que l'opération se passe dans les meilleures conditions possibles. »

L'Organisation internationale pour les migrations (OIM) estime le nombre de migrants présents en Libye à 574 146. Il y aurait environ 2 700 personnes détenues dans des camps, où des faits de torture et des violations de droits humains sont régulièrement rapportés par les ONG internationales. Toujours selon l'OIM, un migrant sur deux qui prendrait la mer depuis la Libye serait refoulé par les garde-côtes libyens.

En avril 2020, soit en pleine crise sanitaire mondiale, Malte procédait elle-même à un refoulement illégal en enrôlant trois chalutiers privés pour intercepter des migrants en Méditerranée, qui avaient déjà pénétré la zone de secours maltaise, et les renvoyer vers la Libye (lire notre article).

Un mois plus tôt, c’était des garde-côtes grecs, en Méditerranée orientale cette fois, qui usaient de la technique de push back, allant jusqu’à tirer vers un bateau de migrants à la dérive. L’experte des droits humains Agnès Callamard avait alors évoqué, dans un entretien, une Europe enfermée dans une « politique de militarisation et de sécurisation du contrôle de ses frontières ».

S’agissant de la pratique du refoulement, des blocages de bateau ou des attributions tardives de port pour le débarquement, la directrice de SOS Méditerranée pointe du doigt une « responsabilité partagée » sur le plan européen. « Il est aisé de dire que les Italiens ne sont pas “gentils, mais la vérité est que les opinions publiques se sont radicalisées face à un abandon et un manque de solidarité européenne. »

En attendant, plus de 20 000 vies ont été englouties en Méditerranée au cours des six dernières années, selon l’OIM. « Notre action n’est pas politique, le fait de secourir des personnes en mer est une obligation légale. Force est de constater que les États européens sont capables de renoncer à cet impératif parce qu’il s’agit de personnes migrantes. Quelle est l’étape suivante ? », conclut Sophie Beau.

 

 


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