Source : Le monde - Julia Pascual - 08/04/2022
Malgré le renforcement des heures pour l’apprentissage du français et un engagement en faveur de l’emploi, les freins sont encore nombreux, en particulier pour le public fragile des réfugiés, selon un rapport réalisé pour le ministère de l’intérieur.
Dans les programmes des candidats à l’élection présidentielle, la question de l’intégration des étrangers s’égraine au fil de propositions autour du travail ou de l’apprentissage de la langue.
La candidate du Rassemblement national, Marine Le Pen, et celle du parti Les Républicains, Valérie Pécresse, souhaitent par exemple que la naturalisation soit soumise à des critères de mérite et d’assimilation, tandis que le président candidat, Emmanuel Macron, entend conditionner l’octroi de titres de séjour long à un examen de français et à une insertion professionnelle. Quant à l’écologiste Yannick Jadot et à la socialiste Anne Hidalgo, ils veulent autoriser les demandeurs d’asile à travailler, alors que le candidat d’extrême droite Eric Zemmour veut expulser les étrangers au chômage…
La stratégie publique d’intégration reste toutefois globalement méconnue et peu portée politiquement. Deux rapports d’évaluation réalisés en 2021 pour le compte du ministère de l’intérieur par le cabinet d’audit EY (anciennement Ernst & Young), dont Le Monde a pris connaissance, montrent qu’elle souffre encore d’un manque de moyens et de cohérence.
Ces travaux n’ont pas vocation à être rendus publics. Ils évaluent la politique menée sous le quinquennat d’Emmanuel Macron à l’aune des réformes engagées. En 2018, le gouvernement d’Edouard Philippe avait pris une série de mesures pour renforcer les dispositifs existants. Elles consistaient principalement dans le doublement des heures pour l’apprentissage du français dispensées aux primo-arrivants qui signent un contrat d’intégration républicaine (CIR). Un effort « unanimement salué », souligne EY. Aujourd’hui, près d’un primo-arrivant sur deux est orienté vers des sessions de 400 ou de 600 heures de français et 75 % atteignent le niveau A1 – il correspond à une maîtrise élémentaire de la langue –, contre 66 % avant la réforme de 2018.
Une approche « plus pratique et opérationnelle »
Cependant, les conditions d’apprentissage restent inadaptées aux publics les plus « vulnérables », en particulier les non-lecteurs et les non-scripteurs, surreprésentés parmi les réfugiés. Près de la moitié des formateurs interrogés « estiment que les formations ne répondent pas aux besoins de ces publics ».
Sont notamment mis en cause le manque d’homogénéité des groupes d’apprentissage, le peu de flexibilité des offres de formation – difficilement conciliables avec des contraintes de garde d’enfants, en particulier pour les femmes –, la réalité d’un hébergement souvent instable ou des besoins d’ordre sanitaire, social, ainsi que l’« urgence » pour les publics primo-arrivants à occuper un emploi. En outre, souligne EY, « le poids du critère prix semble avoir été trop important pour permettre un saut qualitatif marqué et inciter les organismes à innover et à améliorer durablement leurs formations tout en restant à l’équilibre financier ».
L’audit encourage par ailleurs à augmenter la quantité d’heures de formation aux niveaux supérieurs de maîtrise du français (A2 et B1), car le niveau A1 « ne permet en aucun cas d’atteindre le degré d’autonomie suffisant pour une intégration durable et de qualité en France ». « L’exigence des employeurs, relève EY, y compris pour des emplois peu qualifiés ou pour des entrées en formation qualifiante, freine les entrées en emploi pour des publics ayant atteint seulement le niveau A1. »
Outre la langue, la réforme impulsée par le gouvernement en 2018 a consisté dans le doublement des heures de formation civique, qui s’étalent aujourd’hui sur quatre jours. Y sont abordés des généralités sur la France, des informations-clés relatives à la santé, au logement ou encore à la scolarisation, les principes et valeurs de la République ou encore des mises en situation relatives à l’insertion professionnelle. Une réforme qui « ne semble pas avoir eu les effets escomptés sur la durée », relativise EY. A l’occasion d’entretiens de fin de CIR, les auditeurs ont pu remarquer que peu de primo-arrivants sont capables de préciser ce qu’ils ont retenu de la formation civique. « C’est la notion même de cours de formation civique qui peut être questionnée », souligne EY, qui recommande une approche « plus pratique et opérationnelle ».
Mobilisation insuffisante de logements
Les rapports d’audit se penchent aussi sur l’accès au logement et à l’emploi des réfugiés. A l’heure où le gouvernement déploie des moyens considérables pour assurer l’accueil des Ukrainiens fuyant la guerre, à travers l’octroi d’une protection temporaire, leur hébergement et l’accès immédiat au marché du travail, EY rappelle que « la durée moyenne d’un parcours d’intégration est de deux à trois ans » pour un réfugié et qu’il souffre de carences.
Les exemples sont nombreux : accès limité aux outils numériques, lacunes dans l’accompagnement en santé mentale et psychique, lenteurs dans l’obtention de documents d’identité et de titres de séjour, blocages récurrents dans l’accès aux droits sociaux, entraves à l’ouverture d’un compte bancaire…
Le rapport d’évaluation appelle à un « effort renforcé et continu » auprès des plus fragiles et prêche pour une approche globale : « L’absence d’un acteur chargé explicitement de l’accompagnement [des réfugiés] sur toute la durée de leur intégration apparaît comme un frein à la mise en place d’une politique publique efficace. »
Le cabinet épingle notamment la mobilisation insuffisante de logements en leur faveur. « Le frein évoqué de manière récurrente, outre le manque de logements dans le parc social, est le manque de connaissance et la méfiance des bailleurs », souligne le rapport. EY insiste également sur la nécessité de corréler l’accès au logement aux enjeux d’emploi. En dépit d’un « engagement manifeste » de l’Etat en la matière, des améliorations sont possibles, « notamment par une meilleure implication du service public de l’emploi ».
A l’arrivée, si les réfugiés présentent un « haut niveau d’employabilité » du fait de leur âge plutôt jeune ou de leur désir d’« intégration par le travail », les difficultés de logement, de mobilité ou encore leur faible maîtrise du français limitent considérablement leurs opportunités. D’après les informations compilées par EY, seul un quart des réfugiés interrogés occupait un emploi, alors qu’ils étaient 63 % dans ce cas dans leur pays d’origine. Et, parmi ceux qui occupent un emploi en France, celui-ci est de niveau inférieur dans près de la moitié des cas.