«J’ai reçu un appel du MRCC italien [Maritime Rescue Coordination Centre, ou centre de coordination et de sauvetage – ndlr] », annonce Luisa à ses équipes réunies dans la salle commune de l’Ocean Viking ce dimanche après-midi. La responsable des opérations de recherche et de sauvetage de SOS Méditerranée a formulé, depuis vendredi soir, deux demandes de « port sûr » aux autorités italiennes et maltaises.

« Nous avons un lieu sûr où débarquer ! » Après avoir passé six jours en mer et secouru 424 migrants en 48 heures, le navire humanitaire se dirige vers le port d’Augusta, en Sicile, où il avait déjà été accueilli au cours de sa dernière rotation le 24 janvier dernier. Il arrivera en début de soirée dimanche et restera au mouillage pour la nuit, avant que le débarquement ne débute, très probablement le lendemain.

Les migrants secourus par l’« Ocean Viking » à l’annonce d'un débarquement à venir en Sicile, le 7 février 2021. © NB

En apprenant la nouvelle, toutes les équipes applaudissent. Depuis hier, ces dernières sont fébriles. Une femme enceinte, dont la situation était critique – elle pouvait « mourir à tout moment » selon la responsable de l’équipe médicale – a dû être évacuée par hélicoptère par les forces armées maltaises (voir la vidéo ici). Son compagnon a pu l’accompagner à bord. Une opération délicate qui a mobilisé une bonne partie des effectifs de l’équipage et de SOS Méditerranée.

Une autre femme, en stade avancé d’une grossesse à risque, et un Soudanais violemment battu en Libye continuent de préoccuper l’équipe médicale et sont restés en observation. À son arrivée sur le bateau de secours rapide vendredi, le visage du jeune homme présentait un œil tuméfié et plusieurs contusions. « Sa plaie est infectée et la moitié de son visage est déformée. Il ne voit plus que d’un œil », précise Christine, la responsable de l’équipe médicale.

En parallèle samedi, plusieurs cas positifs au Covid-19 ont été détectés parmi les migrants secourus. La femme enceinte évacuée, ainsi que son conjoint, en faisait partie. Plusieurs cas contacts ont depuis été testés positifs et une partie d’entre eux a été placée à l’isolement au sein de la clinique médicale.

« Au total, huit personnes ont été testées positives au Covid-19. Nous avions mis en place des procédures pour faire face à ce scénario et nous étions préparés », souligne Luisa, la cheffe des opérations. Quatre autres migrants ont été placés dans un petit conteneur situé sur le pont supérieur, rendant leur accès aux sanitaires et aux douches, situés en contrebas, assez compliqué.

Le protocole Covid renforcé

Depuis, les équipes de SOS Méditerranée redoublent de vigilance. Chaque membre qui se rend sur le pont doit porter, déjà en temps normal, une combinaison spéciale ainsi qu’un masque FFP2, des lunettes protectrices et des gants. Avant de rentrer à l’intérieur du navire, chacun doit suivre un protocole strict dans un sas de décontamination dédié.

Les migrants, de leur côté, se sont tous vu distribuer des masques chirurgicaux, enfants compris. Ils ont été informés de la présence de cas positifs à bord et sensibilisés par l’équipe de prise en charge. Les membres de garde sont chargés de veiller à ce que chacun le porte correctement et en permanence.

Mais sur le pont et dans les abris, le nombre important de personnes et la promiscuité qui en découle ne permettent pas de maîtriser la propagation du virus. Les abris étant saturés, de nombreuses personnes dorment les unes contre les autres, à même le sol à l’extérieur, afin de gagner en espace et en chaleur la nuit.

« Les rescapés ont besoin de débarquer d’urgence dans un lieu sûr », arguait Luisa ce midi. D’autant que les conditions météorologiques vont se détériorer en fin de journée. Dans la matinée, plusieurs marins-sauveteurs tentaient d’installer des bâches en hauteur afin de protéger les rescapés de la pluie. Mais lorsque la houle est importante, les vagues parviennent à s’infiltrer sur le pont.

À 17 h 20 ce dimanche, Karim, le responsable de l’équipe de prise en charge, s’empare d’un microphone et s’adresse à la foule en anglais et en arabe. Riad, médiateur culturel, fait de même en français. « Nous allons en Sicile, en Italie ! », annoncent-ils aux migrants, dont l’expression du visage change du tout au tout.

Plusieurs femmes, dans l’abri qui leur est réservé, heureuses d’apprendre qu'elles vont débarquer en Sicile. © NB

 

Les cris de joie fusent, les poings se lèvent pour marquer cette victoire. Une revanche sur les horreurs vécues en Libye, sur la difficulté du parcours migratoire, sur un passé souvent douloureux… Un groupe d'hommes se met à chanter au rythme des tam-tams. « Ocean Viking, cari me de go, Ocean Viking, cari me de gooo ! Favour de cari mi de go, anywhere favour de cari me de go ! », scandent-ils en sautant de joie. « Ça signifie que nous prions pour l’Ocean Viking et tous les gens qui prennent la mer. Nous comptons sur l’Ocean Viking ! », explique en anglais Thangod, un Nigérian âgé de 19 ans.

À leurs côtés, certains chantent en arabe ou en français. Ahmed, un mineur originaire d’Érythrée, très réservé jusque-là, se laisse aller à danser avec qui croise son chemin. « Italie ! Italie ! », crient plusieurs femmes depuis l’abri qui leur est réservé. D’autres s’en extirpent pour aller se mêler à la foule, succombant à l’euphorie ambiante.

Comme les migrants secourus lors de la dernière rotation, tous seront testés au Covid-19 avant leur descente de l’Ocean Viking. Une fois leurs empreintes relevées, à l’extérieur du navire, ils seront placés en quarantaine dans un ferry dédié à l’accueil des exilés à leur arrivée au port d’Augusta et géré par La Croix-Rouge italienne. Selon nos informations, les mineurs sont quant à eux directement transférés dans des centres d’accueil pour mineurs non accompagnés et font leur quarantaine là-bas. Le début d’un nouveau parcours moins dangereux mais tout aussi incertain.