Inscription au Bulletin  bulletin icon    Notre page FacebookNotre page Twitter  Bonjour Visiteur

Fermez les Centres de Rétention !

La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

Solidarite avec Mimmo Lucano

Source : Médiapart - Nejma Brahim - 13/04/2021

Depuis 2018, le collectif citoyen Migraction59 permet à des exilés de Calais d’être hébergés en famille le temps d’un week-end, à Calais et jusque dans la métropole lilloise, par « solidarité régionale ».

Calais (Pas-de-Calais).- Ils ont donné rendez-vous aux exilés aux Verrotières, samedi 10 avril, à 11 h 30. « Ça fait drôle de revenir dans le coin, sourit Sophie Djigo. On a énormément de souvenirs ici, hein Bamba ! » C’est dans cette zone industrielle des Dunes, à Calais, que les fondateurs du collectif citoyen Migraction59 avaient pour habitude de venir chercher les exilés et de les emmener dans leur famille d’accueil pour le week-end, avant qu’elle ne soit évacuée par les forces de l’ordre en juillet 2020.

« C’était plus simple à l’époque, car tout le monde était au même endroit », poursuit Sophie. Depuis, elle et son conjoint Bamba ont dû trouver d’autres points de rendez-vous, comme le stade de l’Épopée, situé près du camp « BMX » et occupé par une communauté érythréenne. Mais la semaine dernière, une « bagarre générale » a éclaté entre Érythréens et Soudanais au moment de la répartition des personnes chez les hébergeurs solidaires.

Les conséquences, pour Sophie, d’une politique ultra-violente et des conditions de survie auxquelles sont confrontés, au quotidien, les exilés à Calais. « On a donc préféré temporiser un peu et changer de lieu de rendez-vous pour les prochaines semaines. Il faudra du temps pour que les exilés prennent connaissance du nouveau lieu. »

Les membres du collectif Migraction59 récupèrent des exilés soudanais à Calais, samedi matin. © NB
Les membres du collectif Migraction59 récupèrent des exilés soudanais à Calais, samedi matin. © NB
 

Ce samedi en fin de matinée aux Verrotières, l’ambiance est bien plus calme. 26 migrants, en majorité originaires du Soudan, sont venus au rendez-vous et espèrent avoir une famille pour les héberger le temps du week-end. Une fois « le dispatch » achevé, Sophie et Bamba remontent en voiture pour se rendre à l’autre bout de la ville, dans le secteur du Fort Nieulay. « On a reçu un coup de fil pour quatre personnes qui aimeraient être hébergées ce week-end. Comme il nous reste de la place, on va les chercher ! »

Sandra et Jérémy les suivent en voiture. Depuis un an, le couple d’hébergeurs, installé à Calais, accueille deux exilés une fois par mois. « On reçoit des Érythréens, des Soudanais, des Maliens ou des Éthiopiens, énumèrent les bénévoles. Ils ont souvent la vingtaine, même si on a aussi des mineurs ou des personnes plus âgées. C’est assez ritualisé et ça se passe très bien. » Le plus souvent, les deux exilés se connaissent déjà un peu, ce qui aide à « briser la timidité » de certains. Ça peut être déstabilisant d’aller chez des inconnus », ajoute Jérémy dans un sourire.

Le jeune couple, arrivé récemment à Calais, n’a pas choisi cette ville au hasard. « On est profs et on a fait une demande de mutation ici. On voulait vivre dans une ville où il y avait des enjeux socio-politiques et où on savait qu’on pourrait se rendre utiles », détaille Jérémy. « On a très vite voulu héberger, on ne se voyait pas vivre à Calais sans rien faire pour aider les exilés », complète Sandra.

À leur arrivée sur le parking d’un magasin, à l’abri des regards, Sophie et Bamba en profitent pour décharger le coffre de leur voiture. Aller chercher les exilés le samedi matin leur donne aussi l’occasion de déposer, aux autres personnes vivant sur les camps, des vêtements chauds et chaussures provenant de dons. Plusieurs jeunes fouillent les sacs et évaluent, à l’œil nu, si la taille d’une veste leur conviendra. L’un d’entre eux ne peut cacher sa joie lorsqu’il enfile une paire de gants à sa taille.

Sandra et Jérémy récupèrent leurs invités pour le week-end, qui s’installent timidement à l’arrière de leur véhicule. Anne-Gaëlle, une bénévole du collectif, sera le chauffeur de Dektor et Mustafa, deux adolescents soudanais, jusqu’à Croix, dans la métropole lilloise, où ils seront accueillis par des hébergeurs solidaires. Sophie et Bamba font le trajet avec Mohammad et Ahmad, deux Soudanais âgés de 19 et 22 ans, qu’ils hébergent à leur domicile à Roubaix ce week-end.

« Entre les hébergeurs, les chauffeurs, les cuisiniers, les donateurs… On compte un réseau de 2 000 personnes », se réjouit Sophie, tout en réchauffant, dans sa cuisine, le thiebou yap (un plat sénégalais) concocté la veille pour ses invités. C’est dans cette maison roubaisienne qu’à l’été 2017, elle et Bamba commencent à accueillir des exilés « à titre personnel », puis mûrissent le projet de Migraction59. Ils montent le collectif en 2018 et se concentrent sur Calais, « symbole de la politique aux frontières », véritable terrain de lutte pour ces militants assumés.

« Pour nous, c’était important de montrer aux exilés que la France, ce n’est pas que ça. Que si certains ne veulent pas d’eux, d’autres oui », explique Bamba. Le père de famille propose une cigarette à Mohammad et Ahmad, puis leur montre un petit meuble dans le salon, dont il ouvre le tiroir : « Guys, if you want cigarettes, you can find it there » (« les garçons, si vous voulez des cigarettes, vous pouvez vous servir ici »).

Mohammad et Ahmad ont passé le week-end chez Sophie et Bamba, fondateurs de Migraction59. © NB
Mohammad et Ahmad ont passé le week-end chez Sophie et Bamba, fondateurs de Migraction59. © NB
 

Les deux amis quittent le canapé, sur lequel ils s’étaient timidement installés à leur arrivée, pour passer à table lorsque Sophie et Bamba leur font signe de les rejoindre. Ensemble, ils font tomber, petit à petit, la barrière de la langue (Mohammad et Ahmad parlent arabe) et de la timidité. « Tu leur montres la chambre ? », demande Sophie à son conjoint en fin de repas. Bamba les invite à le suivre à l’étage, puis leur donne des vêtements de rechange.

« On fait aussi leur lessive pour qu’ils repartent avec des vêtements propres, mais ils peuvent garder ceux qu’on leur a donnés ici », explique Bamba. Une cagnotte permet également au collectif de récolter des dons pour l’achat de téléphones reconditionnés ou de crédit téléphonique et pour l’essence servant aux trajets depuis et jusqu’à Calais. « On fonctionne avec un budget annuel de 10 000 euros grâce à cela », précise la fondatrice de Migraction59.

La « puissance » du réseau lui laisse penser que beaucoup sont « en faveur d’une société d’accueil ». « On a par exemple le médecin du coin, qui accepte de recevoir les exilés lorsqu’ils ont besoin de soins, ou encore le boucher du quartier qui nous offre de la viande quand il sait qu’on héberge le week-end. On se donne la possibilité de l’existence d’un “nous” qui est constamment nié sur le plan politique. »

Les membres du collectif, originaires de la métropole lilloise, du bassin minier, de Boulogne-sur-Mer, Dunkerque, Saint-Omer et Calais, font ainsi dans la « solidarité régionale » pour venir en soutien aux associations agissant à Calais, « débordées » selon Sophie. Ils représentent une centaine d’hébergeurs par mois et adhérent tous à une charte visant à encadrer l’accueil. « On est aussi très en lien avec un collectif belge, ce qui montre qu’on arrive à créer la politique d’accueil transfrontalière que l’Union européenne ne fait pas. »

Au rez-de-chaussée de la maison, le salon se remplit avec l’arrivée de la fille de Sophie et Bamba, Tara, que des amis gardaient jusque-là pour leur permettre de se rendre à Calais. « Nous aussi, on héberge régulièrement jusqu’à quatre personnes chez nous. C’est la moindre des choses qu’on puisse faire », confient-ils. Mohammad et Ahmad, après les avoir salués, sortent fumer dans le jardin.

La maison est pleine de souvenirs avec des exilés : le store de la fenêtre, réparé avec Gadissa, un Érythréen, une figurine d’âne accrochée au plafond, offerte par Abdelmajid à Tara trois ans plus tôt. Cuisiner, jardiner ou jouer ensemble. « L’idée, quand on les accueille, c’est aussi qu’ils participent à la vie de la maison. Ça restaure l’égalité », assure Sophie.

« Là, c’est une forme de résistance »

À trois kilomètres de là, dans la commune de Croix, Catherine et Bernard, des retraités, accueillent Mustafa et Dektor, les deux adolescents soudanais ramenés depuis Calais par Anne-Gaëlle. Ces derniers commencent par se doucher et se changer, déjeunent et vont vite se reposer dans leur chambre à l’étage. « Ils avaient l’air fatigués, c’est normal quand on sait dans quelles conditions ils vivent », soupire Catherine. « Qu’est-ce qu’ils sont jeunes cette fois-ci ! », s’étonne son mari.

Elle est puéricultrice, il est professeur. Tous deux sont retraités et ont connu Migraction59 par le biais de Chœur de femmes, une association roubaisienne. « Pour nous, ça a été une évidence. On ne s’est pas posé de question », confie Catherine en enchaînant les lessives samedi après-midi. « Ils ont beaucoup de linge, je me demande s’ils n’ont pas apporté celui de leurs copains aussi », rit-elle, ajoutant qu’ils ont eu bien raison d’en profiter.

Près d’elle, un mur de photos vient lui rappeler ses enfants et petits-enfants. « Ils sont assez fiers qu’on héberge. On est d’une génération où on s’est toujours demandé ce qu’on aurait fait durant la guerre. Aurait-on résisté ? Là, c’est une forme de résistance. On n’est pas d’accord avec la ligne du gouvernement, Gérald Darmanin, le règlement Dublin, l’agence Frontex… Plus le problème est complexe, moins on a de leviers. Donc on agit à notre petite échelle. »

La retraitée, passionnée de peinture, extirpe un cahier de l’étagère. Elle y met par écrit, depuis qu’ils ont commencé à accueillir deux ans plus tôt, son ressenti et ses souvenirs de chaque exilé passé par chez eux. De quoi laisser une trace de leur action à leur descendance. « Les policiers lacèrent les tentes… Je les plains parfois, ils ne font qu’obéir aux ordres », peut-on lire. Les visages et histoires singulières de chacun lui reviennent en tête à mesure qu’elle tourne les pages.

Les discussions animées, aussi. « Selon l’âge de nos invités, on va parler d’école, d’études supérieures, de la situation politique de leur pays ou de politique migratoire », raconte Bernard, qui souvent trouve l’occasion de parler en allemand avec les migrants lorsqu’ils sont passés par l’Allemagne. Comme Sami, un informaticien originaire de Khartoum (Soudan), qui a réussi la traversée et vit aujourd’hui à Glasgow. « Ils veulent s’en sortir mais on ne les laisse pas. Je n’arrive pas à m’expliquer pourquoi c’est aussi compliqué en Europe. »

Mustafa et Dektor regardant le match de football avec Bernard samedi soir. © NB Mustafa et Dektor regardant le match de football avec Bernard samedi soir. © NB

En début de soirée, Dektor et Mustafa, respectivement 16 et 17 ans, descendent au salon, attirés par les effluves des lasagnes s’échappant du four. À 20 heures, le dîner est servi. Les deux jeunes sont fébriles. Bernard comprend vite qu’ils attendent avec impatience le match de football de la soirée : « Vous êtes pour le Real ou le Barça ? », interroge-t-il, réduisant le son de la télévision. Il les rassure, le match ne commence pas tout de suite.

Mustafa a appris à parler français grâce à Internet et à des chanteurs tels que Dadju et Soolking. Catherine veut lui faire plaisir et lance la musique, pendant le repas, sur son enceinte connectée. Les adolescents rient aux éclats. Le repas fini, Dektor se permet de reprendre son téléphone en main et de mettre ses écouteurs. Il est arabophone et ne veut rien rater du commentaire durant le match.

Assis près de Bernard sur le canapé, les deux jeunes se charrient tout au long de la soirée. Dektor supporte le Barça, Mustafa le Real. Bernard commente chaque action en français, jusqu’à ce que Mustafa lève le poing en l’air en guise de victoire, à 22 heures passées, taquinant son ami en lui jetant un coussin. Dektor tente de dissimuler sa peine, par fierté, dans un rire jaune.

Le lendemain matin, le froid glace Catherine lorsqu’elle entrouvre la porte-fenêtre donnant sur le jardin. « Très souvent, quand on voit la bise ou la neige dehors, on pense aux migrants à Calais et on se dit que ça ne doit pas être simple pour eux. » Elle prépare deux couettes récupérées grâce à des dons, qu’elle proposera à Mustafa et Dektor avant leur départ lundi matin. « J’ai aussi un stock de sous-vêtements et d’habits chauds là-haut. Les invités peuvent se servir à chaque fois. »

En fin de matinée, la voix caressante de Nancy Ajaj, une chanteuse soudanaise, se fait entendre depuis la chambre occupée par les adolescents. « On est contents, on a pu parler à notre famille hier », confie avec pudeur Mustafa. Catherine et Bernard leur présentent une photo de leurs enfants et petits-enfants. « Il te ressemble beaucoup ! », lâche Dektor à Bernard à propos de son fils.

Sur une carte, les deux jeunes montrent à Catherine et Bernard la région du Darfour, au sud-ouest du Soudan. Mustafa vient de Zalingei, Dektor de Geneina. « On a quitté le Soudan en 2018, explique Mustafa au cours du déjeuner. La vie est difficile là-bas. En Libye aussi, on y est restés deux ans. » Dektor et lui se rencontrent sur place, alors qu’ils travaillent sur les chantiers de construction. « Très souvent, on travaillait du matin au soir pour qu’à la fin de la journée, le monsieur nous dise : “Dégagez, je n’ai pas d’argent à vous donner !” »

Fils de marchand et d’agriculteur, Dektor et Mustapha fuient la pauvreté et les conflits, puis la violence de l’enfer libyen (lire ici notre article à ce sujet), à bord de deux canots pneumatiques distincts, pleins d’une soixantaine de personnes. « J’ai été secouru par le Sea-Watch 4 », se souvient Dektor. Mustafa, lui, passe quatre jours en mer. Après vingt jours en Italie, le jeune homme rejoint la capitale française et est accueilli durant cinq mois par un ami, à Porte de la Chapelle. « Moi, je suis resté un mois en Italie, puis j’ai rejoint Calais, enchaîne Dektor. Ça fait six mois que j’y suis. »

 

Mustafa et Dektor, chez leurs hébergeurs solidaires, Catherine et Bernard. © NB Mustafa et Dektor, chez leurs hébergeurs solidaires, Catherine et Bernard. © NB
 

Le duo se retrouve à Calais mais ne veut plus y rester. « J’irai peut-être à Lyon », susurre Dektor, remuant les traits innocents de son visage, sans pouvoir justifier son choix. Mustafa souhaite retourner à Paris. « On aimerait étudier et travailler. Ça nous permettrait de nous construire et d’aider notre famille restée au Soudan. » Pour leur changer les idées, Catherine sort un jeu en bois, créé par un ami menuisier, consistant à déconstruire un mur, pièce par pièce, sans qu’il ne s’effondre. Les visages des adolescents s’illuminent.

« On se demande parfois jusqu’à quand on fera ça », lance Catherine à des amis venus leur rendre visite dans l’après-midi, eux aussi membres de Migraction59. « Sur le plan politique, on n’en voit pas le bout. Mais on continuera tant qu’il le faudra. » Le Covid-19 aura contraint le collectif à mettre l’accueil sur pause, de mars à septembre 2020. Depuis la reprise, 799 personnes ont été hébergées. « On était considérés comme vulnérables, on a donc dû arrêter quelque temps. Mais on a repris dès novembre et on a été récemment vaccinés. »

« On a l’impression que les droits des exilés et des minorités sont de plus en plus bafoués », regrette Bamba, cofondateur de Migraction59. « Pour nous, cest une action politique assumée mais non partisane. On fait de l’hospitalité militante, c’est un moyen de résistance non violente », conclut Sophie. Les hébergeurs solidaires n’accueillent jamais deux fois la même personne, de façon à permettre une rotation des exilés. Mais aussi à éviter des au revoir difficiles le lundi matin.

 

 


Calendrier d'Événements

Lun Mar Mer Jeu Ven Sam Dim
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
29
30
31
Sauvegarder
Choix utilisateur pour les Cookies
Nous utilisons des cookies afin de vous proposer les meilleurs services possibles. Si vous déclinez l'utilisation de ces cookies, le site web pourrait ne pas fonctionner correctement.
Tout accepter
Tout décliner
En savoir plus
Essentiel
Ces cookies sont nécessaires au bon fonctionnement du site, vous ne pouvez pas les désactiver.
Session de l'utilisateur
Identifie la session ouverte par l'utilisateur
Accepter