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La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

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Source : le monde - Juliette Bénézit et Marion Poussier - 20/10/2021

Ce village du Puy-de-Dôme a été un des premiers à se proposer pour accueillir des exilés lors de la crise migratoire de 2015. Six ans après, le centre d’hébergement est devenu un morceau à part entière de la commune, mais l’intégration des familles est encore un défi.

En cette fin d’après-midi de septembre, après trois jours de pluie, le soleil s’est enfin levé sur Pessat-Villeneuve (Puy-de-Dôme). Dans cette bourgade auvergnate de 670 habitants, une lumière chaude vient balayer le vaste parc attenant au château qui abrite les locaux de la mairie. Idris, un petit Afghan de 7 ans, et Shefket, un adolescent macédonien de 14 ans, reviennent tout juste de l’école. En vitesse, ils se débarrassent de leur sac à dos et engagent une partie de football. Ces deux jeunes réfugiés débattent en français pour savoir qui de Cristiano Ronaldo ou de Kylian Mbappé est le plus fort.

Plus loin, Giulfere, une petite Rom de 11 ans, originaire de Macédoine, sort un cahier de son cartable et montre son écriture soignée qui lui a valu les compliments de son professeur. Par-dessus son épaule, sa mère, Sunita, regarde un polycopié et montre du doigt la statue d’une femme qui y est représentée. Elle demande : « C’est qui elle déjà ? Marie ? » A côté, Béadin, son grand fils de 16 ans, explose de rire : « Mais non ! C’est Marianne ! »

100 « Fragments de France »

A six mois de l’élection présidentielle, Le Monde brosse un portrait inédit du pays. 100 journalistes et 100 photographes ont sillonné le terrain en septembre pour dépeindre la France d’aujourd’hui. Un tableau nuancé, tendre parfois, dur souvent, loin des préjugés toujours. Ces 100 reportages sont à retrouver dans un grand format numérique.

Planté à l’intérieur de cet espace boisé, juste derrière le château du village, un centre provisoire d’hébergement (CPH) accueille ainsi 70 réfugiés, des familles, des hommes seuls, des mères isolées. Ici, dans cette structure sociale financée par l’Etat et gérée par l’association Cecler, les résidents laissent derrière eux un long parcours de demandeur d’asile pour ouvrir une nouvelle page de leur exil, celle de l’intégration.

Abdullah Hasan, un père de famille afghan de 30 ans, n’aurait jamais imaginé se retrouver à Pessat-Villeneuve. Quand il a quitté l’Afghanistan avec sa femme, Rozyeh, en avril 2014, le couple avait un seul but : rejoindre la Suède. En 2020, après un parcours chaotique sur les routes d’Europe, c’est finalement en France qu’ils ont obtenu la protection internationale. Le fléchage des réfugiés opéré par les services de l’Etat les a ensuite menés dans ce village fait de lotissements pavillonnaires proprets, où l’on ne compte rien de plus qu’une école et une église.

Ces dernières années, l’histoire de la commune est devenue intimement liée aux destins des exilés. Devant la mairie, un panneau indique au visiteur « le parvis des droits de l’homme et des réfugiés ». En 2015, au pic de la crise migratoire, la municipalité a été l’une des premières du Puy-de-Dôme à se porter candidate pour accueillir des migrants. Depuis, différentes structures se sont succédé et plus de 600 exilés y ont fait escale, toutes situations administratives confondues. « Il y aura bientôt eu plus de migrants qu’il n’y a d’habitants », s’amuse le maire, Gérard Dubois (DVG). En 2017, l’édile a reçu la Légion d’honneur pour son engagement. Son initiative, néanmoins, a déchiré la commune pendant des mois.

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M. Dubois parle encore de ces quelque 200 appels téléphoniques reçus à l’arrivée des premiers migrants, en novembre 2015 – « qu’ils rentrent chez eux », « ils vont tout cramer ». Il évoque aussi cette réunion publique à laquelle il a dû se rendre escorté par des gendarmes en civil prêts à l’exfiltrer. Ce soir du 6 novembre, certains habitants étaient fous de rage : « Ils vont violer mes enfants », « La valeur de ma maison va baisser », « Il va y avoir des déchets partout ».

En face, quelques habitants ont riposté. Il y a d’abord eu Philippe Folleas, un ancien conseiller agricole de 72 ans, le tout premier bénévole. D’autres ont suivi : Sylvie, Brigitte, Evelyne, Marie-Jo, Laurent… Un petit groupe de retraités toujours mobilisés aujourd’hui. Eux ont ressenti une grande émotion à l’arrivée des premiers exilés. « Avant, on était choqués quand on voyait ces gens vivre sous des tentes. Mais, jusque-là, tout ça nous semblait loin », souligne Marie-Josèphe Desthuilliers, 67 ans.

« Rampe de lancement »

En parcourant les allées du centre provisoire d’hébergement de Pessat-Villeneuve, les peurs de certains paraissent soudainement loin. A la question de savoir s’ils sont correctement accueillis par les habitants, plusieurs réfugiés afghans répondent par un bref hochement de tête, presque indifférents. « On ne les voit pas », résume l’un d’entre eux. A vrai dire, leurs préoccupations sont ailleurs. Sherbaz Safizada, 24 ans, se remet seulement de son long trajet d’exil. Il ironise en parlant de « Paris, porte de La Chapelle », où il a passé deux mois à la rue quand il est arrivé en France. Soucieux, Faiz Mohammadi, 21 ans, évoque, quant à lui, sa mère et sa sœur restées dans leur pays et qui vivent désormais sous le joug des talibans. « Je pense à elles. C’est beaucoup de stress. Je n’arrive plus à dormir », confie-t-il.

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Depuis son ouverture, en octobre 2019, la structure tourne à plein régime : organisation des cours de français, recherche d’une formation, d’un emploi, d’un logement… Le CPH est conçu pour être « une rampe de lancement entre la fin de la demande d’asile et la vie d’après », explique Alexandre Reynaud, le chef de service. Les nationalités sont diverses : 70 % des résidents sont afghans, les autres sont éthiopiens, somaliens, guinéens, russes, macédoniens, péruviens… Accueillis pour une durée de neuf mois, parfois plus, selon les besoins, les réfugiés posent ici les jalons du futur.

Malgré l’angoisse suscitée par la prise de pouvoir des talibans dans leur pays, mi-août, les Afghans poursuivent leur programme d’intégration. Quatre fois par semaine, sept heures par jour, ils se rendent aux cours de français dispensés en face de l’école du village. En dépit des menaces qui pèsent sur leurs familles, il leur faut notamment aller apprendre à lire un courrier et comprendre ce qu’est la laïcité. « Les Afghans sont des gens hypermotivés, mais, en ce moment, ils ne sont plus disponibles mentalement », constate Manuel Lourenco, responsable de l’organisme Frate Formation Conseil en Auvergne. Leur objectif est d’atteindre le niveau A1, qui doit leur permettre de parler un français de survie, de se débrouiller avec les démarches du quotidien et d’avoir quelques notions sur les institutions.

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Dans ce processus d’intégration, les réfugiés ont tous le même objectif : pouvoir travailler rapidement. Le centre provisoire d’hébergement de Pessat-Villeneuve a noué des relations étroites avec Pôle emploi et les missions locales des villes voisines. Avec de bons résultats : en 2020, malgré la crise sanitaire, 72 % des résidents étaient en cours d’accompagnement vers l’emploi. Parmi eux, la moitié avait d’ores et déjà trouvé un CDI ou un CDD de plus de six mois.

Derrière ces chiffres, Dominique Charmeil, la directrice générale de l’association Cecler, voit « l’ultra-motivation » des réfugiés, des « morts de faim d’intégration ». En parallèle, ces résultats font aussi écho à une demande : celle des patrons des TPE ou des PME du coin en manque de main-d’œuvre. A tel point que certains d’entre eux appellent désormais directement le centre pour savoir s’ils ne pourraient pas « embaucher un réfugié ».

A Montel-de-Gelat, un village de 450 habitants frontalier de la Creuse, l’intégration d’Anderbrhane Brhane, un Erythréen de 32 ans, est présentée comme un modèle de réussite. Après un stage de deux semaines dans la scierie des Combrailles, il a signé un contrat d’intérim de deux mois qui a ensuite été renouvelé plusieurs fois. Anderbrhane était prêtre dans son pays d’origine. Désormais, il s’attelle à réceptionner et à trier le bois en fonction des commandes de l’entreprise. « C’est difficile, c’est un travail physique, mais ça me plaît. Dieu merci, je vais bien, car j’ai trouvé des bonnes personnes ici », dit-il à l’aide de Google Traduction.

Malgré le soutien du maire du village, Claude Bourduge, et de certains habitants, des difficultés demeurent. Anderbrhane ne parle que très peu français et peine à discuter avec ses collègues. Il n’a pas non plus le permis de conduire. Pour certains réfugiés, l’installation dans ces villages reculés est difficile à vivre. « Il y en a qui sont perdus. Ce n’est pas évident de vivre à la campagne », rapporte Philippe Folleas.

Tous ne suivent pas les formations de leur choix. Le bénévole cite l’exemple d’Abel, un Ethiopien qui était réceptionniste dans son pays d’origine. En France, pendant plusieurs mois, il a dû accepter un travail de serveur et n’y trouvait pas son compte. « Les réfugiés font le boulot que les autres ne veulent pas faire », résume l’ancien conseiller agricole.

« Choc culturel, social et climatique »

L’intégration est faite d’objectifs à court terme qui se heurtent perpétuellement aux traumatismes passés des réfugiés. Malgré les filets de sécurité mis en place par le centre provisoire d’hébergement de Pessat-Villeneuve, tous les résidents ne vont pas au bout de la prise en charge. Il arrive que certains soient renvoyés vers des structures d’hébergement d’urgence classiques. « L’accompagnement en CPH n’est pas une baguette magique, concède Dominique Charmeil. Quand ça marche moins bien, c’est souvent lié à des aspects psychologiques. » La directrice de Cecler cite le cas d’un jeune Erythréen de 22 ans qui s’est suicidé quatre mois après son arrivée au centre.

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Passés par Pessat-Villeneuve, Ikhlas Saleh, Djaffar Youssouf et leurs six enfants ont fait le grand saut dans la vie d’après. Cette famille soudanaise habite désormais un logement social, à Mozac, une ville voisine de 4 000 habitants, où ils s’intègrent doucement. En avril, Djaffar a décroché un contrat saisonnier de maraîcher près de Clermont-Ferrand. A la rentrée, Michkat, 8 ans, a commencé la gymnastique acrobatique et son frère Hadama, 10 ans, le foot. Pour autant, au quotidien, des difficultés persistent. Quand les bénévoles leur rendent visite, un petit tas de documents administratifs les attend toujours.

A leur arrivée en France, « ils ont connu un choc culturel, social et climatique très grand », explique Evelyne Lahouel De Dea, 69 ans, une bénévole de la première heure. Ikhlas, Djaffar et leurs enfants ont fait partie d’un contingent de réfugiés particulièrement vulnérables qui ont été accueillis à Pessat-Villeneuve entre 2018 et 2019 dans le cadre d’une mission spécifique dite de « réinstallation ». Il s’agit d’une voie par laquelle la France accorde l’asile à des personnes vivant dans des camps de réfugiés, en l’espèce au Niger ou au Tchad. Les autorités organisent ensuite leur venue sur le territoire national. « Ces familles sont très abîmées psychologiquement », témoigne Elisabeth Boschert, la coordinatrice du CPH.

Lire le reportage :  Darfour, l’interminable crise

Installée dans le salon de son appartement, le visage entouré d’un long voile jaune scintillant, Ikhlas reçoit en servant une tasse de thé. Avec une grande pudeur, elle retrace le fil de son histoire. La mère de famille parle d’abord des seize dernières années de sa vie, passées dans un camp de réfugiés au Tchad. C’est là-bas que ses six enfants sont nés et ont grandi. Ils n’avaient ni l’eau courante ni l’électricité. Elle parle aussi de son adolescence, lorsqu’elle habitait au Darfour, une région de l’ouest du Soudan. Avec sa famille, elle y a fui la guerre, en 2003. « Il y a eu une fusillade, on est partis. Il y avait des femmes, des enfants qui couraient. Je ne retrouvais plus ma mère. Il y avait des morts. » Ikhlas termine sa phrase les yeux pleins de larmes.

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A Pessat-Villeneuve, la tension des débuts semble être retombée dans le village. « Du moins, il n’y a plus la même virulence », souligne Philippe Folleas. « La plupart des gens n’ont pas vraiment changé d’avis », estime Evelyne Lahouel De Dea, qui assure que certains ne lui disent plus bonjour depuis qu’elle aide « les migrants ». M. Folleas avait bien proposé à son groupe de marche de convier deux ou trois réfugiés durant leurs balades. Il s’est vu opposer un refus, au motif que « ça pourrait déranger certaines personnes ».

Avant l’épidémie de Covid-19, les résidents du centre provisoire d’hébergement avaient participé à une opération visant à fleurir la commune. Une façon de montrer « qu’ils ne sont pas une menace », rapporte Dominique Charmeil. Le maire, Gérard Dubois, a le sentiment que les regards ont commencé à changer à partir de 2018, avec l’arrivée de familles réfugiées et non plus seulement d’hommes seuls. Malgré les tensions, l’édile a été reconduit dans ses fonctions lors des élections municipales de mars 2020. En face, aucune liste concurrente ne s’est présentée.

 

 


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