Source : Le monde - Julia Pascual - 17/11/2021
Dans un recours déposé en urgence mardi 16 novembre, l’association Tous migrants veut contraindre l’Etat à mettre les exilés à l’abri.
C’est la première fois que l’Etat est attaqué devant la justice à Briançon. Mardi 16 novembre, en fin de journée, l’association Tous migrants, qui intervient dans les Hautes-Alpes à la frontière franco-italienne, a saisi le tribunal administratif de Marseille selon la procédure urgente du référé-liberté, dans le but de contraindre les pouvoirs publics à mettre en œuvre un accueil et un hébergement d’urgence des personnes migrantes arrivées sur le territoire.
Depuis l’été 2017, pour éviter les contrôles de police dans les Alpes-Maritimes, une route migratoire périlleuse s’est dessinée à travers les cols enneigés des Alpes, depuis l’Italie. Les migrants transitent en général quelques jours à Briançon avant de prendre un autocar ou un train pour poursuivre leur exil à destination de l’ouest de l’Europe.
Depuis le 24 octobre, le refuge associatif Les terrasses solidaires, qui leur offrait un gîte, a fermé ses portes, confronté à des arrivées qui surpassent ses capacités d’accueil, plafonnées à 80 personnes. La nuit avant sa fermeture, 230 personnes se trouvaient sur place.
Depuis, un nombre fluctuant de migrants transite chaque jour par la ville de Briançon, « entre dix et trente » jauge Philippe Wyon, de l’association Refuges solidaires, qui met ce nombre plutôt faible sur le compte du renforcement des contrôles policiers au col de Montgenèvre. La majorité sont originaires d’Afghanistan et, parmi eux, se trouvent souvent des familles. « Ils ne souhaitent pas rester mais poursuivre leur route pour demander l’asile en Allemagne ou en Grande-Bretagne », souligne Max Duez, de Refuges solidaires.
Une tente gonflable
Alors que les associations réclament une action de l’Etat pour pouvoir rouvrir leur refuge, la préfète des Hautes-Alpes, Martine Clavel, dans un courrier du 5 novembre adressé à Refuges solidaires, se satisfait d’une « gestion maîtrisée des flux » grâce à des « contrôles renforcés » pour « entraver les passages illégaux ». Et prévient : « Aucun dispositif d’accueil ne sera initié par nos soins. »
Alors que les températures sont négatives la nuit, une trentaine de migrants ont passé celle du mardi 16 au mercredi 17 novembre à Briançon. Si certains ont pu être hébergés par des particuliers bénévoles, d’autres se retrouvent à la rue. Pour parer à cette situation, Médecins sans frontières (MSF) a installé samedi 13 novembre une tente gonflable d’une centaine de mètres carrés dans le jardin de l’église Sainte-Catherine de Briançon. Un équipement, chauffé au gasoil, qu’elle réserve en général aux crises humanitaires à l’étranger. « C’est une tente qu’on a utilisée après le tremblement de terre en Haïti en 2010 ou après le séisme au Népal en 2015. C’est la première fois qu’on l’utilise pour héberger des gens en France », souligne Julien Delozanne, coordinateur de projets pour MSF.
Il n’y a par ailleurs que deux toilettes sur place, aucune douche et un accès limité à l’eau potable. Dans leur référé-liberté, les avocats de Tous migrants évoquent des vols d’argent et de téléphone, et des scènes de violence qui « éclatent souvent en raison de la précarité et de la grande détresse des exilés ». En outre, « il n’existe aucun dispositif spécial de protection pour les femmes seules ».
Audience le 24 novembre
Les avocats dénoncent aussi le non-accès à l’hébergement d’urgence généraliste en se basant sur la transcription d’un appel passé au Samusocial et au cours duquel l’opérateur téléphonique, interpellé sur la situation de trois personnes à la rue à Briançon, explique : « Le mieux, ce serait de les diriger sur la gare, sinon je n’ai aucune autre solution. » « Malheureusement nous, on a des consignes, dit-il. On a reçu un avis de la préfecture que nous, on ne prend que des personnes qui sont en règle quoi, qui ont des papiers. »
« En ne protégeant pas les exilés des conditions météorologiques particulièrement précaires et en ne leur apportant pas de soins basiques nécessaires, la préfète des Hautes-Alpes porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie des exilés », estiment les avocats auteurs du recours, Mes Vincent Brengarth et William Bourdon. Ils évoquent également une atteinte au droit à la protection de la santé, à l’hébergement d’urgence et au principe d’intérêt supérieur de l’enfant. Ils demandent au tribunal d’enjoindre à l’Etat de « mettre les exilés à l’abri », et de faciliter leur départ de Briançon par un accès à des tests au Covid-19 et aux transports publics. Une audience doit se tenir le 24 novembre au tribunal administratif de Marseille.