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Fermez les Centres de Rétention !

La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

Solidarite avec Mimmo Lucano

Source : Medipart - Emmanuel Riondé - 18/08/2021

Les Pyrénées sont l’un des principaux points d’entrée en France pour les migrants et réfugiés venus d’Afrique de l’Ouest. Au Pays basque, les vieux réseaux de solidarité politique se réactivent.

Irún (Espagne), Hendaye, Bayonne (Pyrénées-Atlantiques).– Comment franchir ? Ce samedi de juillet, Fall*, Gaye* et Thiem*, leur sac sur le dos, tentent de passer en plein jour, à pied et l’air de rien, par le pont Santiago qui relie Irún à Hendaye, au-dessus de la Bidassoa. Mais les deux policiers français qui contrôlent les voitures arrivant d’Espagne les renvoient brutalement.

Premier échec. Repartis côté Irún, quelques centaines de mètres en retrait, les trois Mauritaniens, adossés à une rembarde, envisagent la suite. Leurs regards balaient tour à tour les autres ponts qui enjambent le fleuve et les premiers vallons de la chaîne pyrénéenne au loin.

Étant arrivés le matin même dans la petite ville frontalière, leur détermination est intacte : après avoir rallié les Canaries en bateau et passé les trois derniers mois à Madrid, ils sont presque en France et entendent bien y entrer, même s’il faut pour cela déjouer les patrouilles.

Contrôle policier à Hendaye. © Photo Emmanuel Riondé pour Mediapart

À deux cents mètres de là, dans sa voiture de police stationnée devant les barrières métalliques qui bloquent le pont piéton, un fonctionnaire de la Police aux frontières (PAF) se lâche. « On l’a fermé pour le Covid, mais aussi pour les migrants. Beaucoup essaient de passer par là », dit-il en désignant les deux voies ferrées parallèles qui enjambent la Bidassoa. Avant de ricaner : « On en voit des fois, à quatre pattes, qui essaient de se faufiler… Quand on les attrape, on les refoule direct ! »

Alors que les Alpes ont longtemps été une route privilégiée pour entrer en France, la politique migratoire italienne très répressive mise en place par Matteo Salvini au printemps 2018 a redistribué les cartes. « Ce durcissement de l’Italie sur l'arrivée dans les ports a coïncidé avec un usage moindre de la route de la Libye, qui devenait trop dure. Tout ça a conduit à une augmentation du nombre de personnes arrivant par les Pyrénées », résume Agnès Lerolle, de la Coordination d’action aux frontières intérieures (CAFI, qui regroupe Amnesty international, Médecins du Monde, Médecins sans frontières, la Cimade et le Secours catholique-Caritas France).

Ce « rééquilibrage » des flux migratoires n’a échappé à personne : ce n’est pas à Briançon (Hautes-Alpes) mais bien au col du Perthus dans les Pyrénées-Orientales que le 5 novembre 2020 (une semaine après les attentats de Nice) Emmanuel Macron a annoncé le doublement des forces de police et militaires contrôlant les frontières. Selon la CAFI et l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (ANAFÉ), « il y a eu entre 3 500 et 4 500 refus d’entrée par an » entre 2016 et 2019 sur la zone frontalière des Pyrénées-Orientales. « Il s'agit d'une politique de non-accueil, donc c’est difficile d’avoir des chiffres, mais la frontière pyrénéenne est surtout franchie au Pays basque, ajoute Agnès Lerolle. On sait que quand les migrants arrivent à Madrid, ils sont plutôt orientés vers là que vers les Pyrénées-Orientales, où le réseau d’accompagnement est moins dense. »

À Tarbes (Hautes-Pyrénées), à Saint-Gaudens (Haute-Garonne) ou du côté de Prades (Pyrénées-Orientales), tout au long de la chaîne pyrénéenne, de nombreuses initiatives locales de solidarité avec les réfugiés ont vu le jour ces dernières années. Mais les voies transpyrénéennes les plus utilisées par les réfugiés restent celles des littoraux atlantique et méditerranéen. « À notre connaissance, il n’y a pas grand-chose au milieu, en termes de passage, note Émilie Pesselier, coordinatrice à l’ANAFÉ. C’est plus simple pour les migrants d’emprunter les grands axes qui, depuis l’Espagne, mènent au nord en passant par Barcelone/Perpignan ou Hendaye/Bayonne. »

On a pu constater de nombreux contrôles au faciès et des procédures expéditives de renvoi

Agnès Lerolle, de la CAFI

Bénévole à la Cimade Pays basque, Evelyne Bire dit voir arriver dans la région des « accueillis » qui sont « très majoritairement des hommes de 14 à 30 ans, venus d’Afrique de l’Ouest, surtout Mali, Côte d’Ivoire, Guinée ou Cameroun, et qui visent des grandes villes françaises : Paris, Toulouse, Bordeaux… ». Parmi eux, beaucoup sont parvenus en Espagne en « transitant » par les îles Canaries, une route atlantique dangereuse qui s’est « rouverte » à l’automne 2020.

À Hendaye, sur environ 4 kilomètres, pas moins de sept points de passage permettent d’aller d’Espagne en France : deux ponts routiers (Santiago et Béhobie), un pont piéton (fermé côté français), deux ponts ferroviaires, une navette maritime et un échangeur autoroutier (Biriatu), auxquels s’ajoutent des sentiers en moyenne montagne. Autant de lieux où s’exerce une forte pression policière et militaire, notamment du côté français.

S’appuyant sur les accords bilatéraux dits de Malaga, signés le 26 novembre 2002, relatifs à la réadmission des personnes en situation irrégulière, les forces de l’ordre arrêtent et renvoient côté espagnol sans toujours s’encombrer de la légalité. « On a pu constater de nombreux contrôles au faciès et des procédures expéditives de renvoi », résume sobrement Agnès Lerolle de la CAFI.

Début juillet, elle a mené une mission d’observation sur place, avec l’ANAFÉ et des militants d’organisations locales. En mars dernier, les maires d’Irun, Hondarribia et Hendaye ont alerté la sous-préfecture de Bayonne et la délégation du gouvernement espagnol au Pays basque au sujet de « l’afflux croissant de la population subsaharienne, contrainte de rester dans les installations d’urgence, à cause du durcissement des contrôles frontaliers de la part des autorités françaises et l’impossibilité de poursuivre leur route ».

Pour celles et ceux qui parviennent malgré tout à passer, l’étape suivante est Bayonne. En 2018, face à la soudaine affluence, le maire de la ville, Jean-René Etchegaray (centre-droit, réélu au printemps 2020), la communauté d’agglomération et des associations ont mis en place en quelques semaines un centre d’accueil pour migrants dans des bureaux désaffectés de l’armée sur les quais de l’Adour, au cœur de la ville (lire notre reportage).

Pausa, le nom de ce centre, existe toujours mais depuis, la belle entente a volé en éclats. Fin 2019, Atherbea, l’importante structure associative qui gérait le centre, a quitté le dispositif faute d’accord avec la mairie et, en décembre dernier, c’est Diakité, une association de soutien aux migrants créée à l’été 2018, qui a retiré ses bénévoles du centre, en conflit avec les nouvelles options de la mairie. Celle-ci a notamment confié la direction du centre à un ancien gendarme.

Des bénévoles de l'association Diakité. © Photo Emmanuel Riondé pour Mediapart

« Le bénévolat continue, ceux qui veulent nous rejoindre sont bienvenus mais nous avons mis un peu d’ordre », plaide Christine Lauqué, adjointe aux solidarités de Bayonne. En l’occurrence, un principe d’accueil en transit « trois jours-trois nuits ». « On accueille entre 30 et 40 personnes chaque jour, c’est notre jauge et ce système permet de la fluidité », assure l’élue. Depuis sa création, Pausa a accueilli 16 000 personnes et en voit passer autour de 800 chaque mois. « On n’a aucune visibilité sur la suite mais tant que le besoin existera, le centre sera maintenu. Nous serons là pour proposer à ces personnes une pause dans leur parcours migratoire. »

Depuis février, tous les week-ends, les bénévoles de Diakité utilisent la maison des jeunes de Bayonne, à environ 300 mètres de Pausa. Distributions de vêtements et de produits d’hygiène, consultations médicales, infos pratiques, orientations vers des structures adaptées, etc. L’association poursuit son travail de soutien logistique. « C’est devenu un nouveau lieu de rencontre où se croisent des anciens de Pausa à la rue, des jeunes partis à l’ASE, des nouveaux arrivants en transit… », raconte la présidente de Diakité, Lucie Bortayrou, qui espère pouvoir investir bientôt un lieu d’accueil plus autonome.

En attendant, elle s’inquiète de l’évolution de la situation : « Les migrants continuent d’arriver mais les contrôles se sont accentués depuis début 2021. Il y a beaucoup de renvois, des arrestations, le tout adossé au discours antiterroriste de l’État. La répression s’est durcie, on l’a constaté lors de nos trois journées d’observation début juillet. » Mais elle explique aussi que « la détermination des migrants est totale : ils veulent passer, les passages existent et ils vont les trouver. Au risque de se mettre en danger dans les sentiers de montagne qu’ils ne connaissent pas. C’est assez critique et on a tous peur qu’il y ait d’autres morts ».

L’ensemble des militants et des « accueillis » du Pays basque ont été marqués par le décès d’un jeune Ivoirien qui s’est noyé dans la Bidassoa le 22 mai dernier (lire notre article). Une première dans la région depuis le début de la crise de l’accueil.

Une crise dans laquelle Etorkinekin (« avec les migrants », en basque) prend toute sa place. Créé en 2015 à Bayonne, ce collectif s’est constitué en association en janvier dernier et s’engage depuis dans une démarche fédérative avec ses 13 groupes locaux répartis dans le Pays basque nord. « On ne fait pas de l’humanitaire mais de l’accueil solidaire, explique la porte-parole Amaia Fontang. Notre objectif est double : offrir le meilleur accueil possible aux migrants en Pays basque et sensibiliser et dénoncer les politiques migratoires françaises et européennes. Ces deux aspects sont indissociables. »

L’histoire du Pays basque a créé des réseaux qui se sont remis à fonctionner dans l’entraide autour des migrants, c’est une sorte de tissu social préexistant, avec un fort ancrage militant historique

Maite Etcheverry, de la Cimade

Etorkinekin qui, dans la chaîne de solidarité, intervient « après Pausa », assure aujourd’hui un hébergement à 160 migrants, dont une trentaine de mineurs, entre Hendaye et Mauléon (Pyrénées-Atlantique), dans le respect de la « tradition d’accueil » très ancrée au Pays basque selon Amaia : « Des Espagnols sont arrivés dès 1936 et le début de la guerre, puis les exilés de la retirada en 1939. Et à partir de la fin des années 1960, des militants indépendantistes basques fuyant la répression franquiste ont pu se réfugier ici. Cet accueil n’était pas forcément le fait de militants politiques, simplement de la solidarité basque… » Une solidarité transpyrénéenne qui s’explique, toujours selon Amaia, par « une langue et une histoire communes dans la région qui facilitent cela ». Et de sourire : « Ça fonctionne aussi dans l’autre sens : lors de la Première Guerre mondiale, des Basques français qui ne voulaient pas aller faire de la chair à canon se sont réfugiés côté espagnol, au Pays basque sud. »

Dans ce « Pays basque sud », les réseaux de solidarité sont tout aussi actifs. À Irún, un collectif citoyen accueille les migrants sur la place de la mairie et les oriente du mieux possible pour la suite de leur périple. Et Etorkinekin est en lien avec Ongi Etorri Errefuxiatuak, une structure menant sensiblement le même genre d’action du côté de Bilbao.

Pour Maite Etcheverry, intervenante Cimade au Centre de rétention administrative (CRA) d’Hendaye, « l’histoire du Pays basque a créé des réseaux qui se sont remis à fonctionner dans l’entraide autour des migrants, c’est une sorte de tissu social préexistant, avec un fort ancrage militant historique ». Lorsque, le 16 février dernier, le RN a organisé un rassemblement devant le pont de Béhobie à Hendaye, y déployant une banderole « Immigration ça suffit », il était attendu.

Aux cris de « fascistes, cassez-vous ! », les contre-manifestants et leurs pancartes « Refugees welcome », déclinées en basque et en français, ont contraint les militants d’extrême droite à quitter piteusement les lieux sous protection policière. Côté mairie, on assure que l’accueil des migrants n’a pas causé de problème politique. « Deux élections ont eu lieu depuis que le centre Pausa a été créé et ça n’a fait aucun débat », assure l’adjointe au maire de Bayonne, Christine Lauqué.

Deux femmes accueillies par les bénévoles de l'association Diakité. © Photo Emmanuel Riondé pour Mediapart

« La sociologie a un peu changé ces dernières années, estime Amaia Fontang. Le BAB [acronyme de Bayonne-Anglet-Biarritz qui désigne la zone géographique englobant les trois villes – ndlr] s’est transformé. Les gens d’ici n’étaient pas habitués à voir des Noirs dans leur environnement. Maintenant, c’est plus fréquent, y compris dans l’arrière-pays : il y a une forme d'échange et d’intégration qui s’est faite au fil des dernières années. »

Assise sur les rives de l’Adour, devant la maison des jeunes où des migrants sont venus récupérer quelques vêtements et échanger des nouvelles et des informations avec les bénévoles et les autres « accueillis », Lucie Bortayrou s’agace et revient à des considérations simples et basiques : « Ce serait quoi le problème ? Les passages, la contrebande ? Ça fait partie de notre histoire. C’est comme ça : la frontière, on s’en fout nous, on passe dessus. Ça a toujours été comme ça par ici. »

 

 


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