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La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

Solidarite avec Mimmo Lucano

Source : Médiapart - mdemille - 22/01/2021

S’arrimer va rester périlleux. A cause des gardiens. Des garde-côtes. Des garde-fous. À cause des mouvements de repli à l’intérieur des terres, de l’indifférence, qu’elle soit individuelle ou, plus grave, systémique : politique. Il ne peut nullement être question de « seuil de tolérance » lorsqu’il s’agit d’une femme, d’un homme, d’un enfant à sauver. La boue des camps, les vagues glacées des mers sont les linceuls des corps des migrants qui n’ont pas résisté, que les courants ont emportés.

« Chaque vague se soulevait en s'approchant du rivage, prenait forme, se brisait, et traînait sur le sable un mince voile d'écume blanche. La houle s'arrêtait, puis s'éloignait de nouveau, avec le soupir d'un dormeur dont le souffle va et vient sans qu'il en ait conscience. Peu à peu la barre noire de l'horizon s'éclaircit » écrit Virginia Woolf1. L’éclaircie au bout du rivage, vraiment ?

Les marées, entre les vagues

« D’un certain point de vue, la crise sanitaire a permis aux différents gouvernements de masquer leurs errements et leurs divergences internes sur les politiques à mener », écrit Philippe Walkowiak à propos du coronavirus et des pouvoirs politiques2.

L’accalmie entre les deux vagues de la pandémie n’a pas servi à pallier leur inefficacité.

Y compris en matière d’accueil, de politiques européenne et belge liées à l’immigration. « Il faut s'arracher la peau pour quitter son pays , écrit aussi Laurent Gaudé. Et qu'il n'y ait ni fils barbelés ni poste frontière n'y change rien. J'ai laissé mon frère derrière moi, comme une chaussure que l'on perd dans la course. Aucune frontière ne vous laisse passer sereinement. Elles blessent toutes3 ».

Le rivage est en vue mais l’éclaircie dont parle Virginia Woolf est pourtant loin.

S’arrimer va rester périlleux. A cause des gardiens. Des garde-côtes. Des garde-fous. A cause des mouvements de repli à l’intérieur des terres, de l’indifférence, qu’elle soit individuelle ou, plus grave, systémique : politique. Terres d’Europe. Terre en vue !

Dans sa pièce Novecento, le dramaturge italien Baricco écrit : « Ça arrivait toujours, à un moment ou à un autre, il y en avait un qui levait la tête... et qui la voyait. C'est difficile à expliquer. Je veux dire… on y était plus d'un millier, sur ce bateau entre les rupins en voyage, et les migrants, et d'autres gens bizarres, et nous... et pourtant, il y en avait toujours un, un seul sur tous ceux- là, un seul qui, le premier… la voyait. Un qui était peut-être là en train de manger, ou de se promener, simplement, sur le pont… ou de remonter son pantalon... il levait la tête un instant, il jetait un coup d'oeil sur l'océan... et il la voyait. Alors il s'immobilisait, là, sur place, et son coeur battait à en exploser, et chaque fois, chaque maudite fois, je le jure, il se tournait vers nous, vers le bateau, vers tous les autres, et il criait (adagio et lentissimo) : l'Amérique ! »4

Les rives de l’Europe

Pas question d’Amérique ici. Juste des rives européennes.

Celui ou celle qui a tout quitté voudrait atteindre un seuil qui, une fois franchi, signifierait pour lui ou elle, enfin, la possibilité d’une vie. Juste cela.

Le seuil a fonction poétique, surtout lorsqu’il est précédé de la mer, cette mer qui depuis l’Antiquité, a porté de contrée à contrée des navires entiers de femmes, d’hommes et d’enfants en quête d’un havre. Mais il ne suffit pas de viser le seuil. Celui-ci ne se franchit pas seul.

S’il est sous le feu des projecteurs – des phares ? –, ceux-ci sont fort éteints depuis quelques mois par cette pandémie qui emporte dans ses vagues celles et ceux qui, le regard tendu à en perdre le souffle, voulaient que la porte s’ouvre, que le port soit accessible.

L’oubli et les vagues des politiques européennes les ont ensevelis dans cette mer qui sépare depuis tant de temps, le Sud du Nord. Les projecteurs se sont éteints ou bien leur lumière a diminué dans les informations, laissant les embarcations dériver. Et les êtres humains en quête d’Europe mourir. Ensevelis. Noyés.

Le seuil sera resté promesse. Et rempart des forteresses. Beaucoup ont peur de ce qui est différent, de celui qui arrive et qui diffère de lui5.

Or, la seule justification du seuil est celle de l’ouverture. C’est le seuil qu’on franchit. Ensemble.

Comme dans la barque du Dante. Dante ne navigue pas en solitaire. Même dans les Enfers6. La main de Virgile est posée sur son épaule. Il le guide et le conseille. Impossible aussi de ne pas songer à ceux et celles qui partirent sans rien, et qui moururent sous la tente, sans avoir jamais atteint la Terre Promise. La terre des promesses7. Les rives de l’Espagne.

Janus. De la migration au refuge

Le parcours maritime est périlleux. Chamseddine Marzoug, ce pêcheur tunisien natif de Zarzis, le sait, lui qui depuis 12 ans enterre les corps déposés par la Mer sur les rivages du sud-est son pays. Et si la traversée réussit pour les migrants, rien encore n’est acquis8.

En effet, le seuil a double visage : s’il est espérance, il est aussi, tel Janus, paré des traits des décisionnaires politiques et des frilosités assassines qui contribuent à tuer. Car ce sont bien des crimes qui sont perpétrés.

Il ne peut nullement être question de « seuil de tolérance9 » lorsqu’il s’agit d’une femme, d’un homme, d’un enfant à sauver.

Des flots, de la guerre, de la misère. Or, le seuil qui n’est pas franchi sera ce couperet qui assassine. Et Gaudé d’écrire encore : « parce qu'on ne laisse pas la mer manger les bateaux. On ne laisse pas les vagues se refermer sur des vies sans tenter de les retrouver ».10

Il est plus que certain que les gouvernements déchargent leur responsabilité en matière d’accueil mais aussi de protection des plus démunis sur les entreprises des organisations humanitaires et sur les actions de terrain des silhouettes de l’ombre. La débrouillardise des premières et leur audace engagée vont de pair avec la générosité des secondes.

Depuis les frontières à l’Est jusqu’aux eaux dangereuses de la Méditerranée, sur terre et sur mer et parfois dans le feu des camps incendiés, l’activité et la solidarité vont bon train. La Jungle de Calais ou les bâtiments construits par Damien Carême à Grande- Synthe – lieux précaires et passagers d’hébergement – ont été emblématiques de ces réalisations concrètes emplies d’humanité.

Mais ceci ne doit aucunement dédouaner les pouvoirs politiques de leur obligation à l’accueil.

A la fois d’un accueil digne de ce nom mais aussi ouvrant, tel un seuil, sur quelque chose à construire en commun. L’Auberge11 ne suffit pas : les Etats doivent agir. La Convention de Genève, signée le 28 juillet 1951 et modifiée par le protocole de New York le 31 janvier 1967 précise le statut de réfugié et les obligations des Etats à l’application par les Nations Unies des droits de ce dernier. Parmi ceux-ci, le droit à un logement, tel que repris à l’Article 2112.

Bien entendu, les mots « aussi favorable que possible » ne peuvent s’appliquer à vivre sous la tente au coeur de l’hiver. Qui plus est, lorsque les autorités décident de taillader ces abris de toile afin de les gommer des paysages parisiens ou du Nord de la France.

« Accueillir toute la misère du monde »

Ce fragile jeu d’équilibre – bancal – entre pouvoirs européens qui s’esquivent, au nom du « seuil de tolérance » d’une part et les actions solidaires des organisations, associations, particuliers d’autre part représente bien la situation actuelle. Aussi bien l’Europe, la sage Europe et ses valeurs d’humanisme que chaque Etat qui la constitue ne peut désormais plus fuir ses responsabilités : ses obligations légales.

La boue des camps, les vagues glacées des mers sont les linceuls des corps des migrants qui n’ont pas résisté, que les courants ont emportés : sur le tissu maculé qui enveloppe leur vie et leurs rêves s’inscrit la culpabilité de l’Europe politique. Elle est impardonnable autant que son repli sur soi est illégal. 3000 réfugiés à Paris, ce n’est évidemment pas accueillir toute la misère du monde13. Mais plus de 2000 migrants morts en Méditerranée ?
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Voici un lien vers un article d’un collectif qui a recueilli 470 signatures. Vous pouvez au début de l’article y ajouter la vôtre.



1 Virginia Woolf, Les vagues, 1931, trad. M. Yourcenar.

2 RTBF, 4 janvier 2020.

3 Laurent Gaudé, Eldorado, Actes Sud, 2006.

4 (Alessandro Baricco, Novecento : pianiste, 1994).

5 https://uclouvain.be/fr/instituts-recherche/iacchos/laap/mooc-regards-croises-sur-les-migrations.html : un collectif de chercheurs proposent une réflexion sur le dépassement des peurs de l’altérité.

6 La Commedia fut rédigée entre 1303 et 1326.

7 « Ils moururent tous, sans avoir obtenu la réalisation des promesses, mais après les avoir vues et saluées de loin et après s'être reconnus pour étrangers et voyageurs sur la terre. »

« Il (Abraham) vint résider en étranger vers la terre promise, habitant sous la tente avec Isaac et Jacob. (…) Ceux qui parlent
ainsi montrent clairement qu'ils sont à la recherche d'une patrie ; et s'ils avaient eu dans l'esprit celle dont ils étaient sortis,
ils auraient eu le temps d'y retourner ; en fait, c'est à une patrie meilleure qu'ils aspirent » (Lettre de saint Paul aux Corinthiens, 11).

8 https://www.espacemanager.com/lincroyable-histoire-de-ce-pecheur-tunisien-qui-enterre-les-depouilles-des-migrantsnaufrages.html

9 Expression utilisée par F. Mitterrand : Immigration La notion de « seuil de tolérance » est « suspecte », selon M. Mitterrand (Le Monde, 12 janvier 1990).

10 Laure Gaudé, Eldorado, Actes Sud, 2006.

11 Le budget de notre association repose exclusivement sur les dons que nous recevons. Les actions de l’Auberge sont directes et indépendantes (https://www.laubergedesmigrants.fr/fr/accueil/).

12 Art. 21. Logement En ce qui concerne le logement, les États contractants accorderont, dans la mesure où cette question tombe sous le coup des lois et règlements ou est soumise au contrôle des autorités publiques, aux réfugiés résidant les mots « aussi favorable que possible » ne peuvent s’appliquer à vivre sous la tente au coeur de l’hiver. Qui plus est, lorsque les autorités décident de taillader ces abris de toile afin de les gommer des paysages parisiens ou du Nord de la France.

13 et quand bien même ?

14 Paris, Aubervilliers régulièrement sur leur territoire un traitement aussi favorable que possible ; ce traitement ne saurait être, en tout cas, moins
favorable que celui qui est accordé, dans les mêmes circonstances, aux étrangers en général https://www.cgra.be/sites/default/files/content/download/files/convention_de_geneve.pdf

14 https://www.infomigrants.net/fr/

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