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Source : Médiapart - Nejma Brahim - 17/01/2021

Le navire humanitaire de l’association SOS Méditerranée a repris la mer le 11 janvier 2021 pour mener ses opérations de sauvetage en Méditerranée centrale. Entre trajectoires personnelles, envie d’agir et « destinée », les membres de l’équipage ont chacun une bonne raison d’être à bord.

Crâne à moitié rasé, dreadlocks et tatouages sur l’avant-bras suffisent à l’identifier. Sous ses airs mi-rasta mi-punk, Tanguy, alias « Tang », est l’une des figures de l’Ocean Viking. À près de 40 ans, il occupe un poste déterminant : depuis trois ans, il est à la tête des équipes de recherche et de sauvetage et compte douze personnes sous ses ordres.

« Je travaille pour SOS Méditerranée depuis août 2016. Un ami et moi avions envoyé nos CV en précisant que c’était nous deux ou rien. Ça a marché », relate-t-il un sourire en coin.

Mardi 12 janvier, soit un jour après que le navire norvégien a levé l’ancre, Tanguy lance une série d’entraînements aux opérations de sauvetage au nord de la Corse. À bord de son bateau de secours rapide, l’EZ1 (à prononcer « Easy one »), il est dans son élément.

Tanguy guidant le bateau de secours rapide « EZ1 », lors des entraînements aux opérations de sauvetage. © NB
Tanguy guidant le bateau de secours rapide « EZ1 », lors des entraînements aux opérations de sauvetage. © NB
 

Se positionnant debout sur la plateforme de l’embarcation, il enroule ses jambes autour des rambardes de sécurité et guide le conducteur à l’aide de ses mains. Il reste droit comme un I, même lorsque le bateau prend de la vitesse et chevauche les vagues, laissant la coque du bateau s’élever puis retomber pour cogner la mer.

Vêtu de sa tenue imperméable marquée d’un insigne breton, son gilet de sauvetage, son casque et son oreillette, Tanguy improvise des positions sur le bateau, grille une cigarette, fait la grimace… Une légèreté spontanée qu’il ne se permet que lors des entraînements, pour ne jamais perdre de vue son objectif principal : « Mener les opérations avec succès. »

« Hassan, où est la civière ? », lance-t-il du haut de la plateforme. Au cours du premier entraînement, certains hésitent ou ne savent pas, déstabilisés par ce qui ressemble à une interro surprise. Il faut une bonne heure à Tanguy et Rocco, le conducteur, pour se coordonner et parvenir à une communication parfaite.

« L’intérêt de ces exercices, c’est que tout le monde parle le même langage. Ça facilite beaucoup les interventions, c’est plus efficace et il y a moins d’erreurs », précise-t-il en remuant les sourcils qui surplombent ses yeux bleus. De même, cela permet à ceux qui n’ont jamais pratiqué certaines manœuvres de se les approprier.

Depuis la dernière rotation de l’Ocean Viking, en juin 2020, Tanguy passe le « flambeau opérationnel » à Jérémie, l’un des sauveteurs de son équipe, afin qu’il devienne lui aussi responsable d’équipe. « On est déjà deux à ce poste et on tourne pour les rotations. En étant trois, on pourra être à deux sur une même mission et nous améliorer, tandis que le troisième est en repos. »

Impossible de ne pas voir la complicité qui relie les deux comparses. Le matin au réveil, Tanguy apporte une tasse de café à Jérémie dans la cabine qu’ils partagent. Le premier a été pompier dès l’âge de 16 ans, puis sauveteur et militaire, le second a fait de la recherche en mathématiques ou du cinéma avant de suivre une formation de matelot. Tous deux ont décidé d’envoyer un jour leur CV à SOS Méditerranée pour se rendre utiles, gravissant ensuite les échelons.

« Pour être responsable des équipes de recherche et de sauvetage, il faut avoir une capacité opérationnelle et savoir entraîner les équipes en toute bienveillance. On a une énorme responsabilité, les vies des sauveteurs et des rescapés dépendent de nous », souligne le duo. Tanguy reconnaît le « stress monstrueux » lié à son poste : « à chaque opération de sauvetage, j’ai la sensation de perdre un mois de vie. Mais on le fait parce qu’on a le sens du devoir ».

Tanguy et Jérémie, à bord du bateau de secours rapide « EZ1 ». © NB
Tanguy et Jérémie, à bord du bateau de secours rapide « EZ1 ». © NB
 

Les pires scénarios qu’ils aient pu rencontrer se sont déroulés de nuit et par mauvais temps, avec plusieurs embarcations à secourir. À mesure que Tanguy livre son récit de cette nuit de janvier 2018, dont il a encore des flashs aujourd’hui, son binôme assis près de lui ferme les yeux, comme pour absorber l’horreur qui s’apprête à être dévoilée.

« C’était un carnage, souffle Tanguy, laissant sa voix s’emballer. Il y avait entre 1,5 et 2 mètres de houle. Les deux premiers bateaux de secours sont allés vers le canot pneumatique en détresse. L’EZ3, qui était trop plein, a pris l’eau et on a dû aller l’aider. » Avant que l’Aquarius n’intervienne [le premier navire de SOS Méditerranée - ndlr], Tanguy voit un bateau des douanes italiennes passer devant l’embarcation en détresse sans lui porter assistance.

L’un des rafts transportant des survivants se retourne. Des corps flottent dans l’eau. Des bébés sont inconscients. « Je ne sais pas combien de personnes sont mortes ce soir-là. Sur les neuf personnes ayant reçu une réanimation cardio-pulmonaire, six ont survécu. On a ramené 99 personnes à bord avec les moyens qu’on avait », se remémore-t-il. Tous les enfants ont la vie sauve.

« Il n’y a que des âmes chahutées à bord de ce navire, complète Jérémie. Mais malgré le stress et les situations difficiles que l’on peut vivre, ces missions nous apportent beaucoup plus que tout ce qu’on a pu faire dans notre vie. Personne ici n'a un parcours linéaire, on est là car c'est notre destinée. »

Au sommet de l’Ocean Viking, en passerelle, Luisa et Matthieu sont entourés de commandes et d’ordinateurs leur permettant de garder le contact avec les autorités maritimes et les avions de reconnaissance d’ONG effectuant des patrouilles en Méditerranée centrale pour repérer des embarcations en détresse. Elle est coordinatrice des opérations de recherche et de sauvetage, lui est son adjoint.

Ensemble, ils gardent un œil sur leur itinéraire et les conditions météorologiques. Réunissent les équipes de SOS Méditerranée chaque jour pour faire le point. Pour Matthieu, il s’agit d’une première fois. Luisa, originaire de Turin en Italie, travaille pour l’ONG depuis août 2019.

« Chaque opération est différente, relève celle qui en est à sa cinquième rotation. Il y a un risque pour chacune d’entre elles, même celle qui peut paraître aisée. Je retiens toujours mon souffle jusqu’à ce que tous les survivants soient à bord de l’Ocean Viking. »

« Toutes les équipes sont au service des rescapés »

Durant chaque opération, Luisa et Matthieu restent en communication constante avec les autorités compétentes, selon la zone de recherche et de secours (SAR). L’un d’entre eux doit aussi assurer la liaison avec les équipes de recherche et de sauvetage durant l’opération.

« Nous devons prendre en considération le vent et la trajectoire de l’embarcation en détresse avant d’envoyer les sauveteurs », explique Luisa dans un anglais à l’accent italien. Auparavant consultante en informatique, la quinquagénaire a décidé de changer de vie et s’est découvert une passion pour la mer.

« J’ai été navigatrice et j’ai travaillé dans une réserve marine, avant de rejoindre l’ONG Sea Shepherd qui lutte pour la protection de la mer et contre la surpêche », poursuit-elle en passant la main dans sa chevelure dorée. 

Luisa, la coordinatrice des opérations de recherche et de sauvetage, en passerelle. © NB
Luisa, la coordinatrice des opérations de recherche et de sauvetage, en passerelle. © NB
 

Petit à petit, Luisa estime qu’elle ne peut se contenter de regarder des femmes et des hommes engloutis par la mer alors que ceux-ci tentent de rejoindre son pays, l’Italie. « Je devais agir. Une fois, j’ai eu le cas d’une mère qui avait accouché cinq jours avant la traversée. Si elle est partie avec un nouveau-né, on peut imaginer qu’elle n’avait pas le choix. »

Décrivant des personnes ayant vécu l’enfer, la responsable des opérations assure que ses équipes font leur maximum pour les protéger et leur rendre « le plus de dignité possible ». « Une fois l’opération de sauvetage terminée, toutes les équipes sont au service des rescapés pour prendre soin d’eux. »

Assis dans la salle à manger du navire, une aura mystérieuse émane de Hassan, l’un des marins-sauveteurs de l’équipe EZ1. Teint hâlé, cheveux ébène et barbe éparse, le trentenaire est originaire de la région d’Al-Fayum en Égypte. Il travaille depuis trois ans et demi pour SOS Méditerranée.

« J’ai moi-même traversé la Méditerranée, comme les gens que l’on sauve. J’ai vu certains de ceux qui m’accompagnaient mourir », confie-t-il un soir, sans détour, à la cheffe de l’équipe médicale dans la salle à manger du navire. Évoquant une « responsabilité collective », Hassan affirme vouloir davantage d’actions concrètes et moins de discours, notamment politiques, à propos des migrations.

Sur le bateau de secours lors des entraînements, il est en symbiose avec la mer. Ça n’a pourtant pas toujours été le cas. « Quand j’étais plus jeune, je détestais la mer, se souvient-il. Mais je l’ai apprivoisée, tout comme mon histoire personnelle, grâce au professeur qui m’a appris à devenir marin-sauveteur en Italie. »

Arrivé en Sicile à l’âge de 14 ans et demi, il n’aurait jamais cru traverser un jour la Méditerranée. « Mon village et celui d’à côté étaient réputés pour avoir vu beaucoup de jeunes partir pour l’Europe. Ils revenaient des années plus tard pour visiter les leurs et affirmaient que tout était parfait, ce qui était faux bien sûr », dit-il avec une pointe d’amertume.

Issu d’un milieu agricole, l’adolescent s’estime « chanceux » d’avoir pu aller à l’école. « Il y avait un avocat ou un médecin au sein de ma famille éloignée et cela m’a donné envie d’étudier. » À l’âge de 13 ans, il décide de quitter son pays pour la Libye sur un coup de tête, après avoir constaté que la corruption l’empêcherait de poursuivre ses études pour devenir médecin ou entrer dans l’armée.

Seul son cousin, qui l’accompagne, est au courant de son périple. Tous deux prennent le bus pour la ville de Syrte, puis trouvent une colocation dans une maison partagée par des Égyptiens. Chaque jour, ils se rendent au « square » dans l’espoir que des employeurs leur donnent du travail dans les marchés, l’agriculture ou la construction.

Hassan a lui-même traversé la Méditerranée depuis la Libye lorsqu'il était adolescent. © NB
Hassan a lui-même traversé la Méditerranée depuis la Libye lorsqu'il était adolescent. © NB
 

« J’ai réalisé qu’il ne serait pas facile d’étudier là-bas non plus. Je voyais mon rêve s’éloigner quand, au bout de onze mois, l’ami d’un ami nous a parlé de rejoindre l’Europe par la mer », chuchote Hassan.

Lui et son cousin rassemblent leurs économies, succombant à la promesse d’un « voyage sans danger », à bord d’un bateau sûr contenant dix personnes. Trois jours plus tard, ils sont embarqués dans un hangar à plusieurs heures de route, où ils découvrent un « système esclavagiste ». « Il y avait des gardiens armés qui nous frappaient sans raison. Nous n’avions pas le droit de parler ou de tousser, nous ne pouvions pas aller aux toilettes », énumère-t-il.

Lorsqu’il tente de s’échapper, il est frappé avec la crosse d’une arme devant tous les autres. « C'était une leçon pour tous les autres », dit-il en se caressant le crâne, qui en porte encore la cicatrice. Une nuit, des hommes les emmènent par petits groupes sur un rivage et leur demandent de vider leurs poches de leurs effets personnels.

« On a ensuite dû rentrer dans l’eau pour rejoindre un premier bateau. Ceux qui refusaient se faisaient frapper. » Il réalise que la seconde embarcation, qui leur servira pour la traversée, est un simple bateau de pêcheur.

Durant trois jours, ils tournent en rond dans les eaux libyennes, bravant le vent et la pluie. Lorsqu’ils aperçoivent de la lumière au loin, ils pensent être arrivés en Europe mais finissent par comprendre qu’il s’agit d’une plateforme de pétrole en Libye. L’embarcation, pleine de 300 personnes, retrouve le bon cap par pur hasard.

« Nous sommes arrivés à Lampedusa deux jours après et les garde-côtes sont venus à notre rencontre pour nous tracter. Mais les gens se sont agités et le bateau s’est retourné. Tout le monde était à l’eau. Un homme qui m’aidé a ensuite coulé sous mes yeux », raconte Hassan dans une émotion contenue. Des enfants, des femmes et des personnes âgées perdent la vie.

Le jeune Égyptien se réveille à l’hôpital, puis est pris en charge dans un centre d’accueil pour mineurs en Sicile. Il y reste quelques mois et part pour Milan où il est confronté, avec d’autres mineurs étrangers, à la rue et au harcèlement de pédophiles cherchant à profiter de leur désarroi. « Finalement, je suis revenu au centre d’accueil pour leur demander de l’aide. Une famille m’a prise sous son aile, j’ai appris l’italien et j’ai pu m’inscrire au lycée. »

En alternance avec ses cours, Hassan travaille à la réception du centre. Là, il comprend qu’il fera de l’humanitaire son métier. Il étudie la médiation culturelle à l’université et enchaîne les formations de marin-sauveteur. Parallèlement à ses études, il travaille dans différents centres d’accueil pour demandeurs d’asile et mineurs étrangers jusqu’à l’âge de 26 ans.

« Ensuite, j’ai travaillé pour Frontex dans le cadre de l’opération Mare Nostrum”, puis pour les ONG Emergency, Save the Children, Mediterranea et Médecins sans frontières. » Il rejoint SOS Méditerranée en 2017 et participe aux missions de sauvetage de l’Aquarius. À bord de l’EZ1, Hassan est celui qui fait la connexion avec les personnes secourues en mer, mettant à profit sa maîtrise de l’arabe, de l’italien et de l’anglais, mais aussi ses compétences en médiation culturelle.

« Le plus difficile à mes yeux, c’est quand des personnes meurent devant moi. J’ai l’impression d’avoir les mains sales. » À chaque opération de sauvetage, il revit sa propre histoire et en tire « l’énergie » nécessaire pour sauver la vie de « personnes qui n’ont pas fui leur pays par choix mais par désespoir ».

 

 


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