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La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

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Source : Médiapart - Nejma Brahim - 06/11/2021

En grève de la faim du 23 mai au 21 juillet, des centaines de travailleurs sans papiers avaient obtenu la promesse d’une régularisation pour une part d’entre eux. Avec leurs avocats, ils estiment aujourd’hui avoir été « bernés ».

Leur grève de la faim avait duré près de deux mois et les images de corps diminués, parfois cadavériques, avaient suscité l’émoi à travers le monde, jusqu’à remuer le gouvernement belge, que certains ministres menaçaient de quitter en cas de décès. Les membres de l’Union des sans-papiers pour la régularisation (USPR) s’étaient résolus à cesser leur grève après presque deux mois sans s’alimenter, convaincus par la bonne parole du secrétaire d’État à l’asile et à la migration, Sammy Mahdi, et du directeur de l’Office des étrangers, Freddy Roosemont, relayée par une délégation composée d’avocats, du porte-parole de la plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés, d’un médiateur fédéral et du père Daniel, qui les avait rencontrés le 21 juillet.

« On était dans une situation de pourrissement total, qui a même donné lieu à une crise gouvernementale. Le gouvernement belge a voulu que des discussions s’ouvrent avec le cabinet de Sammy Mahdi pour trouver une solution », rappelle Marie-Pierre de Buisseret, avocate spécialisée en droit des étrangers, présente lors des négociations.

Durant les premières semaines de tractations, les deux représentants de l’État proposaient d’étudier les dossiers des quelque 450 grévistes « au cas par cas », contrairement aux attentes des sans-papiers, qui réclamaient une régularisation collective. « La régularisation est une procédure d’exception, avait alors expliqué le cabinet du ministre à Mediapart fin juin. Il existe des règles claires, un droit de séjour peut être obtenu par les canaux de migration légale. Si on veut venir travailler en Belgique, on doit introduire une demande depuis le pays d'origine. »

 

Mourad, Mohamed Alex et Omar devant l'Université libre de Bruxelles occupée par les sans-papiers en grève de la faim en juillet 2021. © NB
Mourad, Mohamed Alex et Omar devant l'Université libre de Bruxelles occupée par les sans-papiers en grève de la faim en juillet 2021. © NB
 

« Ici, on parle de personnes sans papiers, qui, par définition, n’ont pas de droit au séjour et dérogent à la règle. Dans ce cas-là, pour pouvoir prétendre à une régularisation, il faut établir qu’on se trouve dans des circonstances exceptionnelles, qui ne sont pas davantage précisées dans l’article de loi 9 bis », détaille l’avocate. Celle-ci rappelle qu’il n’y a pas de « critères » préétablis et que le secrétaire d’État jouit d’un pouvoir discrétionnaire dans le cadre de cette procédure.

Des rejets pour des dossiers « qui cochent toutes les cases »

Des critères de régularisation « très abstraits », abonde le chercheur Martin Vander Elst (université catholique de Louvain), pouvant donner lieu à « autant de décisions positives que négatives ». Et qui ont poussé les négociateurs, ce fameux 21 juillet, à obtenir un engagement oral du secrétaire d’État à l’asile et à la migration, et du directeur de l’Office des étrangers, à prendre en compte la présence des sans-papiers sur le territoire belge et leur bonne intégration, à la fois sociale et professionnelle.

Problème : à l’heure où les premières décisions tombent, les sans-papiers, leurs avocats et leurs soutiens constatent que cet engagement « n’a pas été tenu ». « Sur 13 ou 14 décisions rendues, deux sont positives, dont une femme enceinte de sept mois et un autre au titre du regroupement familial. Le cabinet du secrétaire d’État parle quant à lui de 20 décisions, dont cinq positives et 15 négatives », résume l’avocate Juliette Arnould, l’une des coordinatrices juridiques de l’USPR durant la grève, qui défend à elle seule plus de 200 dossiers pour le Béguinage (l’un des trois lieux occupés par les grévistes durant la mobilisation).

« De toute façon, les chiffres importent peu. On constate que les décisions négatives concernent des personnes avec de très bons dossiers, venues parfois légalement en Belgique, avec des possibilités de travail y compris dans des métiers en pénurie. Ce sont des décisions vraiment choquantes, on a le sentiment d’avoir été bernés. »

J’ai la sensation d’avoir été roulé dans la farine
Omar*, un ex-gréviste de la faim dont la demande a été rejetée

Omar*, un jeune Marocain, fait partie de ces sans-papiers ayant vu leur demande de régularisation rejetée fin octobre, alors que leur dossier « cochait toutes les cases ». Arrivé légalement en Belgique il y a plusieurs années, il avait mis en avant toutes les preuves de son intégration sociale, mais aussi des promesses d’embauche d’employeurs prêts à le recruter une fois régularisé.

« Avant qu’on ne suspende la grève, il y a eu des négociations avec le secrétaire d’État et des personnes se sont portées garantes pour qu’une ligne directrice soit fixée et que l’intégration soit prise en compte dans le traitement des dossiers. Aujourd’hui, je me sens trahi, j’ai la sensation d’avoir été roulé dans la farine. J’ai fait confiance à des institutions, à l’État de droit, pour que ça se termine comme ça. » Après des années en Belgique, Omar s’est vu notifier un ordre de quitter le territoire. Il se dit désespéré.

Un passage de l'une des décisions négatives rendues aux ex-grévistes de la faim. © Capture d'écran.
Un passage de l'une des décisions négatives rendues aux ex-grévistes de la faim. © Capture d'écran.
 

Dans des décisions consultées par Mediapart, il est souligné par l’Office des étrangers que « le requérant s'est mis lui-même dans une situation de séjour illégal et précaire, de sorte qu’il est à l’origine du préjudice qu’il invoque », puis, un peu plus loin, qu’un « long séjour en Belgique n’est pas en soi une cause de régularisation sur place ».

« Le fait de s’intégrer et de nouer des attaches sociales dans le pays d’accueil est une attitude normale de toute personne qui souhaite rendre son séjour plus agréable », conclut l’Office, avant de se référer à l’adage latin « Nemo auditur propriam suam turpitudinem allegans » pour affirmer que « personne ne peut invoquer sa propre faute pour justifier le droit qu’il revendique ».

Pour le chercheur Martin Vander Elst, cela marque un revirement flagrant dans le discours tenu par Sammy Mahdi et Freddy Roosemont en juillet dernier, qui tendent à s’inscrire aujourd’hui dans une logique de rejet « collective ».

Le cas de Nezha, l’une des porte-parole de la mobilisation, en a été, selon lui, l’étape intermédiaire : une note interne de l’Office des étrangers, qui a fuité dans la presse en septembre, laissait entendre que malgré tous les « éléments en faveur de la requérante » listés par l’Office sur près d’une page – deux promesses d’embauche, des engagements associatifs, du volontariat, un frère de nationalité belge – et aucun élément en sa défaveur, le directeur général a opté pour un rejet de la demande. « Quand le document a fuité, le cabinet de Sammy Mahdi m’a dit que cela ne signifiait pas pour autant que la décision serait négative. Elle l’a finalement bien été », note Marie-Pierre de Buisseret.

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Note interne de l'Office des étrangers en Belgique concernant l'une des sans-papiers en grève de la faim.
Un contexte politique peu favorable, selon avocats et chercheurs

À 52 ans et après 12 années passées sur le territoire belge, Nezha ne comprend pas ce qui lui arrive. Elle confie avoir quitté le Maroc « faute d'alternatives », pour fuir des violences conjugales, laissant ses deux enfants, désormais adultes, à sa mère.

« J’ai reçu la décision finale, négative, 15 jours après que la note est sortie dans la presse. Depuis, je ne suis pas bien, physiquement et moralement. Je n’arrive plus à dormir. Tout ce que je recherche, c’est la dignité et la liberté. Je veux vivre, tout simplement », martèle, en sanglots, celle qui se qualifie de « travailleuse »

« Freddy Roosemont s’était rendu sur les sites d’occupation et avait tenu un discours positif et rassurant sur les chances des grévistes d’obtenir une régularisation. La grande question est de savoir pourquoi il referme désormais la porte », interroge Martin Vander Elst.

A l'église du Béguinage, beaucoup de grévistes sont dans un état critique (juillet 2021). © NB
A l'église du Béguinage, beaucoup de grévistes sont dans un état critique (juillet 2021). © NB
 

Le membre du comité de soutien à l’USPR évoque un contexte politique peu favorable à la régularisation des sans-papiers qui auraient pu y prétendre : « Roosemont est un proche de l’ex-secrétaire d’État à l’asile et à la migration, Théo Francken [député à la NVA - ndlr], qui tient un discours très ferme sur l’immigration et la fermeture des frontières. Mahdi est au CD&V, un parti à la ligne intermédiaire, plus humaine que la précédente, notamment sur l’octroi des visas aux étrangers et étudiants. Il est peut-être sous pression vis-à-vis de Théo Francken et il est possible que l’on soit face à une manœuvre de la NVA visant à saboter les tentatives du gouvernement de trouver une issue positive à cette grève de la faim », analyse le chercheur.

« On a l’impression que l’Office des étrangers est devenu une administration qui fonctionne en roue libre, reflétant l’idéologie d’un seul parti, la NVA, et plus du gouvernement », dénonce Marie-Pierre de Buisseret. Dans un tweet, Théo Francken a salué, le 3 novembre, la « loyauté » de Freddy Roosemont lorsque celui-ci a pris la défense de Sammy Mahdi, confronté aux premières réactions de grévistes désenchantés.

« Le secrétaire d’État a sa part de responsabilité, il aurait dû mieux baliser le processus et prendre des garanties auprès de l’Office afin que les engagements soient respectés. Il a pris les choses à la légère et n’a pas joué le rapport de force », poursuit Martin Vander Elst.

Toutes ces décisions font l’objet d’une motivation détaillée
Le cabinet du secrétaire d’État à l’asile et à la migration, Sammy Mahdi

Auprès de Mediapart (lire la réponse complète dans l’onglet Prolonger), le cabinet du ministre confirme que « les premières décisions prises dans le dossier des grévistes de la faim qui ont introduit une demande de régularisation ont été notifiées » et que « cinq des vingt décisions prises ont été évaluées positivement ». « Une régularisation est une procédure d’exception. Elle peut être accordée si le demandeur n’a pas obtenu de droit de séjour par le biais des canaux de migration existants. Cependant, une régularisation n’est pas et ne pourra jamais être un canal de migration, car il s’agit d’une exception accordée par les pouvoirs publics. »

Et d’ajouter : « Les décisions individuelles ne sont pas commentées. Toutes ces décisions font l’objet d’une motivation détaillée et sont prises sur la base de tous les éléments d’un dossier. C’est-à-dire, entre autres, les procédures de séjour antérieures ayant abouti à un rejet, les membres de la famille à l’étranger, la vulnérabilité de la personne en question, les éléments d’ordre public et les éventuels éléments d’intégration, [qui] jouent dans les dossiers mais ne sont pas les seuls éléments. »

Contacté par Mediapart, le bureau de la direction générale de l’Office des étrangers n’a pas donné suite à l’heure où nous publions cet article. Dans un article du quotidien belge néerlandais Het Laatste Nieuws, Freddy Roosemont a affirmé que, lors des négociations, « le secrétaire d’État n’a menti à personne ni suggéré quoi que ce soit de trop positif. Il a seulement expliqué qui peut prétendre à la régularisation ».

« Les négociateurs ont retranscrit les mots prononcés de la bouche de Sammy Mahdi en espérant mettre fin à la grève et en estimant qu’ils seraient respectés. Cela a donné énormément d’espoir aux grévistes, alors que, finalement, c’était du vent », dénonce Juliette Arnould, qui rappelle « tous les efforts » fournis à la fois par les avocats (entre 50 et 100 conseils ont été sollicités pour introduire près de 450 demandes en trois mois), et les sans-papiers, qui ont dû réunir toutes les preuves de leur intégration.

Pour les personnes présentes depuis peu en Belgique, qui avaient moins de chances d’obtenir une régularisation, Marie-Pierre de Buisseret affirme qu’un accord avait été arraché pour qu’elles obtiennent une carte temporaire de trois mois sur la base d’une régularisation médicale (article 9 ter de la loi sur les étrangers), afin de leur permettre de se remettre de la grève de la faim. « On constate qu’aucun dossier n’a débouché là-dessus pour l’instant. »

L’État alimente indirectement toute une économie souterraine
Marie-Pierre de Buisseret, avocate des ex-grévistes de la faim

La Belgique se retrouve, poursuit-elle, avec un « réservoir énorme de sans-papiers », soit 150 000 personnes. « C’est malsain, surtout quand on a toute une série de secteurs en pénurie dans lesquels patrons ne trouvent pas de Belges prêts à occuper ces emplois. L’État, ici, a tout à perdre et alimente indirectement toute une économie souterraine, puisque les employeurs embauchent ces personnes au noir faute de régularisation. Il faut cesser de mettre la tête dans le sable car cela ne résout pas le problème », conclut l’avocate. Certains ex-grévistes songent déjà à reprendre la mobilisation, par le biais d’une nouvelle grève de la faim ou d’autres actions collectives. D’autres occupent toujours, comme Nezha, l’église du Béguinage à Bruxelles.

 

 


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