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Fermez les Centres de Rétention !

La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

Solidarite avec Mimmo Lucano

Source : médiapart - Nejma Brahim - 16/10/2021

Six personnes ont été tuées et au moins 24 blessées par les gardiens du centre de détention d’Al-Mabani, à Tripoli, le 8 octobre. Ces derniers ont ouvert le feu après que des migrants retenus arbitrairement se sont révoltés et ont tenté de s’évader. Dans un contexte hautement répressif qui laisse l’Europe indifférente.

e sont encore des vies humaines qui ont été emportées, dans l’indifférence quasi générale, vendredi 8 octobre en Libye. Six hommes ont été tués par balle dans le centre de détention d’Al-Mabani, à Tripoli, par des gardiens armés qui ont ouvert le feu après une émeute et une tentative d’évasion de migrants détenus sur place. Au moins vingt-quatre autres personnes ont été blessées selon l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), dont les équipes, présentes sur les lieux, ont été témoins des faits.

« L’usage excessif de la force et de la violence entraînant souvent la mort est un phénomène courant dans les centres de détention libyens, a résumé le chef de mission pour l’OIM en Libye, Federico Soda, dans un mélange d’amertume et de fatalisme. Certains de nos employés décrivent des migrants blessés dans une mare de sang gisant sur le sol. Nous sommes dévastés par cette tragique perte de vie. »

Des morts et une mare de sang qui ne choquent pas grand monde. Dès le 1er octobre, une forte répression a débuté à Tripoli, conduisant à l’arrestation de nombreux exilés dans un camp de fortune, dans le quartier de Gargaresh puis dans d’autres, et à leur placement dans ce centre de détention déjà surpeuplé. « Les raids ont commencé il y a deux semaines dans les quartiers où il y a une forte concentration de migrants et de demandeurs d’asile. Cinq mille personnes ont été délogées, ont vu leurs habitations détruites, ont été arrêtées et placées dans un des centres de détention dépendant du DCIM [Département pour la lutte contre l’immigration illégale, qui agit sous la houlette du ministère de l’intérieur – ndlr] », déroule Jean-Paul Cavalieri, chef de mission du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) en Libye.

Des migrants dans un centre de détention de Tripoli, en Libye, le 11 octobre 2021. © Hazem Turkia / Anadolu Agency via AFP
Des migrants dans un centre de détention de Tripoli, en Libye, le 11 octobre 2021. © Hazem Turkia / Anadolu Agency via AFP
 

Une « grosse rafle » qui a eu pour résultat de doubler la population des individus en détention dans tout le pays en l’espace de quelques jours. « Les personnes ont donc été en surpopulation dans des cellules mal ventilées et deux mille d’entre elles ont tenté de s’évader. Six hommes ont été tués et des dizaines blessés. » « Depuis deux semaines, c’est une vraie chasse à l’homme », soupire Hamed*, un jeune Africain vivant à Tripoli depuis trois ans, qui a tenté à plusieurs reprises la traversée pour rejoindre l’Europe, sans succès.

Et d’ajouter : « La police vient au domicile des gens, enfonce la porte et entre. Elle les arrête chez eux et les emmène en prison. C’est très dangereux en ce moment pour les migrants à Tripoli. Avant, ce genre de choses n’arrivait pas. On pouvait finir en centre de détention après avoir été intercepté en mer ou kidnappé dans la rue par des groupes armés, mais la police ne venait pas nous traquer chez nous. »

« Plusieurs de mes amis ont été arrêtés et emmenés à Al-Mabani. Certains ont été blessés au moment des tirs et ont été sortis du centre par les ONG pour être soignés », raconte un autre exilé subsaharien contacté par Mediapart, qui préfère garder l’anonymat.

Une forte répression à l’approche des élections

Selon une source proche de l’exécutif libyen, l’ordre serait venu « d’en haut » et pourrait avoir une visée électoraliste : un signal de fermeté envoyé à la population locale concernant la question migratoire, à deux mois de l’élection présidentielle prévue le 24 décembre prochain, après qu’un nouvel exécutif intérimaire a été désigné en février dernier (lire notre analyse).

Officiellement, les autorités libyennes ont justifié la répression enclenchée début octobre par la volonté de démanteler des réseaux de trafiquants de drogue et des lieux d’hébergements clandestins pour les personnes en migration. Dans un communiqué publié sur sa page Facebook, le ministère de l’intérieur libyen fait état d’un mort et de plusieurs blessés, sans préciser leur nombre, mais aussi de policiers blessés. Il évoque une « opération de maintien de l’ordre réalisée avec professionnalisme et sans l’usage de la force ».

Si on tente de s’évader, ils nous abattent sur-le-champ
Hamed*, un exilé subsaharien vivant à Tripoli

En avril dernier déjà, dans ce même centre de détention, une personne avait été tuée et deux autres blessées, comme le rapportait Médecins sans frontières, dont les équipes avaient pris en charge deux adolescents blessés par balle. En juin, un rapport d’Amnesty International montrait comment les violences commises sur les exilés une décennie durant s’étaient perpétuées au cours du premier semestre 2021, malgré les promesses d’y remédier.

« Pour moi, ce ne sont pas des centres de détention mais des prisons. Les conditions sanitaires sont déplorables, il n’y a pas à manger. Il peut y avoir quatre cents à cinq cents personnes entassées dans une salle, les gardiens sont armés et violents. Si on tente de s’évader, ils nous abattent sur-le-champ », ajoute Hamed, qui a lui-même connu la détention.

Faut-il accepter qu’un tel degré de violence se banalise à l'encontre de migrants – terme pour le moins fourre-tout qui, dans la bouche de ceux qui veulent l'instrumentaliser, tend à déshumaniser des femmes, hommes et enfants et contribue à renforcer la peur de « l’autre » ? Faut-il considérer que leurs vies valent moins que d’autres ?

Cela fait des années que dans ce pays ravagé par la guerre et les divisions, où prospèrent de dangereuses milices locales, les personnes en migration, principalement originaires d’Afrique (subsaharienne, Afrique du Nord), sont soumises aux pires sévices, comme le fait d’être kidnappées et séquestrées par des mafias qui réclament ensuite une rançon pour leur libération. Elles sont aussi victimes, dans une majorité des cas, d’exploitation, de maltraitance, d’abus sexuels et de viols, de torture, de disparitions forcées ou d’exécutions sommaires, y compris dans des centres de détention officiels, comme nous le racontions ici, ou https://www.mediapart.fr/journal/international/010221/interceptee-par-les-garde-cotes-libyens-elle-finit-par-traverser-mais-perd-son-bebe" target="_blank" rel="noopener">là, sur la base de témoignages recueillis début 2021 par Mediapart à bord de l’Ocean Viking, le navire humanitaire de l’association SOS Méditerranée.

Un système de crimes généralisé et soutenu, indirectement, par l’Union européenne, qui a injecté, aux dernières nouvelles, la modique somme de 455 millions d’euros en Libye dans le cadre du Fonds fiduciaire d’urgence pour l’Afrique. Derrière cet intitulé à rallonge, il s’agit, pour l’Union européenne, de financer « l’entraînement des garde-côtes » ou « l’amélioration de la gestion des frontières », mais surtout, « la protection et le soutien aux migrants et réfugiés ». Autant dire que sur ce dernier point, on en est encore loin.

« En plus d’être surpeuplés, les centres de détention officiels sont sous-financés et mal équipés. Il y a aussi une absence totale de contrôle judiciaire pour les détenus », pointe Jean-Paul Cavalieri. « Les causes ne sont pas seulement le surpeuplement mais de sérieuses violations des droits humains, des extorsions par les gardiens de prison, le désespoir. Les responsables de ce système de détention seront-ils poursuivis pour ces abus ? », a réagi sur Twitter Vincent Cochetel, envoyé spécial du HCR pour la situation en Méditerranée occidentale et centrale, réclamant des « sanctions ».

Un cauchemar sans fin

Hasard du calendrier, cette répression et l’annonce de cette tuerie tombent alors qu’a été publié, début octobre à Genève, le rapport d’une mission d’enquête indépendante de l’ONU, dans lequel les inspecteurs pointent des « crimes de guerre » et des « crimes contre l’humanité » à l’égard des migrants. La nouvelle n’a pas fait la une des journaux.

« Les migrants, les demandeurs d’asile et les réfugiés sont soumis à une litanie d’abus en mer, dans les centres de détention et aux mains des trafiquants », a dénoncé Chaloka Beyani, membre de la Mission d’établissement des faits, qui a recueilli et analysé des centaines de documents et interrogé plus de cent cinquante personnes en Libye, en Tunisie et en Italie, permettant d’identifier des individus (parmi des groupes libyens et des acteurs étrangers) pouvant porter la responsabilité des violations, abus et crimes commis dans le pays depuis 2016.

« Nos enquêtes indiquent que les violations à l’encontre des migrants sont commises à grande échelle par des acteurs étatiques et non étatiques, avec un haut niveau d’organisation et avec l’encouragement de l’État – tout cela est évocateur de crimes contre l’humanité », a ajouté l’enquêteur onusien.

Derrière, se cachent les chiffres parlants de la détention arbitraire, mais aussi ceux des interceptions des migrants par les garde-côtes libyens en Méditerranée, immédiatement placés en détention à leur retour en Libye. Soit 3 400 personnes, dont 356 femmes et 144 enfants, rien que pour le centre surpeuplé d’Al-Mabani à Tripoli. Dix mille sur l’ensemble des centres de détention libyens, sans accès ou presque à l’aide humanitaire.

Selon l’OIM, tous les vols humanitaires sont suspendus depuis des mois sur décision du directeur du DCIM, contraignant plus de mille personnes placées en détention à rester en Libye alors qu’elles ont émis le souhait d’un retour volontaire.

Des exilés secourus par des marins sauveteurs de SOS Méditerranée, début 2021. © NB.
Des exilés secourus par des marins sauveteurs de SOS Méditerranée, début 2021. © NB.
 

« Les autorités libyennes ont une part de responsabilité puisque les centres de détention sont sous leur juridiction, rappelle le chef de mission du HCR en Libye. Des sanctions doivent être considérées par les Nations unies et l’Union européenne pour que ceux qui se rendent complices de graves violations des droits humains soient poursuivis, même s’ils ont une fonction officielle. Il est légitime d’aider la Libye mais il est important que ce soutien soit conditionné au respect des droits humains, à la fois dans les centres de détention et en mer au moment des interceptions. »

Cette année, les interceptions sur cette route migratoire ont été particulièrement élevées : 24 000 personnes ont ainsi été stoppées par les garde-côtes libyens, parfois dans de terribles conditions, comme l’ont montré les images de l’association Pilotes volontaires, dont l’avion de reconnaissance patrouille afin de repérer des embarcations en difficulté en mer – dans lesquelles nous pouvions voir comment des personnes étaient tombées à l’eau et avaient été laissées à la dérive, sans que l’on ne sache si et combien de vies avaient été englouties par la mer.

L’Union européenne, qui a financé la création de la zone SAR (de recherche et de secours) libyenne, subventionne encore aujourd’hui la mission de ces garde-côtes ayant pourtant démontré leur incompétence et leur violence à l’égard des exilés.

Depuis la fin des opérations de sauvetage « Triton » ou « Sophia », mises en place par l’agence européenne de surveillance des frontières Frontex, aucun navire militaire ne circule en Méditerranée centrale. En déléguant ses missions aux garde-côtes libyens, qui n’hésitent pas, comme nous l’avons documenté, à violer le droit international en procédant à des refoulements illégaux (en interceptant des personnes dans les zones de recherche et de secours maltaise ou italienne et en les renvoyant en Libye), l’Union européenne fuit ses responsabilités. Comme s’il était convenable, et acceptable, de laisser des êtres humains perdre la vie, souvent dans des naufrages invisibles dont personne n’a connaissance.

Seules des initiatives telles que « Missing Migrants Project », de l’OIM, tentent de mettre un nombre et un nom sur les personnes disparues en mer – 17 000 morts et disparus en Méditerranée centrale depuis 2014. Jusqu’à quand le monde et l’Europe continueront-ils à regarder ailleurs ?

Pour réagir et mettre fin à ces exactions, les dirigeants européens gagneraient peut-être à embarquer à bord d’un navire humanitaire pour participer à une patrouille en Méditerranée centrale : parfois, les photos ou vidéos de personnes à bord de rafiots ne suffisent pas à prendre conscience de la gravité de la situation. Sans doute faut-il être confronté au réel, apercevoir les silhouettes pleines de désespoir au loin, à bord d’une embarcation de fortune souvent surchargée, flottant au milieu d’une infinie étendue d’eau avec le ciel pour seul horizon ; entendre leurs cris et appels à l’aide, s’en approcher, deviner le corps frêle de bébés innocents enveloppés d’une simple couverture ; tendre la main aux survivants, constater leur peau lacérée par la torture, affronter leur regard vide et leurs sanglots non maîtrisés, panser les plaies ; entendre le récit des femmes violées, rendues à l’état d’esclaves sexuelles, pour prendre la mesure de ce qu’est la Libye et des raisons qui poussent tant de personnes à la fuir, par tous les moyens. Nombreux sont ceux qui affirment préférer mourir en mer plutôt que d’être renvoyés dans cet « enfer libyen ».

Si l’horreur est telle, pourquoi tant de migrants (597 611 actuellement présents en Libye) choisissent de s’y rendre ? En réalité, la majorité des personnes vont en Libye pour les opportunités de travail que le pays offre, sans avoir l’intention de poursuivre leur parcours migratoire par-delà la Méditerranée, et sans imaginer les mauvais traitements qui les attendent. C’est souvent une fois sur place, pour fuir les exactions, qu’ils décident de s’échapper en tentant la traversée.

Qu’on se le dise, aucun responsable politique ne fera l’expérience d’une opération de recherche et de secours en mer. Ils prendront soin de laisser le sale boulot aux associations citoyennes, comme SOS Méditerranée et autres ONG dont le navire humanitaire ratisse la Méditerranée centrale pour porter secours aux exilés en détresse, et qui, comme l’avait souligné un jeune homme secouru par l’Ocean Viking début 2021, ne sauvent pas seulement des êtres, mais « l’humanité tout entière ».

La perspective des élections présidentielle et législatives en Libye, en décembre et janvier prochains, laisse espérer aux plus optimistes de meilleurs lendemains. « Ça donne de l’espoir pour la création d’un espace de coopération pour tenter d’améliorer les choses, pour l’installation d’un gouvernement stable, la reconstruction du pays et d’une gouvernance migratoire permettant aux personnes de venir travailler sur le territoire en toute légalité », conclut Jean-Paul Cavalieri.

 

 


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