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Fermez les Centres de Rétention !

La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

Solidarite avec Mimmo Lucano

Source : Médiapart - marie cosnay - 04/02/2021

Il est à quelques centaines de mètres de nous mais tout est si fermé, absurde et révoltant, la force publique exige qu’il quitte l’Espagne et la force publique empêche qu’il la quitte, un rien nous sépare mais ce rien résiste à tout, devant l’absurdité et avec la colère, jusqu’où aller ? Illégale réadmission en Espagne hier d'un mineur contrôlé en gare de Bayonne. Et ce qui s'ensuit.

Après quatre ans de route, désert, tortures en arrivant en Algérie, quatre refoulements, du nord au sud de l’Algérie, du travail comme maçon sur un chantier turc à Tizi-Ouzou, du travail sur un chantier chinois à Alger, du travail sur un chantier à Oran, un passage compliqué à Maghnia, des courses-poursuites, du travail au Maroc, un départ de Laayoune, un moteur de bateau défectueux et des jours sur un bateau perdu au milieu de l’océan, une arrivée sur les îles Canaries, et, très rare en ce moment, un transfert car à Lanzarote, la Croix-Rouge l’a jugé particulièrement vulnérable, un peu de temps à Madrid, dans un centre, ce jeune homme, 16 ans et un extrait de naissance pour le prouver, essaie de passer la frontière à Irun.

Ses objectifs : la France, un certain département, où il a un ami,  des études en français puis du travail - car il le sait, comme en Algérie et au Maroc, il trouvera du travail.

Après plusieurs refoulements al caliente, il passe, prenant des risques, ce n’est rien à côté de ceux qu’il a connus entre l’Algérie et le Maroc, ou entre le Maroc et l’Espagne. N’empêche, il se blesse à la main. Il passe donc et le lendemain, en gare de Bayonne, à 11 heures, il attend sur le quai son train, billet à jour. Il est arrêté par un policier en civil. On le conduit au commissariat d’Hendaye, où on lui délivre une décision de réadmission.

On le réadmet en Espagne, le voici au commissariat d’Irun à 13h45. Il en sortira vers 22 heures le même jour. Avec une obligation à quitter l’Espagne dans les trois jours.

La décision française de réadmission en Espagne note la date de naissance du jeune homme, un jour du mois de janvier 2005. Le jeune homme est mineur, les policiers qui signent la décision, au nom du préfet, ne remettent pas cela en question. La même décision fait référence à tel l’article du CESEDA, c’est à dire au droit des étrangers, pour justifier le renvoi. Mais au CESEDA, en tant que mineur, le jeune homme n’est pas soumis. La décision de réadmission est donc invalide, personne pour la contester, du moins, pas tout de suite.

C’est un peu différent, je crois, de ce pour quoi, dans les Alpes Maritimes, le préfet a été condamné : ici, c’est en franchissant la frontière que le jeune homme est refoulé, pas après qu’il a demandé la protection d’un département.

 La nuit passe. Le jeune homme ne dort pas. Il envoie ce message dans la nuit. Il fait suivre le message du numéro de téléphone de son père.

tellement que je suis découragé de la vie à mon âge j'ai trop de soucis je n'arrive plus à dormir la nuit ça fait 4 jours que je n'arrive plus à dormir j'ai mal au cœur je veux quitter cette vie je vais mourir c'est difficile à expliquer mais j'ai pensé à ça si vous entendez que j'ai eu quelque chose que je ne suis plus dans ce monde je veux que vous contentiez mes parents, que vous donniez mes nouvelles à mes parents je suis sûr que un jour quelque chose il va m’arriver quelque chose parce que je n'arrive plus à supporter

Le matin, il ré-essaie. Il essaie de quitter l’Espagne, en effet, comme cela lui est, d’ailleurs, n’oublions pas, imposé. Il rate plusieurs fois, puis il passe. On ne dira pas comment : une fois encore, c’est en prenant des risques. Il se blesse encore. Il est très fatigué, il n'a pas dormi, il n’a pas mangé depuis la veille, tôt le matin. Il dit qu’il n’a plus de courage. Il a seize ans.

Nous allons  venir le chercher à Hendaye, qu’il ne bouge pas. Nous nous  précipitons, filmant le trajet, sans interruption, au cas où nous serions contrôlés. Nous ne franchirons aucune frontière, ce que nous faisons n’est en rien illégal. Nous avons honte pour l’Europe, d’abord, qui après les avoir supprimées pour ses ressortissants, a rétabli les frontières internes, et nous avons du chagrin, aussi. Nos enfances se sont déroulées ici, d’un côté et de l’autre, et c’était excitant que d’un côté et de l’autre ce soit à la fois le même pays, et pas du tout. Plus rien n’est ici excitant.

Nous arrivons à Hendaye, le jeune homme n’y est pas.

D’abord, il attendait avec les élèves à l’arrêt de bus, et nous nous en voulons de ne pas lui avoir donné le conseil de suivre les jeunes gens jusqu’au lycée. De ne pas lui avoir dit de s’enfermer dans les toilettes municipales. De ne pas lui avoir expliqué comment on fait, de la gare d’Hendaye, pour aller jusqu’à la porte de l’église.

Le jeune homme, nous attendant, est resté dans le parc. Un policier est venu le chercher sous l’arbre, dit-il au téléphone. Il pense avoir été dénoncé par quelqu’un. Il est donc de nouveau en Espagne.

C’est un moment crucial : nous communiquons avec lui au téléphone, il est à quelques centaines de mètres de nous mais tout est si fermé, absurde et révoltant, la force publique exige qu’il quitte l’Espagne et la force publique empêche qu’il la quitte, un rien nous sépare mais ce rien résiste à tout, devant l’absurdité et avec la colère, jusqu’où aller ? Pour moi, il n’est pas question de prendre certains risques, par exemple. Ni de ne pas honorer tel rendez-vous de l’après midi. Nommer son impuissance, ses limites.

Sous l’arbre : c’est parce qu’il est noir que le jeune homme a été contrôlé, arrêté, puis refoulé. Refoulement qui ne peut se contester puisque rien n’est notifié.

Du côté français, à Hendaye, à l’arrivée de chaque topo, les policiers sont là. Ils vérifient l’identité de chaque personne qui quitte le petit train. Ce sont les contrôles covid, puisqu’il faut vivre à trente kilomètres d’un côté ou de l’autre pour passer ici en ce moment. Les policiers attendent que le topo soit reparti pour aller s’asseoir dans leur voiture et boire des cafés. Le jeune homme est du côté espagnol, il demande, au téléphone, qu’on lui signale si les policiers, par hasard, font relâche. Ils ne font pas relâche. Le jeune homme reste dans le train qui repart vers Irun.

A la Croix-Rouge, à Irun, on soignera sa blessure. On lui conseille d’y rester un peu, si la Croix-Rouge accepte - car la Croix-Rouge n’accepte, en principe, que les primo-arrivants, c’est à dire des gens qui arrivent du sud de l’Espagne. Refoulé, il a mangé son droit de Croix-Rouge. Au moment où j’écris ces lignes, nous ne savons pas encore si la Croix-Rouge va faire une exception : peut-être, nous dit-on.

Outre un recours administratif pour attaquer la décision de réadmission invalide, qui servira aux autres et à l’idée que nous nous faisons de nos pays, du droit, des droits, que faire ? Pour ce jeune homme, pas grand chose. Il trouvera une manière de passer, sans doute en payant, la présence policière fait accourir les mafias, hélas.

Ou les passeurs, ceux qui font payer leur risque un prix convenable, et font bien le boulot.

On apprend que la Croix-Rouge ne fera pas d’exception. Il ne pourra pas y dormir ce soir.

Comme il semble loin, le temps des mugalari.

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