Source : Ouest France - Thomas HENG. - 03/03/2021
Qui tire les ficelles des petits voleurs chargés de détrousser les passants la nuit ? Faute d’enquêtes de fond en nombre suffisant, on manque de certitudes. Hypothèse principale ? Des réseaux bricolés et opportunistes. Découvrez le neuvième épisode de notre série sur les mineurs non accompagnés.
Souvenir cruel pour une avocate nantaise. Elle défendait un petit voleur, ado algérien échoué à Nantes, « défoncé aux médicaments », soupçonné d’une quinzaine de cambriolages, il y a un peu plus d’un. Elle a demandé au magistrat de chercher à démanteler le réseau qui manipulait son client. « Le gamin disait qu’un homme lui désignait les maisons à cambrioler, le menaçait, lui avait trouvé une place en squat et le fournissait en médocs. » Refus net du magistrat. Amertume en robe noire : « Ça donne l’impression qu’on est bien content pour les statistiques de résoudre 15 cambriolages, mais qu’on se fiche de ce qu’il y a derrière. »
« La vérité, c’est qu’on ne sait rien des éventuels réseaux car on ne travaille pas dessus ! » fulminait une magistrate nantaise cet automne. Elle était lasse de voir ces « esclaves », souvent de jeunes marocains, algériens et tunisiens, jetés en prison pour vol au terme de dossiers expédiés en comparution immédiate faute de moyens.
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Mineurs non accompagnés : des jeunes en mode survie, quoi qu’il en coûte
Face aux priorités qui s’empilent, police et justice se limitent souvent au pragmatisme : un voleur interpellé, un voleur jugé. Alors que lancer une tentaculaire enquête de fond, pour démanteler un réseau, ça prend de longs mois, ça coûte des milliers d’euros avec de minces espoirs de succès. Il faut bien le dire, dix vols de smartphones, ce n’est pas mort d’homme. Et, à Nantes, par exemple, les trafiquants de stupéfiants du coin se tirent dessus à la Kalachnikov, il faut bien établir des priorités.
Des organisations « opportunes, changeantes »
Alors quels réseaux tirent les ficelles ? « Plutôt des petites organisations opportunes, changeantes, mouvantes », explique Olivier Peyroux, sociologue, spécialisé sur la traite des êtres humains. Effectivement, dans les très rares affaires où la chaîne a été remontée au-delà des voleurs, les enquêteurs nantais ou bordelais sont tombés sur de modestes voyous, des Thénardier, pas des grands mafieux. « Ces « capitaines » les ont sous leur contrôle, leur fournissent des comprimés de Rivotril et peu à peu ces mineurs deviennent des zombies », confirme le député Jean-François Eliaou, en charge d’une mission parlementaire sur la question des mineurs non accompagnés. « On pense, là aussi, aux prostituées qu’on drogue et qui deviennent ensuite totalement dépendantes de leur proxénète », embraye maître Sabrina Baudet, avocate rennaise. En contrepartie, les ados doivent ramener des portables ou bijoux volés à la chaîne. Le butin part dans des valises ou en fourgon vers le Maghreb. Du bricolage, lucratif, mais du bricolage.
Des ados victimes de traite des êtres humains
On serait donc à des années-lumière des mafias de narcotrafiquants riches à millions capables d’organiser l’immigration clandestine des jeunes gens. Ceci dit, les trafiquants de stups ne sont pas en reste, avance une magistrate nantaise. « De plus en plus, ces ados sont recrutés pour vendre de la drogue au pied des tours. Moins cher et moins risqué pour les trafiquants. » Pour Olivier Peyroux, il est urgent de changer de regard : « Ces petits voleurs drogués sont considérés uniquement comme des délinquants, pas comme des victimes de traite des êtres humains. »