Inscription au Bulletin  bulletin icon    Notre page FacebookNotre page Twitter  Bonjour Visiteur

Fermez les Centres de Rétention !

La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

Solidarite avec Mimmo Lucano

Source : france culture - Chloé Leprince - 27/03/2022

Depuis des siècles, les femmes migrantes ne subissent pas le même sort que les hommes : l'épouvantail est masculin. L'image des Ukrainiennes joue aussi dans l'élan de solidarité et l'ouverture des frontières.

Alors qu’au bout de trois semaines de guerre en Ukraine, plus de trois millions de personnes avaient déjà franchi les frontières pour chercher refuge loin de l’offensive russe, des voix s’élevaient pour dénoncer une générosité à géométrie variable. Une position pas toujours audible et d’autant plus funambule que l’agression de l’Ukraine a très vite déclenché un vaste élan de solidarité en France : tandis que la ministre Marlène Schiappa déclarait dans les médias que, compte tenu de ce que ces gens venaient de traverser, “la souplesse” prévaudrait sur la curée administrative (“l'humanité c'est aussi de ne pas rajouter des formalités aux formalités”), ou qu’à grand renfort de symboles, on inscrivait à la hâte quantité d’enfants ukrainiens fraichement débarqués dans les écoles, l’opinion publique apparaissait à l’unisson d’un gouvernement promptement décidé à ouvrir 100 000 places d’hébergement pour ces Ukrainiens brutalement projetés sur les routes de l’exil. En fait, plutôt des Ukrainiennes : d’après les chiffres onusiens, 90% de ceux qui franchissent les frontières de l’Ukraine sont des femmes.

Cette proportion s’explique notamment par le fait que les hommes valides, eux, sont enrôlés pour la défense de leur pays depuis le début de l’offensive russe. Mais c’est considérable pour comprendre à la fois ce parti-pris politique en rupture avec deux décennies d’une fermeture croissante des frontières, et une ardeur plus vaste à la commisération. La largesse vis-à-vis des femmes en exil a en fait une histoire longue - même si elle n’explique pas tout. Si ONG, militants et acteurs de terrain dénoncent le tri des migrants, et s’inquiètent depuis plusieurs semaines d’un "deux poids, deux mesures", c’est parce que cette latitude soudaine aux frontières se laisse difficilement attraper autrement que comme une préférence pour une migration blanche, issue des confins du continent européen et, souvent aussi, de la classe moyenne.

A deux jours de route des capitales de l’ouest de l’Europe et plus proches encore des derniers pays à avoir adhéré à l’Union européenne, ces millions d’exilés subits sont de surcroît de possibles candidats à l’adhésion communautaire. Les ressorts de la souplesse charitable ne sont pas seulement psychologiques : ils sont aussi institutionnels puisqu’il existe, depuis 2001, le dispositif de “protection temporaire”. Qui prévoit notamment droit de séjour, permis de travail, accès au logement, à l’aide sociale et aux soins. Dès le 2 mars, une semaine tout juste après le début de l’agression russe sur l’Ukraine, il était activé. C’était la première fois : il n’avait jamais été voté par le conseil des ministres de l’Intérieur des Etats-membres. Si nombre d’acteurs de terrain le réclamaient, il n’en avait même jamais été question pour des cohortes de migrants issues de Syrie, d’Afghanistan, ou encore ces milliers d’exilés actuellement dans le cul-de-sac des prisons libyennes. Pour eux, on parle sans doute plus souvent de “flux migratoire” que d’hospitalité.

Les Ukrainiennes, elles, ont donc désormais des droits sitôt qu’elles foulent le sol d’un pays membre de l’Union européenne, et ainsi quelques meilleures chances de reprendre leur souffle malgré la sidération et le traumatisme. Au-delà de la proximité (institutionnelle, culturelle, géographique) de l’Ukraine avec l’Union européenne, cet accueil accéléré correspond à une tendance sourde de la politique migratoire depuis plus de vingt ans : privilégier un accueil fondé sur l’idée de catastrophe soudaine et ponctuelle, axer l’ouverture sur une politique de l’assistance humanitaire, et encore, assumer la sélection. 

Février 1939, du côté du Perthus, à la frontière espagnole, une femme réfugiée républicaine espagnole, fuyant son pays.
Février 1939, du côté du Perthus, à la frontière espagnole, une femme réfugiée républicaine espagnole,
fuyant son pays. Crédits : Daily Express - Getty
Réfugiés : les bons et les mauvais

Toute la rhétorique autour du risque de “l’appel d’air” creuse ici une tranchée entre bons et mauvais réfugiés. C’est elle qui est mise à profit politiquement lorsqu’il s’agit de trier entre les bénéficiaires potentiels : il s’agit de prémunir l’Europe d’un afflux depuis le sud dont on comprend qu'il est perçu comme lancinant plutôt qu’exceptionnel. Et donc de légitimer un accueil différencié selon l’origine. L’histoire de la catégorie administrative du “réfugié”, mise en lumière par exemple par la politiste Karen Akoka, ne dit pas autre chose : d’emblée, le traitement administratif des réfugiés par l’Etat français a eu à voir avec le pays d’origine, et des préférences qui s’encastraient par exemple dans la Guerre froide et des histoires d’alliances, des familiarités et parfois l'idée d'une proximité, au moins émotionnelle. Le tout nourri par un chapelet de clichés flatteurs… ou de préjugés.

Or l’histoire longue de l’exil montre que le genre redouble souvent l’origine géographique. Et que la cristallisation de la figure du migrant au masculin est aussi une construction politique. Relire au prisme du genre le travail de l’historienne Delphine Diaz, et notamment deux de ses livres parus en 2014 (Un Asile pour tous les peuples ?, chez Armand Colin) et en 2021 (En Exil, parmi les inédits chez Folio) rappelle justement que les hommes et les femmes, sur les routes de l’exil, ne connaissent pas le même sort en Europe, depuis la fin du XVIIIe siècle. Par exemple, en 1939, en France, hommes et femmes fuyant l’Allemagne nazie n’écopaient pas du même traitement. Contrairement aux hommes, les femmes ne seront pas internées - même si elles pourront faire l’objet d’une surveillance. A peine plus tôt, hommes et femmes qui fuyaient l’Espagne de Franco n’avaient pas non plus subi le même sort, ni été destinés aux mêmes camps par les autorités françaises une fois franchies les Pyrénées. Ce n’était pas propre à la France ni aux années 1930 et 40 de la montée du fascisme : en Grande-Bretagne, trente ans plus tôt, on avait volontiers privilégié l’accueil des femmes baltes dont la blancheur de peau, et la réputation de travailleuse faisait passer l’intégration pour plus facile - et aussi plus désirable.

A un siècle de distance des Ukrainiennes que l'agression russe projette à leur tour dans l’histoire de l’exil, tous ces cas ont en commun la manière dont on envisage l’accueil des femmes migrantes. Bien souvent, comme une nécessité humanitaire politiquement acceptable, plutôt qu’une menace, ou un risque statistique. A peine, au fond, comme un enjeu migratoire, tant le phénomène a semblé à la fois naturel et de basse intensité polémique. Il épouse aussi une tendance lourde des politiques migratoires : ce que des intellectuels, comme le chercheur Didier Fassin par exemple, regardent comme une façon de réduire l'asile à un enjeu humanitaire.

Si les migrations féminines ont été davantage tolérées, c’est aussi parce qu’elles se sont déployées à bas bruit. D’ailleurs, longtemps, les femmes en exil ont échappé aux statistiques : jusqu'en 1992, l'OFPRA par exemple (Office français de protection des réfugiés et apatrides) ne pouvait fournir aucun chiffre sur les migrantes - les statistiques sexuées n'existaient tout bonnement pas. Aussi, un siècle plus tôt, lorsqu'une politique d'assistance aux réfugiés s'est solidifiée, sous le Premier empire, la catégorie ne s'entendait-elle déjà qu'au masculin. Dans les années 1830, Flora Tristan, de retour d’un long périple au Pérou, avait pourtant fait paraître ses recommandations pour “un bon accueil aux femmes étrangères” (en 1835). Mais au même moment, les femmes en migration occupaient cet angle mort de l'aide publique qui se développait sous la Monarchie de juillet : elles n’apparaissent pas en tant que telles dans les décomptes. Mais plutôt au titre du statut familial, ou conjugal, de l'homme migrant. A cette époque où être réfugié en France donnait droit à des allocations, arriver avec femme (et enfants) permettait d'obtenir davantage. Mais la femme seule n'avait pas d'existence officielle et d'ailleurs les subsides étaient conditionnés au fait que le mariage avait eu lieu avant l'exode.

La femme de l'exilé

Longtemps, ainsi, être une femme en exil a pu se résumer, administrativement, à être la femme de l’exilé. Sous la Deuxième république, au moment où une kyrielle de circulaires vient stabiliser le contrôle des étrangers (et leur assistance), la plupart de ces textes passent le cas des femmes sous silence. En creux, on comprend en lisant Delphine Diaz qu'à ce moment où se consolide l'idée d'un classement des candidats par nationalité, ce sont d'abord les hommes célibataires qui sont dans le viseur des autorités. Dans un tableau très éclairant qu’on trouve en annexe de son livre, Un Asile pour tous les peuples ?, on voit que le montant des subsides distribués par la France dépendait de la position sociale de l’exilé… mais que si les femmes non plus n’étaient pas égales, il n’existait toujours aucune catégorie pour une femme qui ne serait là qu’en son nom propre. C’est l’identité sociale du mari qui déterminait l’allocation destinée à l’épouse (pour lui, 960 francs par an pour un ministre ou un lieutenant, 660 francs par an pour un député ou un chef politique, 300 pour un médecin, un avocat, un employé, un “propriétaire”, un négociant ou encore un ecclésiastique… mais seulement 210 pour la femme des uns, et 150 francs annuels pour celle des autres, voire 90 si le mari était “sous-officier, soldat, cultivateur ou artisan”). 

A l’époque, pourtant, les femmes étaient nombreuses parmi les proscrites républicaines, et autant de trajectoires d’exil politique, de la Russie à la France en passant par la Grande-Bretagne, la Suisse ou la Belgique. Tout un pan de l’histoire de l’Association internationale des travailleurs, fondée en 1864, mais aussi le casting de plusieurs révolutions comme celle de juin 1848 ou la Commune de Paris, croisent justement ces parcours d’exil qui sont aussi des trajectoires d’exilées au féminin. L'historienne Sylvie Aprile montre par exemple très bien que contrairement à ce qu'on a pu se représenter durablement, il y eut dans la foulée du coup d'Etat du 2 décembre 1851, par Louis-Napoléon Bonaparte, une proscription de masse, qui comptait de nombreuses femmes : 10 000 républicains au total, ont alors quitté la France. Dont des républicaines, parmi lesquelles l'histoire ne retiendra souvent qu'une minuscule poignée de femmes souvent racontées comme une avant-garde héroïque. 

Si on a durablement accordé un traitement privilégié aux femmes, c’est aussi parce qu’on a tardé à les reconnaitre comme des actrices politiques (et notamment comme révolutionnaires ou insurgées), aussi bien que comme candidates à l’exil en leur propre nom. Tout au plus, dans l’imaginaire collectif, sont-elles en train de migrer pour échapper à une catastrophe subite, ou pour rejoindre un mari. Longtemps, la politique du rapprochement familial sera une des rares façons d'envisager les femmes en migrantes. Bien sûr, ça pose la question de l'autonomie des femmes. Alors que par exemple, un siècle avant les Ukrainiennes, on trouvait autant de femmes que d’hommes, dont des veuves qui avaient migré seules, parmi les Grecs accueillis en France, à Toulon et Marseille notamment, dans le ressac des persécutions ottomanes et de la longue guerre pour l’indépendance grecque.

Si les femmes font de longue date l’objet d’un accueil différent, et que par ailleurs, l’imaginaire collectif résiste encore largement à prendre la mesure du fait qu’aujourd’hui, un migrant sur deux est une femme, c’est aussi parce que l’image des migrants n’est pas neutre. Elle est même très construite, politiquement. Invisibiliser les migrations féminines, jusque dans les sciences sociales où les travaux de pionnières comme Nancy Green par exemple ont tardé à trouver des relais, c'était aussi pérenniser une figure miroir, en contraste.

Une foule de femmes et d'enfants, en 1939, franchissant la frontière espagnole pour fuir l'Espagne.
Une foule de femmes et d'enfants, en 1939, franchissant la frontière espagnole pour fuir l'Espagne. Crédits : Hulton Deutsch - Getty
Portrait-robot au masculin menaçant

Et c’est cette figure, portrait-robot au masculin non neutre, qui est mise à profit dans les discours politiques et autant d’arsenaux juridiques à l’origine d’un tour de vis supplémentaire aux frontières depuis vingt ans : celle d’un migrant homme, souvent subsaharien ou musulman, que tout un pan de la rhétorique politique exhibe historiquement comme une menace. Y compris pour les femmes migrantes, volontiers présentées en accompagnatrices ou en victimes plutôt qu’en actrices de leur propre migration - même lorsqu’elles laissent sur place un conjoint comme désormais deux tiers de celles qui quittent un pays d’Afrique subsaharienne par exemple. C’est notamment tout l’intérêt du travail de la géographe Camille Schmoll, et de son livre, Les Damnées de la mer, paru à La Découverte en 2020 : la chercheuse, dont le travail doit beaucoup à la géographie féministe tout en croisant aussi dans les eaux de l’anthropologie et de la sociologie, fait davantage que nous mettre sous le nez l’évidence d’une migration qui s’écrit aussi au féminin, avec son empreinte, ses temporalités, et ses textures.

Ce faisant, elle rappelle l’impasse qu’il peut y avoir à regarder ces trajectoires-là comme des histoires exceptionnelles, qui défieraient la norme ou révèleraient des talents atypiques de célibataires transgressives ou d’héroïnes puissantes. Mais la chercheuse dévoile aussi combien le discours sur l’exil, et par exemple la préférence pour un asile au compte-goutte au détriment d’une ouverture à l’immigration de travail, est nourri par une représentation virile et, à l’occasion, menaçante du migrant. Qui tiendra d’autant plus facilement d’épouvantail auprès de l’opinion publique qu’il sera par exemple perçu comme un risque pour ce qui apparaît comme l’ordre sexuel européen. 

Si bien que, lorsque l'administration a exceptionnellement regardé la part des femmes dans l'immigration, ce fut certes pour combler des carences sur le marché du travail (par exemple en faisant venir de futures domestiques des Antilles une fois la Martinique et la Guadeloupe passées du statut de colonie à celui de département, en 1946)... mais aussi dans un souci de brassage des migrants entre eux. Et pour éviter, durablement, un afflux de célibataires hommes en trop grand nombre : ce sera un des indicateurs suivis de près par le BUMIDOM, sorte de bureau de placement, aux manettes d'une politique d'émigration massive depuis les Antilles à partir de 1963 (que Stéphanie Condon envisageait depuis les questions de genre dans un numéro "Femmes et genre en migration" de la revue Clio en 2020). 

Mais un demi-siècle plus tard, le traitement médiatique des violences qui se sont déroulées en Allemagne, durant la nuit de la Saint-Sylvestre, à Cologne, le 31 décembre 2015, offraient encore une piqure de rappel : si des enquêtes ont bien débouché, et des condamnations ont bien été prononcées (notamment envers des habitants issus d’une immigration déjà un peu ancienne), le scenario d’une agression massive imputable à des primo-arrivants tout juste débarqués de Syrie dans la foulée d’une ouverture des frontières décidée par Angela Merkel a fait pschitt. Il était en fait irrigué par tout un imaginaire européen du jeune migrant hypersexualisé et dangereux - comme autant de munitions lustrées par le camp anti-immigration sur l’échiquier politique allemand. A bien des égards, on peut voir dans les Ukrainiennes en route pour différents pays de l’Union européenne un contre-modèle qui donne aussi du ressort à l’élan auquel on assiste.


Calendrier d'Événements

Lun Mar Mer Jeu Ven Sam Dim
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
13
14
15
16
17
18
19
20
21
22
23
24
25
26
27
28
29
30
31
Sauvegarder
Choix utilisateur pour les Cookies
Nous utilisons des cookies afin de vous proposer les meilleurs services possibles. Si vous déclinez l'utilisation de ces cookies, le site web pourrait ne pas fonctionner correctement.
Tout accepter
Tout décliner
En savoir plus
Essentiel
Ces cookies sont nécessaires au bon fonctionnement du site, vous ne pouvez pas les désactiver.
Session de l'utilisateur
Identifie la session ouverte par l'utilisateur
Accepter