Source : La voix du nord - Estelle Jolivet - 22/06/2021
Depuis 2006, une convention lie l’institut d’études politiques de Paris au lycée du Noordover de Grande-Synthe, classé en éducation prioritaire. En quinze ans, 24 élèves ont intégré la prestigieuse école parisienne, dont Momtaz Nasseri, jeune Afghan de 19 ans qui rêve de devenir diplomate.
Momtaz Nasseri est un lycéen discret mais déterminé. Deux qualités indispensables lorsqu’on espère, comme lui, devenir diplomate. Il voyagera, sûrement. Il a déjà parcouru tellement de chemin depuis la province afghane de Nangarhar, où il est né il y a 19 ans !
« Mon père a fui l’Afghanistan en 2010, raconte le jeune homme dans un français soigné. Il était menacé par des groupes extrémistes terroristes car il travaillait pour une entreprise allemande, comme chauffeur. Il était considéré comme un traître par les insurgés. » Le papa s’est retrouvé à Calais, en partance pour l’Angleterre. Il a fini par demander l’asile en France, et par l’obtenir. Il a ensuite fait venir son épouse, ses deux fils et ses cinq filles dans le cadre du regroupement familial.
« La famille était séparée, c’était très dur. Ma maman, enceinte, a dû repartir pour aller chercher mes sœurs en Afghanistan »
Ça n’a pas été simple : Momtaz, son frère et sa mère sont arrivés à Grande-Synthe en septembre 2015. Mais les filles, pour lesquelles le père avait fait une demande séparée, sont restées bloquées en Afghanistan de longs mois. « La famille était séparée, c’était très dur. Ma maman, enceinte, a dû repartir pour aller les chercher. Nous étions en contact régulier avec l’ambassade de France à Kaboul », se souvient Momtaz, l’aîné de la fratrie, alors collégien à Jules-Verne.
Double culture
Pour le garçon, cette épreuve, paradoxalement, éclaire l’avenir : il étudiera les sciences politiques. « J’ai une double culture et je parle plusieurs langues : le pachtou, ma langue maternelle, le dari, le persan, l’anglais, le français. J’ai aussi des notions d’arabe, liste-t-il. Mais je ne connaissais pas grand-chose sur les écoles. J’ai entendu parler de Sciences Po et de la voie CEP au Noordover (convention éducation prioritaire) quand j’étais en troisième. »
Direction Menton
L’adolescent cueille les opportunités à pleines mains. Joueur du Cricket club de Saint-Omer – il fait partie de l’équipe de France des moins de 19 ans –, Momtaz a rencontré par ce biais le député Benoît Potterie (REM), qui l’a invité à l’assemblée nationale. Il a pu assister à une commission des finances sur la taxation des titres de séjour, « un sujet qui me concerne directement ». Le garçon a également décroché un stage à l’ambassade d’Afghanistan à Paris.
« Ma famille est très fière de moi »
À la rentrée, il intégrera le campus de Sciences-Po Paris à Menton (06), spécialisé sur les cultures du Proche et du Moyen-Orient. La réforme des épreuves d’admission, désormais très axées sur les motivations personnelles, lui a permis de valoriser son parcours atypique. « Je n’ai pas 18-19 de moyenne mais ils ont pris tout cela en compte, sourit-il, reconnaissant. Ma famille est très fière de moi. » Il espère que ses efforts pèseront également lorsque le moment sera venu de demander la nationalité française. Pour, un jour, représenter son pays d’accueil dans le monde.
Parmi les 15 284 lycéens à avoir postulé pour entrer à Sciences Po Paris cette année via Parcoursup (+103 % par rapport à 2020), sept venaient du lycée du Noordover. Et parmi ces sept-là, Safia Afaska, Lalie Hannedouche, Inès Lardey et Momtaz Nasseri ont décroché la timbale : ils feront leur rentrée 2021 dans l’un des campus de la prestigieuse école. Heureux et fiers, forcément.
Épreuves identiques pour tous
La convention éducation prioritaire (CEP) signée entre Sciences po Paris et le lycée grand-synthois remonte à 2006. Jusqu’à l’année dernière, les élèves issus de cette filière de recrutement (106 établissements conventionnés) passaient des épreuves d’admissibilité différentes de celles de la filière classique. « Désormais, les épreuves sont les mêmes pour tous, et 10 % des places sont réservés aux élèves issus des CEP », expliquent Catherine Debryune et Chloé Duminil, les deux enseignantes co-responsables de l’atelier de préparation au Noordover. Une fois par semaine, sur la pause de midi, les élèves bûchent sur l’actualité et des synthèses d’ouvrages. D’anciens élèves issus de CEP donnent un coup de main pour préparer l’oral.
La convention avec Sciences-Po n’attire pas que des jeunes issus des quartiers prioritaires. Certains élèves plus favorisés viennent spécialement au Noordover dans cet objectif. « Ils doivent impérativement arriver dès la classe de seconde pour être intégrés au dispositif, précisent les deux profs. Mais oui, il y a un appel d’air, et c’est tant mieux pour la mixité sociale. » Depuis 2006, 24 lycéens du Noordover ont profité de cette passerelle.