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La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

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Source : Le monde - Ghazal Golshiri - 17/09/2021

Reportage : Grâce à cette ONG, cent vingt personnes ont pu être évacuées d’Afghanistan en août. L’association, que Benoît Hamon vient de rejoindre, favorise l’insertion des réfugiés. Ces dernières semaines, elle a veillé à ce que les nouveaux venus soient entourés par les anciens.

En cette soirée du samedi 4 septembre, l’heure est à la fête dans la maison de David Robert, en banlieue parisienne. Le directeur général de l’ONG Singa France a installé des chaises et des tables à l’extérieur, sorti de nombreux verres et assiettes, mis des jus de fruits au frais. Il attend une vingtaine d’Afghans, tout juste évacués de Kaboul après la prise de pouvoir des talibans, le 15 août, des membres de l’association et des militaires français qui les ont aidés à fuir leur pays. Et aussi Benoît Hamon qui, cinq jours plus tard, annoncera quitter la politique pour devenir directeur général de Singa Global.

Dans le jardin, Abbas Khavari, Afghan réfugié en France depuis une dizaine d’années, a installé un petit four et préparé une table avec des pâtes à pizza, du fromage, des légumes, du saucisson. Les ingrédients « sont halal, le temps qu’ils s’adaptent », précise-t-il en souriant, à propos de ses compatriotes fraîchement arrivés. Abbas Khavari a lancé un petit business de confection de pizza à domicile, Pizza Bobo, grâce à Singa.

Une semaine décisive

Fondée en 2012 en France et présente dans six autres pays européens ainsi qu’au Canada, l’ONG cherche à créer du lien (la signification de singa, en lingala, langue bantoue du Congo) entre les citoyens et les personnes réfugiées, à travers la rencontre, l’hébergement et l’aide à l’entrepreneuriat. Elle met aussi en relation les citoyens et les chefs d’entreprise qui veulent créer des projets en relation avec l’asile et la migration. Aujourd’hui, le créateur de Pizza Bobo est également bénévole pour l’association et veille à l’accueil des nouveaux exilés.

Med Ewaz (à droite), en France depuis six ans, sert un verre à Roya et sa belle soeur Farida qui viennent d’arriver en France.

Louisa Ben pour M Le magazine du Monde

Eparpillés dans des hôtels en périphérie de Paris, ils arrivent, groupe par groupe, chargés de cadeaux : bouquets de fleurs, amandes apportées d’Afghanistan, bouteille de vin à la main pour remercier l’association. Parmi eux, des parents âgés, de jeunes couples, des adolescents et même un nourrisson de 2 mois, Hasti, dont les parents ont dû patienter deux nuits dans l’aéroport de Kaboul. En ce début de soirée au temps orageux, des cris de joie résonnent.

« Mais vous êtes ici, vous ? s’écrit, en dari, une Afghane à l’attention d’un militaire qui, dix jours plus tôt, l’a aidée à escalader un grand mur pour entrer dans l’aéroport. Est-ce que je peux me prendre en photo avec vous ? Ça ne sera que pour moi. Je voudrais imprimer la photo et l’accrocher au mur. » Tous ont vécu ensemble une semaine décisive, où se sont parfois jouées la vie ou la mort de ceux qui cherchaient à fuir les talibans.

L’urgence de la situation

Pour le responsable de Singa, l’opération d’évacuation a commencé le 16 août. Au lendemain de la chute de Kaboul, David Robert, qui est en congé, comprend l’urgence de la situation en découvrant cinq appels manqués d’Alice Barbe, la cofondatrice de l’association. « Quand je la rappelle, elle m’informe que des bénévoles afghans de notre association cherchent à faire partir d’­Afghanistan leurs familles et leurs proches en danger, raconte David Robert. Ils ne savaient pas comment faire. »

Très vite, des responsables de Singa et cinq bénévoles afghans établissent une liste de 120 personnes et la font valider par le Quai d’Orsay. Ils imaginent que l’essentiel du boulot est fait, or le plus dur reste à venir. L’aéroport de Kaboul, la seule porte de sortie du pays – les frontières terrestres étant toutes fermées – est pris d’assaut par des dizaines de milliers de personnes cherchant à quitter le pays. Les troupes étrangères, notamment américaines, sont censées quitter l’Afghanistan avant le 31 août, selon l’accord de Doha conclu en 2020 entre Washington et les talibans. Le temps est compté.

Lire aussi : Scènes dramatiques à l’aéroport de Kaboul, dernière chance de fuir le nouveau régime taliban

A l’aéroport, au moins une vingtaine de civils meurent dans des mouvements de foule ou parce qu’ils ont été touchés par des balles tirées par les talibans ou les forces américaines, chargées de la sécurité du site. « Le 19 août, certaines familles de notre liste étaient déjà aux alentours de l’aéroport depuis deux jours, se souvient David Robert. Il y avait des tout petits enfants, des personnes âgées. Nos amis afghans à Paris nous ont alors demandé de leur filer un coup de main pour coordonner les opérations d’évacuation. »

La fin d’un calvaire pour 120 personnes

Un groupe WhatsApp se met en place avec une centaine de personnes : des Afghans de la liste d’évacuation, des membres de Singa et des bénévoles afghans. David Robert et Alice Barbe donnent des instructions en français, que ces anciens réfugiés traduisent d’emblée en dari et en pachtou. Les membres de ce groupe présents à l’aéroport de Kaboul envoient sans cesse leur géolocalisation et se prennent en photo pour faciliter leur identification par les membres de l’association.

Par miracle, un homme du groupe WhatsApp parvient à accéder à l’intérieur de l’aéroport et s’adresse à un militaire français. « Je suis dans la liste Singa. » Son identité et son appartenance à la liste sont rapidement vérifiées et un premier lien de confiance est établi entre le groupe et les militaires français sur place – certains appartiennent au RAID, unité d’intervention d’élite de la police nationale française dépêchée à Kaboul pour mener les opérations d’évacuation.

 de kaboul a paris 2

« Les militaires comprennent que nous sommes bien organisés et efficaces, capables de faire déplacer un groupe de quarante personnes en dix minutes, que nous avons des leaders sur place qui parlent toutes les langues, explique David Robert. C’est comme ça que nous avons pu aider les autorités à mettre en place des évacuations. »

Ainsi, en trois jours, 120 personnes figurant sur la liste Singa (sur un total de 2 600 personnes exfiltrées vers la France) débarquent à Paris, après un passage par Abou Dhabi. La fin d’un calvaire de plusieurs jours aux abords de l’aéroport pour certains.

Les Hazara, cible des persécutions

Celui de Samira Alizadah, 25 ans, a duré vingt-quatre heures. Le 22 août, elle est arrivée à 15 heures à l’aéroport et est restée debout toute la nuit, parmi la foule. La veille, quand cette Afghane a entendu des amis parler de la liste Singa, elle a interrogé sa mère : que faut-il faire ? « Pars avec ton frère, lui a lancé celle-ci. Partez tous les deux. C’est mieux que rien. »

A son père, qui dormait ce soir-là, elle n’a pas pu dire au revoir. « J’ai juste embrassé sa main. A ma petite sœur de 12 ans, j’ai demandé de ne pas pleurer. Elle m’a bien écoutée. » Samira Alizadah a de longs cheveux noirs et lisses, un visage rond et les yeux bridés de la minorité chiite hazara. Une communauté persécutée par les nouveaux maîtres du pays.

Lire aussi Afghanistan : « Les Hazara sont de nouveau en grand danger de génocide »

Ces dernières années, beaucoup d’Hazara ont été la cible des attentats et des persécutions des talibans (pachtounes et sunnites) et des combattants de l’organisation Etat islamique, présents depuis 2015 en Afghanistan. Depuis la chute de Kaboul, des informations relayées par les organisations des droits humains font état d’assassinats des membres de cette minorité dans la province de Ghazni (centre). « Les talibans ont les mains couvertes de notre sang, glisse Samira Alizadah. Je ne peux guère leur faire confiance. »

« Ils (les talibans) avaient tous 16, 17 ans. Ils portaient des shalwar kameez, l’habit traditionnel afghan, moi, j’étais en tee-shirt et jeans. Ils m’ont parlé en pachtou. Je n’ai pas compris. Du coup, l’un m’a dit en anglais : “(...) Vous ne pouvez plus vous habiller comme ça. C’est fini !” Je n’ai rien dit. J’avais très peur. » Muhammad Alizadah

Cette jeune Afghane a travaillé dans un atelier de confection de tapis, a été institutrice et fabricante de poupées, afin de mettre de l’argent de côté pour étudier. Finalement, il y a quelques mois, elle a réussi à obtenir une bourse d’une fondation britannique pour commencer, en janvier, des études de dentiste dans une université privée de Kaboul. « J’étais aux anges. Mes amies me disaient : “Tu y es enfin arrivée.” »

Le jour où Kaboul est tombée, le frère de Samira, Muhammad Alizadah, âgé de 17 ans, a croisé dans la rue une voiture avec à son bord sept jeunes combattants lourdement armés. « Ils avaient tous 16, 17 ans, raconte-t-il. Ils portaient des shalwar kameez, l’habit traditionnel afghan, moi, j’étais en tee-shirt et jeans. Ils m’ont parlé en pachtou. Je n’ai pas compris. Du coup, l’un m’a dit en anglais : “Nous sommes arrivés. Vous ne pouvez plus vous habiller comme ça. C’est fini !” Je n’ai rien dit. J’avais très peur. »

Le jeune Afghan, à la coupe bien soignée et aux bras musclés, parle anglais avec aisance. Il l’a en partie appris en regardant des séries à succès comme Game of Thrones et Teen Wolf. Il suivait aussi depuis juillet des cours d’anglais dans un institut privé de Kaboul. « Je voulais apprendre la grammaire pour passer le TOEFL [un examen d’anglais] et ensuite étudier le design à l’université. Cette discipline n’existera plus sous les talibans. » La vie qu’il menait à Kaboul non plus. « J’allais au café avec mes amis, filles et garçons. Je lisais tous les livres que je voulais. Depuis que les talibans sont arrivés, les cafés ont tous fermé. »

Recommencer sa vie à partir « de moins que zéro »

A la fête de Singa, en banlieue parisienne, le frère et la sœur sont assis en cercle sur des chaises. A leurs côtés, Med Ewaz, réfugié depuis six ans en France et bénévole de l’ONG, raconte un destin digne d’un film. Arrivé à Paris en 2015, il a dormi quelques semaines dans la rue et dans le métro. Après des mois dans un foyer, l’Afghan aux lunettes rondes a été mis en contact par Singa avec une Française qui lui a offert une chambre.

Med Ewaz a recommencé sa vie à partir « de moins que zéro ». Il a travaillé dans des cafés et étudié le soir, avant d’être admis, en 2017, dans le programme pour les étudiants réfugiés de Sciences Po. « Je savais ce que je voulais dès le départ, explique-t-il à ses compatriotes fraîchement arrivés. Il faut avoir une vision claire et juste et de vrais objectifs. »

Comme Med Ewaz le fera quelques jours plus tard, le 7 septembre, les bénévoles afghans de Singa invitent souvent chez eux les nouveaux arrivés, cuisinent des plats traditionnels afghans et donnent des conseils pour mieux comprendre la société française. Mais jamais ils ne parlent de la situation politique dans leur pays. « Trop triste », estime Med Ewaz.

La débâcle a pris tout le monde de court. Arrivée en France le 25 août, Raihana Raha, 25 ans, cheveux courts, savait qu’elle serait incapable de « rester enfermée à la maison ». Le jour de la chute de Kaboul, cette diplômée de littérature théâtrale avait tout de même pris la précaution de ne pas dormir chez elle. Par peur d’être arrêtée par les talibans, qui avaient déjà commencé la chasse aux militantes dans les provinces. Comme ses amis, elle n’était pas préparée à ce que la capitale, et avec elle l’ensemble du pays, tombe aussi vite. « Puisque les ambassades des pays étrangers étaient toujours ouvertes à Kaboul, nous pensions que la chute de la ville n’aurait pas lieu avant un ou deux mois. »

« (En 2016) j’ai entendu l’explosion et vu mes amis couverts de sang. (...) Il faisait chaud et l’odeur du sang était partout. Je ne l’oublierai jamais. C’est le prix qu’on a payé pour essayer d’avoir une vie meilleure. » Raihana Raha, réfugiée afghane

Originaire d’un petit village de la province de Deykandi, au centre du pays, Raihana Raha s’est battue toute sa vie pour devenir une femme indépendante. D’abord avec sa famille, afin qu’elle et sa sœur, Farzana, puissent quitter le domicile familial pour aller étudier à Kaboul. « Après mon départ, les autres familles, non seulement de notre village mais aussi de notre région, ont rivalisé pour envoyer leurs filles à l’université, raconte-t-elle fièrement. Ces changements donnaient du sens à ma vie. » A l’université, elle était de toutes les manifestations. « Je voulais montrer que les femmes ont leur place partout ».

En 2016, elle a frôlé la mort lors d’une manifestation contre les discriminations du gouvernement d’Ashraf Ghani envers les Hazara : un attentat-suicide, revendiqué par les talibans, y a fait 86 victimes. « J’ai entendu l’explosion et vu mes amis couverts de sang. Ils me criaient : “Ne viens pas ! Ne regarde pas !” Mais j’y suis allée, se souvient Raihana Raha. Il faisait chaud et l’odeur du sang était partout. Je ne l’oublierai jamais. C’est le prix qu’on a payé pour essayer d’avoir une vie meilleure. »

« Résilientes et déterminées »

Comme Raihana Raha, Shukriya Rezaye a lutté pour son indépendance. Agée de 30 ans, elle s’est mariée avec son petit ami, Ali Fakur, puis a résisté à la pression de la société patriarcale afghane pour ne pas avoir d’enfants tout de suite. « Vu la situation en Afghanistan, ça n’a pas de sens de donner naissance à un autre être. Peut-être ici en France, dans un ou deux ans… Qui sait ? », dit cette femme menue qui parle en agitant ses longs doigts.

« Ce jour-là (le 15 août) dans les rues, les visages étaient pâles, mais les cœurs étaient en feu. Les efforts des femmes et des jeunes pendant vingt ans, nos acquis obtenus petit à petit, sont partis en fumée en une nuit. » Shukriya Rezaye

A Kaboul, Shukriya Rezaye travaillait pour une ONG australienne. Elle menait des sondages auprès des femmes dans les provinces afghanes et organisait des formations pour leur faire connaître leurs droits et leur apprendre à devenir autonomes financièrement. Dans certains villages où elle se rendait, Shukriya Rezaye a observé des changements au fil des mois. « J’ai vu des femmes qui se mettaient à conduire, se réjouit-elle. J’aurais aimé voir ces progrès dans tout le pays. » Son rêve s’est brisé le 15 août. « Ce jour-là, dans les rues, les visages étaient pâles, mais les cœurs étaient en feu, se souvient-elle. Les efforts des femmes et des jeunes pendant vingt ans, nos acquis obtenus petit à petit, sont partis en fumée en une nuit. »

Lire le reportage : A Mazar-e Charif, les femmes afghanes, dernier rempart contre les talibans

Dans le jardin où se déroule la fête, Shukriya Rezaye parle de trahison. Aussi bien de la part des Américains, qui sont partis « si rapidement en laissant un vide derrière eux », que du président afghan, Ashraf Ghani. « Il a facilité la chute de Kaboul avec son népotisme, en mettant les membres de sa famille et de son ethnie [pachtoune] aux postes haut placés, soutient-elle. L’Afghanistan a du coup perdu beaucoup de ses ressources humaines. De nombreux Afghans sont partis ou ont été contraints à se taire. »

Shukriya Rezaye et son mari attendent de savoir dans quelle ville ils pourront s’installer pour construire une nouvelle vie. La jeune femme a prévu d’apprendre le français puis de faire porter la voix de ses amies afghanes, qui n’ont pu partir et aujourd’hui ne peuvent plus ni étudier ni travailler. « Nous, les Afghanes, nous sommes résilientes et déterminées malgré les difficultés, assure-t-elle. Ma langue a beaucoup de pouvoir. Je continuerai à parler. »

 

 


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