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La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

Solidarite avec Mimmo Lucano

Source : Médiapart - Nejma Brahim - 02/07/2021

En Meurthe-en-Moselle, de très nombreux jeunes majeurs étrangers sont menacés d’expulsion, après avoir été pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE). Un collectif s'est constitué pour dénoncer leur condition. Quatre d’entre eux ont rencontré le préfet mi-juin.

Nancy (Meurthe-et-Moselle).– À Nancy, nombreux sont ceux qui dénoncent la « pluie » d’obligations de quitter le territoire français (OQTF) qui s’est abattue sur le département de Meurthe-et-Moselle au cours des derniers mois. « On a vraiment beaucoup de cas », souffle Charlotte, une bénévole de l’association Un toit pour les migrants. Assis à ses côtés, vendredi 25 juin à l’heure du déjeuner, une dizaine de jeunes migrants concernés par ces menaces d’expulsion ont pris place autour de la table de jardin d’Émile* et Nicole* – un couple de retraités qui héberge de jeunes migrants et ouvre sa porte à qui veut partager son repas.

Ils ont pourtant été reconnus, pour la plupart, mineurs non accompagnés (MNA dans le jargon) et pris en charge par le conseil départemental à travers les services de l’aide sociale à l’enfance (ASE). Mais à leur majorité, sans réelle explication, une OQTF leur est parvenue, brisant au passage tous les efforts d’insertion déjà réalisés et les rêves à venir. « J’ai reçu une OQTF par courrier en mars dernier [soit un mois après son 18anniversaire – ndlr]. Depuis, j’ai dû arrêter ma formation à l’école et au travail, car on m’a dit que je n’avais plus le droit d’y aller », confie Ali*, dépité.

Comme ses amis, il avait été reconnu mineur et avait pu s’inscrire en bac professionnel pour se former au métier de la plomberie en apprentissage. « Je m’entendais bien avec mes collègues de travail et mes camarades de classe… Mais aujourd’hui, je n’ai plus rien à faire de mes journées. Je ne me sens pas bien », poursuit celui qui était censé passer en classe de terminale l’an prochain. « J’ai beau essayé de me changer les idées, en lisant par exemple, ces problèmes me reviennent à chaque fois en tête et je n’arrive plus à rien faire. C’est très difficile. » Ali laisse un silence, puis plonge son regard dans le vide, laissant ses amis poursuivre le débat.

Les jeunes du collectif chez Emile et Nicole*, un couple de retraités solidaire des exilés. © NB
Les jeunes du collectif chez Emile et Nicole*, un couple de retraités solidaire des exilés. © NB
 

Alex* et son petit frère, de nationalité arménienne, ont eux aussi reçu une OQTF après avoir été protégés par l’ASE six ans plus tôt. « J’ai dû quitter mon logement et je me suis retrouvé à la rue », chuchote l’aîné. Depuis, il passe d’une solution précaire à une autre, entre une famille d’hébergeurs solidaires et un lieu d’accueil pour jeunes en attente de reconnaissance de leur minorité, géré par l’Armée du Salut et fermé en 2019, jusqu’à la maison d’Émile et Nicole, où il vit depuis deux ans. « Mes trois demandes de titre de séjour ont été rejetées, même quand j’ai eu la possibilité d’un apprentissage au sein d’une entreprise. Je vais finalement demander l’asile. »

En début d’année, pour protester contre cette « énorme vague d’OQTF », Charlotte et Johan, un autre bénévole de l’association Un toit pour les migrants, ont encouragé tous ces jeunes à se mobiliser pour exprimer eux-mêmes leur désarroi. « Ils étaient une trentaine au début, dont certains voulaient organiser des manifestations », relate la première. Et le second de compléter : « Pour une partie d’entre nous [les bénévoles – ndlr], il était important de les laisser s’exprimer par eux-mêmes et que personne ne se substitue à leur parole. » Très vite, une boucle WhatsApp est créée.

On a réuni des jeunes avec et sans papiers, main dans la main dans un combat commun
Alpha*, l’un des cofondateurs du collectif

C’est ainsi que naît, en janvier 2021, l’idée d’un collectif à Nancy. Il réunit aujourd’hui 124 personnes de différentes nationalités : une majorité de jeunes fraîchement majeurs, mais aussi d’actuels mineurs non accompagnés toujours sous la protection de l’ASE et préoccupés par ce qui les attend ensuite, qui ont décidé de se rassembler et de s’organiser pour dénoncer leur situation. « On s’est dit que de façon individuelle, on n’aurait pas beaucoup de chances de se faire entendre. Là, on a réuni des jeunes avec et sans papiers, main dans la main dans un combat commun », se réjouit Alpha*, l’un des cofondateurs du collectif.

À 19 ans, il fait partie de ces anciens MNA aujourd’hui visés par une OQTF. En France depuis quatre ans, il commence sa troisième année de scolarisation et a passé son bac spécialité Mélec (métiers de l’électricité et de ses environnements connectés) cette année. « Ils ont mis plus d’un mois à répondre à ma demande d’autorisation de travail pour mon apprentissage. Je l’ai tout de même commencé avant ma majorité, et quand j’ai fait une demande de titre de séjour, on m’a répondu par une OQTF. Je ne comprends pas car je travaille dur au lycée, je suis l’un des meilleurs de la classe », insiste Alpha.

Sur le document, que Mediapart a pu consulter, la préfecture affirme que les documents présentés sont « dépourvus de valeur probante », et que « s’il est inscrit dans un établissement d’enseignement, que ses enseignants soulignent son sérieux et son investissement, l’intéressé n’établit pas avoir fixé le centre de ses intérêts principaux en France ». Un coup de massue pour Alpha qui estime s’investir sans relâche dans la société française.

Après une demande via Parcoursup, le jeune Guinéen a été accepté en BTS dans « un très bon lycée » de Nancy. Mais avec l’inquiétude, malgré tout, que la complexité de sa situation administrative ne vienne perturber le cours de ses études. « Je suis allé voir le proviseur adjoint pour lui en faire part et il m’a rassuré en me disant que je n’étais pas le seul dans cette situation. » Quoi qu’il en soit, Alpha ne pourra pas faire son BTS en alternance comme prévu, bien qu’il ait trouvé une entreprise prête à le recruter.

Son camarade Mamadou, originaire de Guinée également, a tenu à participer à la création du collectif même s’il ne fait pas l’objet d’une OQTF. Reconnu MNA à l’âge de 16 ans, dès son arrivée en France il y a trois ans, il a déjà obtenu un premier diplôme en maintenance des engins de travaux publics et poursuit cette année avec un CAP de conducteur routier. Sur son smartphone, il déroule avec fierté les photos des différents véhicules qu’il sait désormais conduire, puis lance : « J’ai quand même dû faire un référé au tribunal pour pouvoir obtenir mon récépissé à ma majorité, tellement ça tardait. » Ce dernier expire en août et il ignore s’il pourra le renouveler.

Un « gâchis » sur les plans humain et économique

Plus tôt dans la matinée, il retrouvait un groupe de jeunes exilés sans solution d’hébergement, soit parce qu’ils n’ont pas été reconnus MNA, soit parce qu’ils ont reçu une OQTF et ont dû quitter leur foyer. « Ce collectif, c’est d’abord une question de solidarité envers tous les jeunes. Et ce n’est pas parce qu’on a un récépissé ou un titre de séjour qu’on a des garanties. Il n’y a que quand tu as la nationalité que tu peux vraiment être tranquille », rappelait Mamadou, aux côtés de Moussa. Ce dernier évoquait le « stress » généré par ces situations : « En France, les gens sont contents de fêter leur anniversaire. Mais nous, on a carrément peur d’avoir 18 ans. »

Alpha*, arborant un tee-shirt de la marche nationale des sans-papiers de 2020. © NB
Alpha*, arborant un tee-shirt de la marche nationale des sans-papiers de 2020. © NB
 

Le 15 juin dernier, Alpha, Mamadou et Moussa faisaient partie de la petite délégation ayant réussi à décrocher une entrevue avec le préfet de Meurthe-et-Moselle, Arnaud Cochet, dans l’objectif d’interpeller les autorités sur leur situation. « On y est allés motivés, on est ressortis de là découragés », résume Moussa, également cofondateur du collectif. « Il s’est focalisé sur les documents et papiers d’identité qu’on n’a pas ou qui sont considérés comme faux. Mais il a quand même dit qu’il savait qu’on travaillait à l’école et qu’on était intégrés. »

« On était quatre, dans l’idée de représenter un peu tout le monde, complète Alpha. Il a reconnu nos difficultés tout en disant qu’il faisait son travail, qu’il était là pour appliquer les règles de l’État. Que la situation était la même partout en France et pas seulement à Nancy. On est venus avec des tracts signés par des patrons qui nous soutiennent, mais ça n’a rien changé. » « Et il a commencé en rappelant qu’il y avait bientôt des élections ! », ajoute Moussa, interloqué.

Yasmine, quatrième membre de la délégation et seule jeune femme du collectif, n’a pas été reconnue mineure à son arrivée en Meurthe-et-Moselle en 2018, après évaluation du département. « Ils ont estimé que mes extraits de naissance étaient non recevables. J’ai dû quitter le foyer dans lequel j’étais », rembobine la jeune Congolaise, qui dit avoir 19 ans. Depuis, elle vit chez une famille d’hébergeurs solidaires reliée à Un toit pour les migrants et n’a pas pu entamer ses démarches administratives, faute de pouvoir demander son passeport à l’ambassade. Elle a tout de même passé le bac cette année et a été acceptée en BTS dans deux lycées l’an prochain.

« Je ne suis pas visée par une OQTF, mais il y a toujours une crainte. Il se peut que j’en ai une au moment de faire ma demande de titre de séjour... », s’inquiète Yasmine, qui a tenu à rencontrer le préfet pour représenter les jeunes femmes dans sa situation. « Il y avait un enjeu important. Mais on a eu le sentiment qu’il ne prenait pas en compte nos préoccupations. Il nous renvoyait sans cesse à nos documents d’identité, qui ne sont pas des originaux ou qui comportent des erreurs. Il a bien vu bien notre intégration, nos bonnes notes à l’école, mais il est resté campé sur ses positions », détaille-t-elle.

Je garde espoir parce qu’il n’y a pas d’autre solution
Yasmine, membre du collectif ayant rencontré le préfet le 15 juin

Contactée, la préfecture de Meurthe-et-Moselle n’a pas répondu aux questions de Mediapart à l’heure où nous publions cet article. « Mais je suis content d’avoir pu lui parler malgré tout. C’était important qu’il l’entende de notre bouche. Ça ne change rien sur le moment, mais peut-être qu’à l’avenir, si ! », espère Alpha. « Je garde espoir parce qu’il n’y a pas d’autre solution, enchaîne Yasmine. On se donne les moyens de réussir, on est motivés, mais c’est vrai que quand on voit combien c’est compliqué pour d’autres qui ont le même parcours, on se sent parfois découragés. »

Mᵉ Brigitte Jeannot, avocate spécialiste du droit des étrangers qui défend les jeunes du collectif, dénonce une « véritable problématique » en Meurthe-et-Moselle. « C’est un jeu de massacre, ose-t-elle. Même s’il y a un durcissement général en France, on peut dire que chez nous, la préfecture veut avoir la tête de tous les jeunes majeurs. La préfecture fait preuve d’une déloyauté inouïe à leur égard. » Et d’assurer que la préfecture de Meurthe-et-Moselle s’emploie à « contester de manière systématique » l’identité des jeunes, « alors même qu’il y a eu une vérification réalisée par le parquet, le conseil départemental et/ou le juge des enfants en amont. Mais la préfecture s’assoit complètement là-dessus et refait le match. Sous couvert de ça, elle ne délivre pas de récépissés, les instructions de demandes de titre de séjour ou d’autorisation de travail sont particulièrement longues, et de jeunes Maliens ou Ivoiriens se voient demander des actes d’état civils légalisés. La préfecture complique tout », résume Mᵉ Jeannot.

Vendredi après-midi, Noël, membre d’Un toit pour les migrants et chargé du volet juridique, rend visite à Boubou*, un jeune Guinéen, en colocation dans un appartement nancéien. Depuis quelques années, l’association laisse plusieurs logements à disposition de ceux qui se retrouvent sans solution d’hébergement. Un complément aux familles d’hébergeurs solidaires sur qui elle peut aussi compter. « Boubou, c’est un cas particulier, lance d’emblée le bénévole. Il est allé au tribunal administratif et il a gagné ! » Lorsqu’il est reconnu MNA, il s’oriente vers un CAP de cuisine et fait une demande de titre de séjour auprès de la préfecture, qui la rejette dans la foulée.

« J’ai alors reçu une OQTF. Mais avec le recours, j’ai réussi à obtenir un récépissé de six mois. Je vais pouvoir commencer mes cours et le travail. » Mais comme le souligne Noël, « la plupart » des jeunes se trouvent devant un mur administratif. « Les recours se font à la cour administrative d’appel et ne sont pas suspensifs. En moyenne, cela dure un an, ce qui met les jeunes en grande difficulté et en situation de précarité. » Le plus souvent, au tribunal administratif, Mᵉ Jeannot ne gagne qu’à l’aide « d’arguments techniques ».

Il y a un nombre incroyable d’employeurs qui prennent contact avec la préfecture pour défendre les jeunes
Me Brigitte Jeannot, avocate spécialiste du droit des étrangers

« Quand la préfecture conteste l’identité, elle s’appuie sur des rapports de la police aux frontières en invoquant des documents irrecevables. Je fais jouer dans ce cas la présomption de validité des actes d’état civil étrangers », explique-t-elle, ajoutant que l’idée d’un « gâchis sur les plans humain et économique » ne convainc pas. « Même les CFA [centres de formation d’apprentis – ndlr] sont écœurés. Il y a un nombre incroyable d’employeurs qui prennent contact avec la préfecture pour défendre les jeunes, mais elle reste sourde. »

Un « gaspillage », abonde Charlotte, également bénévole à Réseau éducation sans frontières (RESF) et la Ligue des droits de l’homme. « C’est un mot qui revient beaucoup dans le discours des jeunes. Ils sont pris en charge [par l’ASE – ndlr], acceptés dans le circuit, inscrits au lycée… Et quatre ans plus tard, on veut les mettre dehors. » « Dans ce cas-là, ne nous acceptez pas dès le départ, dites-nous de ne pas venir en France », s’agace Moussa, atterré par ces incohérences de l’État. « Comment on va faire maintenant ? »

« Aujourd’hui, on a deux préoccupations, alerte Émile dans son jardin. Cette pluie d’OQTF et le non-renouvellement des contrats jeunes majeurs, qui, aux dernières nouvelles, pourraient aller jusqu’en septembre. » Selon nos informations, 350 jeunes étrangers en bénéficieraient en Meurthe-et-Moselle. « Des gens formés et compétents... », soupire Émile. Et son épouse d’embrayer : « ... pour lesquels partout, on a des retours positifs, qu’il s’agisse des profs ou des employeurs ! »

 

 


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