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La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

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Source : le monde - Jérôme Gautheret - 22/10/2021

Reportage:  Les bateaux siciliens qui pêchent dans les eaux poissonneuses de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque ont souvent maille à partir avec les Libyens. Mais depuis que l’Europe a chargé Tripoli, en 2018, d’empêcher les débarquements de migrants sur ses côtes, la situation est explosive.

Une fois arrivé sur le quai, et après les présentations d’usage, le pêcheur commence à livrer ce qu’il a sur le cœur. Alors que son débit s’accélère, le pur italien des premiers instants se mêle de termes siciliens, d’abord de façon sporadique, puis par phrases entières. La matinée n’est pas très avancée, mais le port de Mazara del Vallo, dans le sud-ouest de la Sicile, est déjà écrasé par la chaleur. Face au soleil aveuglant, qui se reflète sur une mer limpide, il plisse à peine les yeux – force de l’habitude. Ses traits sont tirés, et ses yeux rougis par les nuits sans sommeil ; il enchaîne nerveusement cigarette sur cigarette.

Giuseppe Giacalone a 56 ans, dont quarante-trois passés au large, et il ne veut plus partir en mer. Le 6 mai, dans les eaux internationales au large des côtes africaines, l’Aliseo, qu’il commandait, a été pris pour cible par des forces libyennes. Lui-même a été blessé au bras et à la tête. Il a vu la mort de trop près pour songer à nouveau à tenter le diable. « Ma femme me dit que je crie la nuit, dans mon sommeil », confie-t-il, au détour d’une phrase, épuisé par le souvenir de cette scène de guerre.

Tout a commencé le 3 mai, au large des côtes de la Cyrénaïque (est de la Libye). « Nous faisons, d’habitude, des sorties de cinquante jours environ. Là, ça faisait deux semaines que nous étions dehors, à sept ou huit navires, sous la surveillance d’une unité de la marine militaire italienne, lorsque surgit une vedette pleine de soldats libyens. Ils sont montés sur un des bateaux de la flotte et ont menacé l’équipage avec des mitraillettes et même un lance-roquettes », se souvient le pêcheur. La marine italienne s’interpose et permet de dénouer la situation, puis la petite flotte de pêche se disperse, la majeure partie des navires faisant route vers les eaux grecques et turques, tandis que trois autres, dont l’Aliseo, partent vers l’ouest, entre Misrata et le golfe de Syrte.

Cartographie Le Monde : Francesca Fattori et Floriane Picard

Sources : D. Ortolland, J.-P. Pirat, Geopolitical Atlas of the Oceans, Technip, 2017 ; J. M. Sobrino Heredia, « L’approche nationale en matière des zones maritimes en Méditerranée », Anuario da Facultade de Dereito da Universidade da Coruña, 2009 ; Limes, AFP, Le Monde.

Giuseppe Giacalone et ses sept hommes d’équipage (trois Italiens et quatre Tunisiens) font halte, puis jettent leurs filets, le 6 mai, vers 5 heures du matin, à un peu moins de 50 milles de la côte. A la mi-journée, une vedette libyenne fonce droit sur l’Aliseo et ouvre le feu. « Plus tard, les Libyens ont affirmé que c’était des salves de sommation, mais ils tiraient à hauteur d’homme et ils faisaient des trous dans les vitres… J’ai hurlé à mon équipage de se mettre à l’abri dans la chambre froide, et je suis parti vers le nord. Ils étaient trois à tirer de la vedette, un de la proue, un du pont et un au milieu, et j’ai continué comme ça, avec le sang qui coulait sur ma tête et sur mon bras, pendant une heure et demie », détaille-t-il d’une voix blanche.

Criblé de balles

La situation change du tout au tout à l’arrivée d’un navire italien. L’Aliseo coupe ses moteurs. « Les Libyens criaient : “Sorry, sorry !”, et ils m’ont fait monter à leur bord pour de premiers soins, puis ils m’ont proposé de faire route vers le port libyen de Homs pour y voir un médecin. Mais j’ai refusé : ça aurait voulu dire que j’abandonnais l’Aliseo. Comme la situation se détendait un peu, j’ai pu discuter avec un des militaires. Il m’a montré les cocktails Molotov qu’ils s’apprêtaient à nous lancer si on ne s’arrêtait pas. Puis il m’a raconté qu’il avait été formé au secours en mer en Sicile, à Messine. Ces gens nous tirent dessus, et c’est l’Italie qui les forme… »

Finalement escorté jusqu’à Mazara par un navire militaire italien, Giuseppe Giacalone conduit à bon port un navire criblé de balles. A l’hôpital, il apprend que celle qui lui a éraflé la tempe aurait pu, à quelques centimètres près, le tuer sur le coup. C’est alors qu’il décide de faire ce qu’aucun marin de Mazara n’avait tenté avant lui, malgré de multiples précédents : porter plainte pour séquestration et tentative d’homicide.

La Méditerranée a beau être représentée sur les cartes comme une grande étendue bleue, elle n’en est pas moins traversée par au moins trente-trois frontières maritimes, entre dix-neuf pays

« La marine italienne a tout vu. L’agression s’est produite dans les eaux internationales, l’intention est évidente. En plus, l’agresseur est facile à identifier : c’est la vedette Ubari 660, offerte par l’Italie à la Libye au printemps 2017, et dont il est très facile de retrouver l’équipage…  », assène l’avocat Walter Marino, qui s’est chargé de rédiger les plaintes. « Je ne suis pas naïf, confiait-il, fin juin. La question que je me pose, c’est surtout : comment vont-ils réussir à classer tout ça “sans suite” ? »

Une première demande en vue d’obtenir des réparations a été classée, début octobre, par le département de la pêche du ministère de l’agriculture, au motif que la séquestration n’est pas avérée et que la vedette contre laquelle Giuseppe Giacalone a porté plainte « appartient aux forces régulières du gouvernement libyen ». Walter Marino a annoncé que son client avait l’intention de faire appel de cette décision, et le volet pénal de la procédure suit son cours.

Pourquoi donc, s’agissant d’une affaire d’apparence si évidente, l’Etat italien se montre-t-il si peu empressé de s’attaquer à la Libye pour défendre les pêcheurs de Mazara del Vallo ? Parce que la situation dans la zone est extrêmement complexe et que ceux-ci se trouvent placés, bien malgré eux, au cœur d’une partie dont les enjeux dépassent largement la simple question du droit de la pêche.

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La mer Méditerranée a beau être représentée sur les cartes comme une grande étendue bleue, elle n’en est pas moins traversée par au moins trente-trois frontières maritimes, entre dix-neuf pays. Aucun accord, dans cette zone, n’a jamais défini de zone économique exclusive (ZEE), les eaux internationales commencent à 12 milles des côtes, une fois dépassées les eaux territoriales où s’exerce en plein la souveraineté des Etats. Par contre, les pays côtiers ont défini des zones de recherche et de sauvetage (« search and rescue », SAR), afin de rendre le contrôle du trafic maritime et les opérations de sauvetage en mer plus efficaces.

Jusqu’en 2018, l’Italie était chargée de toute la zone de la Méditerranée centrale, jusqu’aux abords de la Libye, et cette zone SAR était surveillée depuis le centre de coordination des secours maritimes (MRCC) de Rome. C’est donc à elle que revenait la responsabilité d’organiser les opérations de sauvetage des naufragés, conformément au droit de la mer. Dans le contexte de crise migratoire, cette obligation avait eu pour l’Italie des conséquences particulièrement lourdes. En effet, il suffisait que des embarcations de fortune sortent des eaux territoriales libyennes pour que le MRCC de Rome soit obligé d’intervenir et de conduire les personnes secourues sur le sol italien, la Libye, en guerre civile, ne pouvant pas être considérée comme un « port sûr ».

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Pour sortir de ce piège sans issue, l’Italie, aidée de la Commission européenne, a participé à la création d’une vaste zone SAR libyenne. Un centre de contrôle est installé à Tripoli et des unités de gardes-côtes – constituées, formées et équipées par Rome et Bruxelles – ont pour mission de rattraper les navires de migrants qui tentent de traverser le canal de Sicile et de les ramener par tous les moyens en Libye, en dépit des protestations du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et de plusieurs ONG, qui dénoncent un arrangement contraire au droit de la mer et de multiples violations des droits humains.

Au mépris des règles internationales

En théorie, ces modifications de l’organisation de la surveillance et des opérations de sauvetage en mer ne devraient pas changer grand-chose au quotidien des pêcheurs siciliens, qui continuent à croiser dans les eaux internationales.

Mais voilà, les gardes-côtes libyens ne l’entendent pas de cette oreille et se comportent, depuis 2018, comme si la zone qui leur avait été attribuée était désormais sous leur souveraineté. Pour donner corps à cette revendication, ils affirment disposer d’une zone de pêche protégée s’étendant jusqu’à 74 milles nautiques des côtes. Celle-ci avait été proclamée, en 2005, par l’ancien Guide de la révolution, le colonel Mouammar Kadhafi (1969-2011), au mépris des règles internationales, et n’a fait l’objet d’aucune reconnaissance.

Malgré le caractère exorbitant de ces revendications – d’autant plus surprenantes que la Libye ne dispose pas de flotte de pêche industrielle –, l’Italie a trop besoin des gardes-côtes libyens pour s’autoriser à protester. Aussi n’a-t-elle d’autre solution que de tolérer cette stratégie du fait accompli. « En Méditerranée, la Libye fait notre sale boulot : nous donnons des bateaux, nous les finançons, nous nous occupons de leur entretien. Et eux, en échange, gardent les migrants. Alors, nous leur laissons les mains libres », résume l’avocat Walter Marino, non sans fatalisme.

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Si les navires de Mazara del Vallo, malgré ces menaces, continuent à prendre tant de risques au lieu d’abandonner la zone, c’est que ces fonds disputés abritent une ressource de prix, qu’on s’arrache dans le monde entier : la crevette rouge gamberi rosso, qui se vend à prix d’or dès le retour des navires sur le continent. C’est pour elle que les pêcheurs persistent à se rendre sur place, alors même que le ministère italien des affaires étrangères « déconseille » toute activité de pêche dans la zone. Et c’est grâce à elle que la ville continue d’afficher un semblant de prospérité.

Mazara del Vallo, 50 000 habitants, n’est pas pauvre, loin de là. Le principal port de pêche d’Italie arbore des signes extérieurs de richesse qu’on trouve rarement en Sicile. Le centre historique, qui a conservé la structure en casbah, héritée de son passé musulman (les Berbères ont été chassés de Sicile par les Normands à la fin du XIe siècle), est assez bien entretenu. Autre signe d’un certain bien-être, ses maisons étroites sont, pour la plupart, occupées par les Tunisiens venus à Mazara parce qu’on y trouve du travail.

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Ici, les rapports entre les communautés sont le plus souvent harmonieux. Comment en serait-il autrement quand on a tant en commun ? Tunis est à un peu plus de 200 kilomètres à vol d’oiseau et, jusqu’au milieu du XXe siècle, la route migratoire était surtout empruntée en sens inverse, les Siciliens cherchant à vendre leur force de travail dans le protectorat français de Tunisie pour échapper à la misère…

« la Libye fait notre sale boulot : nous donnons des bateaux, nous les finançons. Et eux, en échange, gardent les migrants », résume l’avocat Walter Marino.

Les racines de Mazara plongent dans l’histoire de la Méditerranée plus que dans celle de l’Europe ou de l’Afrique, et, le soir venu, c’est le couscous de poisson que les restaurateurs vendent comme la spécialité locale aux voyageurs de passage. Comme sur l’autre rive de la Méditerranée. La ville a connu son âge d’or, mais, depuis trente ans, elle est entrée dans une crise profonde, dont on aperçoit les indices : çà et là, des petits bateaux à l’abandon ; l’embouchure du fleuve Mazaro, en centre-ville, qui s’ensable lentement, faute d’avoir été draguée depuis les années 1990.

Le port subit les conséquences d’une concurrence internationale accrue et, surtout, d’un ensemble de directives européennes visant à éviter la surpêche. Aujourd’hui, les pêcheurs de Mazara doivent employer des filets à mailles plus larges que leurs concurrents tunisiens, et ils ne peuvent pas sortir en mer plus de cent quatre-vingts jours par an. Il ne leur reste alors d’autre choix que de prendre toujours plus de risques pour que leur activité reste rentable.

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« Dans les années 1970-1980, il y a eu jusqu’à 600 bateaux à Mazara. Aujourd’hui, il n’en reste que 80, et ça continue de baisser. Il y a même des subventions européennes pour démanteler les navires, explique le maire de la ville, Salvatore Quinci. Pour autant, la pêche continue à être la principale source de richesse. Ici, elle représente un chiffre d’affaires de 200 millions d’euros. Avec toutes les activités induites, ça fait vivre 8 000 personnes… » Malgré cela, l’édile a le plus grand mal à faire entendre à Rome la voix de ses administrés, et il comprend parfaitement les raisons de cette difficulté : « Face à nous, il y a les Libyens. Et, sans leur collaboration, chaque année, 60 000 migrants de plus débarqueraient sur nos côtes. Alors, face à cette réalité, bien sûr que Mazara est toute petite ! »

Les pêcheurs de Mazara sont coutumiers des mauvaises rencontres en mer. L’histoire locale est parsemée d’incidents, parfois dramatiques. « Longtemps, nous avons eu des rapports très difficiles avec les pêcheurs tunisiens, des accrochages souvent violents. Mais nous avons signé des accords et, maintenant, les choses se sont arrangées. Avec la Libye, c’est plus compliqué, plus politique », analyse Salvatore Quinci.

En effet, l’Italie entretient avec son ancienne colonie des rapports à la fois très étroits et nourris de nombreuses ambiguïtés. Du temps où il exerçait son pouvoir sans partage sur le pays, le colonel Mouammar Kadhafi n’a pas hésité à se servir des pêcheurs de Mazara comme d’un moyen de pression particulièrement efficace sur Rome. L’actuel responsable local de la Fédération nationale des entreprises de pêche (Federpesca), Mimmo Asaro, en a fait les frais par trois fois. Le 22 mars 1996, il a été capturé dans les eaux internationales, à 50 milles au nord de Misrata, puis ramené en Libye et condamné à deux ans de prison, avec les onze membres de son équipage. Leur libération avait eu lieu six mois plus tard, après intervention du ministre italien des affaires étrangères, Lamberto Dini. « Mais, dans l’affaire, j’ai laissé mon bateau, l’Osiride, un navire de 37 mètres, parfaitement équipé, que mon père avait fait construire à Viareggio. Il ne s’en est jamais remis… Aujourd’hui, un bateau pareil, ça vaudrait 2 millions d’euros ! »

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Aussi, le 27 février 2010, quand son Luna-Rossa est arraisonné par un navire libyen à 36 milles des côtes africaines, Mimmo Asaro décide de prendre la fuite. « Ils m’ont tiré dessus pendant trois heures, et ils ont même tenté de nous éperonner, raconte-t-il. A la radio, les militaires italiens me demandaient de me rendre parce que mon équipage était en danger. Mais mes hommes s’étaient retranchés dans la salle des machines, et j’étais seul sur le pont. Finalement, on a réussi à leur échapper et à rentrer entiers à Mazara. Quand on a fait l’inventaire des dégâts, il y avait 96 impacts de balle sur le bateau… »

Confusion absolue

A l’automne 2012, Mimmo Asaro est, une nouvelle fois, arrêté, et conduit avec son équipage à Benghazi, où il passe un peu plus d’un mois en captivité. Cette fois-ci, il sera quitte pour une amende, mais tout son matériel est saisi. « Quand j’ai pu repartir, je n’avais plus que mon gouvernail. Entre la marchandise et l’équipement, il y en avait bien pour 200 000 euros », se souvient-il.

Ce type d’incident intervient, la plupart du temps, à l’occasion de tensions entre les deux pays. Alors qu’on discutait de ce phénomène avec un armateur local, un jeune homme s’approche et nous propose de venir chez lui pour rencontrer son père, Nicola Russo, qui a fait neuf mois de prison en Libye, entre 1980 et 1981, dans des conditions terribles.

Quatre décennies après sa captivité, le vieil homme peine encore à raconter son calvaire sans trembler. « Ils prétendaient qu’on était entrés à l’intérieur de la limite des 12 milles, dans les eaux territoriales. Cette accusation était absurde : si près des côtes, on ne trouve pas de gambero rosso. Avant d’être envoyés à la prison centrale de Tripoli, on a passé deux mois et demi à l’isolement, sans toilettes, à dormir par terre et presque sans manger. Dans ce centre de détention, quand ils torturaient quelqu’un, ils mettaient la séance sur haut-parleur pour que tout le monde entende les cris de peur et de douleur… Après tout ça, je me suis remis peu à peu, mais je ne suis jamais redevenu comme avant », raconte-t-il, les yeux dans le vague.

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Parfois, le contexte politique apparaît encore plus clairement, comme en septembre 2020, quand une flottille de huit navires est interceptée par des soldats du maréchal Khalifa Haftar, l’homme fort de l’est de la Libye, opposé au « gouvernement d’accord national » (GAN) de Faïez Sarraj à Tripoli. Six d’entre eux parviennent à s’échapper, tandis que dix-huit pêcheurs (huit Italiens, six Tunisiens, deux Sénégalais et deux Indonésiens) sont ramenés à Benghazi, où ils passeront cent huit jours en détention, dans un climat de rumeurs contradictoires et de confusion absolue.

Tandis que les gardes-côtes libyens multiplient les exactions contre les migrants, les pêcheurs siciliens sont parmi les derniers témoins des drames qui se déroulent dans le canal de Sicile.

La Tunisienne Naoires Ben Haddada vit à Mazara depuis l’enfance, et son père était l’un de ces dix-huit prisonniers. « C’était la troisième fois qu’il se faisait arrêter par les Libyens, raconte-t-elle. Les deux premières fois, il avait suffi de payer. Mais là, après quarante-huit heures, et alors qu’ils n’avaient pas formulé de revendications, on a compris que c’était parti pour durer… »

Pour quelle raison les dix-huit pêcheurs de Mazara ont-ils été capturés ? S’agissait-il d’une mesure de rétorsion, quelques jours après une visite à Tripoli du chef du gouvernement italien – seul le GAN de Saraj était alors reconnu par l’Union européenne (UE) –, Giuseppe Conte, qui n’avait pas jugé bon de faire un détour par Benghazi ? Le maréchal Haftar exigeait-il que lui soient remis quatre ressortissants libyens accusés par la justice italienne d’avoir provoqué un naufrage de migrants, à l’été 2015 ? Durant les premiers jours de leur captivité, les informations qui circulent sont très contradictoires.

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« Au début, ils étaient consignés sur leur bateau, et mon père arrivait à nous appeler la nuit, pour nous rassurer, relate Naoires. Puis, plus de nouvelles, et on a appris qu’ils étaient accusés de trafic de drogue… Quand on a compris à quel point le gouvernement italien était embarrassé, on a décidé d’aller à Rome pour, enfin, se faire entendre. Il a fallu qu’on s’enchaîne devant le siège de la Chambre des députés pour obtenir un premier rendez-vous. »

Dans leur mobilisation, les familles des marins obtiennent le secours précieux de l’évêque de Mazara, Mgr Domenico Mogavero. « Mazara est une “île” très particulière, isolée au sein même de la Sicile, explique-t-il de son bureau du palais épiscopal, faisant face à la majestueuse cathédrale de la ville. Ce caractère périphérique fait qu’on a beaucoup de mal à se faire entendre des politiques. Au Vatican, en revanche, j’ai eu très vite une écoute privilégiée de la part de la secrétairerie d’Etat. Et quand le pape François a annoncé qu’il priait pour les pêcheurs de Mazara, ça a incontestablement permis d’accroître la prise de conscience. »

Incertitude et tractations

Après trois mois et demi d’incertitude et de tractations, Naoires Ben Haddada a retrouvé son père, le 18 décembre 2020, au lendemain de sa libération, avec ses dix-sept compagnons d’infortune. « Mon père était très faible et il pleurait sans cesse. Au début, il ne voulait pas repartir en mer, mais il a fini par reprendre le travail. De toute façon, nous n’avions pas le choix », conclut-elle doucement.

Tant que cela sera possible et malgré les dangers, les bateaux de Mazara del Vallo continueront à partir jeter leurs filets face à la Libye, pour y pêcher, par 500 mètres de fond, le précieux gambero rosso. Mais, avec le déclin du port et les difficultés qui s’amoncellent, sans doute se feront-ils de plus en plus rares.

Tandis que les gardes-côtes libyens multiplient les exactions contre les migrants, et que tout est fait pour compliquer l’action des ONG, voire l’empêcher, l’UE ayant cessé toute surveillance maritime de la zone, les pêcheurs de Mazara del Vallo sont parmi les derniers témoins des drames infinis qui se déroulent dans le canal de Sicile. Peut-être est-ce également pour cela que tant de forces s’emploient à les convaincre d’aller pêcher ailleurs.

 

 


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