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Source : Médiapart - Cécile Debarge - 21/04/2021

Six ans après son naufrage, l’épave d’un bateau de migrants qui avait sombré au large des côtes libyennes le 18 avril 2015 est revenue dans le port d’Augusta, en Sicile. Les recherches de l’identité des victimes continuent.

Palerme (Italie).– Hissée sur une longue plateforme tractée par le remorqueur Hypsas, l’épave bleu et rouille a mis une petite semaine à parcourir les 660 milles qui séparent le port de Venise de celui d’Augusta, sur la côte orientale de la Sicile.

Soutenu par de grandes béquilles d’acier, le flanc éventré, c’est là, sur la mer de béton de la nouvelle darse, que ce bateau devenu un symbole des naufrages de migrants flottera désormais, dans le vent rendu lourd par les fumées des usines pétrochimiques que l’on voit au loin. C’était probablement son dernier voyage. Il a pris fin tard dans la soirée de lundi, en arrivant au large d’Augusta, sans que cela ne soit plus vraiment une information.

Six ans plus tôt, pourtant, on avait tant parlé de lui, ce chalutier engloutissant les vies de 700 migrants, au moins, à 70 miles au nord des côtes libyennes, et n’en épargnant que 28. On le sait aujourd’hui, les victimes sont plus d’un millier. « Entre 1 050 et 1 100, précise Jose Pablo Baraybar, anthropologue légiste qui coordonne, pour le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), une mission médicolégale sur les migrants disparus en Méditerranée. Les témoins décrivent un bateau plein comme si c’était la prière du vendredi, sans place ni pour s’asseoir ni pour respirer. »

Au moins douze nationalités ont été identifiées, principalement africaines, mais aussi d’Asie avec la présence à bord de Bangladais. Six personnes sont formellement identifiées. Cela peut paraître peu, mais ça tient, en réalité, du miracle. Car le destin de ce bateau naufragé n’est semblable à aucun autre.

Veillée de prières à Rome le 22 avril 2015 après le naufrage qui avait fait des centaines de morts. © Filippo Monteforte/AFP
Veillée de prières à Rome le 22 avril 2015 après le naufrage qui avait fait des centaines de morts. © Filippo Monteforte/AFP
 

Au cours d’une opération de la marine militaire italienne vouée à devenir l’exception plutôt que la règle, le bateau a été renfloué après quatorze mois à 370 mètres de profondeur (voir la vidéo ici). Le président du Conseil de l’époque, Matteo Renzi, l’a promis : l’Italie donnera une sépulture aux victimes du naufrage. Vingt-quatre corps sont repêchés, les autres extraits, tant que possible, du bateau-sarcophage.

Le 30 juin 2016, à quelques encablures à peine de la nouvelle darse du port d’Augusta, l’épave fait une première escale, sur la base militaire de Melilli. Pendant des mois, internes et professeurs de médecine légale de treize universités italiennes se relaient pour autopsier les corps. Dans le hangar qui abrite les deux tentes militaires où se déroulent les autopsies, les cercueils se remplissent et sont envoyés aux quatre coins de la Sicile pour y être enterrés.

Un travail de titan commence. Sous la houlette du commissaire extraordinaire pour les personnes disparues, le laboratoire de médecine légale de l’université de Milan, le Labanof, trie, nettoie, consigne soigneusement les données post-mortem recueillies à Melilli. Des parties supérieures du bateau, 530 corps sont dégagés ; de la cale, transformée en centrifugeuse, 30 000 os. Il faudra un an et demi environ pour essayer de reconstituer des corps à partir de ces milliers de fragments.

« Parmi les os, on a retrouvé 325 crânes, ce qui nous a permis au total d’isoler 855 échantillons ADN, détaille Cristina Cattaneo, médecin légiste à la tête du Labanof. Ce qui manquait jusqu’à présent, c’est l’argent nécessaire pour analyser ces échantillons et établir leur profil génétique. » Grâce à une collaboration entre six universités italiennes, la police et les carabiniers, ce devrait être chose faite d’ici à la fin de l’année. « Enfin, quand on recevra un profil ante-mortem, on pourra immédiatement le comparer avec tous les morts du bateau », explique celle qui est aussi l’autrice du livre Naufragés sans visage (Albin Michel).

Car à Paris, à la délégation du CICR, et bientôt dans plusieurs pays d’Afrique, grâce aux réseaux nationaux de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, une autre partie se joue.

« Le processus médicolégal est comparatif, explique Jose Pablo Baraybar, on peut avoir le corps, mais il faut trouver avec quoi comparer les éléments recueillis. L’un des défis est donc de retrouver les familles. » Plusieurs méthodes sont éprouvées. D’abord, « l’analyse de réseaux complexes », c’est-à-dire « comment une personne peut amener à une autre personne », détaille le scientifique.

Les survivants sont interrogés mais aussi certains de ceux qui, le soir précédant le naufrage, sont restés sur la plage, regardant le bateau se remplir sans pouvoir monter à bord, faute de place. Entre octobre et décembre 2020, le CICR reçoit aussi près de 1 900 pages de documents : des photos ou des scans de tous les effets personnels retrouvés.

Il y a des documents d’identité, bien sûr, dont on ne sait jamais vraiment s’ils sont vrais ou faux. Il y a aussi ces centaines de numéros de téléphone, griffonnés sur des bouts de papier et minutieusement déchiffrés. Jose Pablo Baraybar et son équipe en recensent près de 1 500, dans 56 pays, sur tous les continents. Les sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge commencent à appeler aux quatre coins du monde.

Grâce à ce travail de fourmi, le CICR dresse une liste de 474 passagers. « Cette liste est une nécessité, pas seulement d’un point de vue médicolégal pour identifier les personnes mais aussi pour les nommer, estime Jose Pablo Baraybar. L’habitude, c’est de compter les morts au large de la Tunisie ou de la Libye, il va maintenant falloir les nommer. »

Cette liste est d’autant plus importante qu’on ne sait pas si tous les corps des passagers ont été récupérés. Pour ceux qu’ils l’ont été, il semble « improbable » qu’un nom soit associé à chacun. Selon l’Organisation internationale pour les migrations, en Italie, d’après une étude menée de 1990 à 2013, près de 78 % des corps de migrants récupérés après un naufrage ne sont pas identifiés.

Ces noms retrouvés, après tant d’efforts, Enzo Parisi aimerait que personne ne les oublie. Qu’ils soient inscrits sur un support physique, pas seulement sur des bouts de papier. Est-ce que ce sera sur une plaque ? Sur des petites pierres carrées, comme celles qui ponctuent de leur couleur dorée les pavés gris de Berlin en mémoire aux victimes du nazisme ?

Ce retraité sicilien ne le sait pas encore.

Mais comme tous les autres membres du Comité 18-Avril, il s’est battu pour que l’épave bleue revienne chez eux. « Citoyens, membres des paroisses, des syndicats, dès 2016, nous avons voulu sauver l’épave de la destruction comme c’est normalement le cas avec les embarcations de migrants, explique Enzo Parisi. C’est le symbole des tragédies qui ont lieu sous nos yeux, c’est un avertissement à l’égard de ceux qui contraignent ces personnes à risquer leur vie dans l’espoir d’une vie meilleure. »

Il avait pourtant été question d’amener le bateau jusqu’à Bruxelles, devant la Commission européenne. Ou à Milan pour en faire un musée des Droits de l’homme. Il ira finalement à Venise, pour la Biennale de 2019, rebaptisé Barca Nostra et exposé par l’artiste suisse Christoph Büchel, qui a dû s’engager à le renvoyer en Sicile. « Ce sont de belles idées, mais on voulait que le bateau revienne ici, là où les migrants arrivent, là où on a vu tant de solidarité, défend Enzo Parisi. Augusta était l’une des bases de l’opération Mare Nostrum, de 2013 à 2015, des dizaines de milliers de personnes sont arrivées ici, toute une partie de la ville s’est mobilisée pour les accueillir. »

Le comité va créer un jardin de la mémoire autour de l’épave et, à terme, un « musée diffus » sur les côtes de la Méditerranée, pour réfléchir, « au-delà du devoir de mémoire, aux raisons qui poussent chaque année des dizaines de milliers de personnes à quitter leur pays ».

Avant le naufrage du 18 avril 2015, il y avait eu celui du 12 et ses 400 victimes, au moins. Un naufrage aussitôt oublié. Comme beaucoup de ceux qui ont suivi. Il y a quelques jours encore, vendredi 16 avril, les garde-côtes tunisiens ont récupéré 41 corps après le naufrage d’une embarcation au large des côtes de Sidi Mansour.

« Depuis 2015, le changement le plus stratégique, c’est que l’Union européenne a réussi à ne plus être présente en mer mais dans les airs », analyse Maurice Stierl, maître de conférences sur les questions migratoires à l’université de Sheffield au Royaume-Uni. « Être présent en mer, ça veut dire intervenir lorsqu’un bateau est en détresse ; désormais, la surveillance se fait du ciel, en attendant que les garde-côtes libyens interviennent », poursuit ce membre d’Alarm Phone, qui met à disposition des migrants en détresse un numéro de secours pour signaler leur embarcation aux autorités. Ses mots résonnent d’un triste écho avec ceux de la professeure Cattaneo : « Notre méthodologie pour identifier ces migrants naufragés fonctionne, c’est la procédure classique d’une catastrophe de masse, avec quelques difficultés en plus, rien de supersonique, la balle est désormais dans le camp des politiques. » Selon la plateforme Missing Migrants de l’OIM, qui recense les morts aux frontières, 14 331 migrants ont perdu la vie en Méditerranée depuis 2016, dont 448 cette année.

 

 

 


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