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La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

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Source : Le monde - Anne Vidalie - 02/05/2022

Entre 1940 et 1944, des militaires français évadés des camps de prisonniers allemands trouvèrent refuge dans cette bourgade de Hongrie au cadre idyllique. Le pays, pourtant allié du IIIe Reich, leur a offert une extraordinaire liberté.

Cette histoire-là ne tient qu’à un fil. Il n’y a plus de témoins pour la raconter. Pas de commémoration pour la célébrer. Aucun manuel scolaire, français ou hongrois, pour l’enseigner. Rien, hormis quelques travaux universitaires et une poignée de recueils de souvenirs au tirage confidentiel.

Un film, tout de même, avec André Dussollier : Paradis provisoire (1981), du réalisateur magyar Andras Kovacs. Et aussi une plaque, scellée en 1992 sur la rive sud du lac Balaton : « En reconnaissance pour l’hospitalité de la Hongrie aux prisonniers de guerre français évadés des camps nazis. » Ces mots, gravés dans le marbre, résument une fantastique aventure : celle du millier de soldats échappés des geôles autrichiennes, silésiennes et polonaises qui ont trouvé refuge chez les Magyars, entre 1940 et 1944. Dans le pays, pourtant allié du IIIe Reich, ils ont été bien accueillis, choyés même, libres ou presque d’aller et de venir, de travailler, de s’amuser, d’aimer, jusqu’à l’invasion allemande de mars 1944.

« J’ai relaté cet épisode méconnu aux directeurs successifs de l’Institut français de Budapest, indique Magda Szabo, ancienne responsable de la Fondation franco-hongroise pour la jeunesse. L’un d’eux ne m’a même pas crue… » La ténacité a pourtant fini par payer. Sous l’impulsion de l’ambassadrice de France, Pascale Andréani, une salle commémorative, inaugurée le 29 mars, retrace l’épopée de ceux que l’on appelle en Hongrie les francia menekültek, les réfugiés français.

Ce mini-musée ne se trouve pas à Budapest, mais à 150 kilomètres de là, au premier étage d’une bâtisse centenaire plantée près des eaux scintillantes du lac Balaton. Balatonboglar, la « perle du Balaton », est une petite station balnéaire, désertée en hiver, bondée en été. Deux kilomètres de criques sablonneuses et de berges verdoyantes, des restaurants, des voiliers, un curieux belvédère en forme de sphère métallique perché sur la colline. Ici, de 1942 à 1944, les évadés français furent regroupés par les autorités militaires hongroises, quelques semaines ou quelques mois, le temps pour eux de trouver un emploi et un logement ailleurs.

Dès l’automne 1940, les prisonniers de guerre français détenus par la Wehrmacht dans les stalags de Poméranie, d’Autriche et de Bohême-Moravie ont des fourmis dans les jambes. Mais où aller en cas d’évasion ? La France, à l’évidence, est hors de portée. En attendant de rallier l’Afrique du Nord ou le Proche-Orient, le chemin le plus sûr vers la liberté passe par la Hongrie voisine. Les candidats à l’évasion ne savent pas grand-chose de ce petit pays, amputé des deux tiers de son territoire et d’un tiers de sa population par le traité de Trianon, en 1920. La plupart ignorent tout de son indéfectible fascination pour la culture française. Ou du brûlant désir de revanche qui l’a précipité dans les bras d’Hitler. « La collaboration avec Berlin ne faisait pas l’unanimité dans les milieux politiques et dans l’administration », nuance toutefois l’historien Sandor Csernus.

17, rue Principale

Derrière les barbelés des camps, les captifs polonais distillent de précieuses informations à leurs camarades français. A les entendre, la Hongrie est bien la destination idéale pour une cavale. Les Magyars ne sont pas en guerre avec Vichy et refoulent rarement les fugitifs. N’en déplaise aux Allemands, ils appliquent strictement les accords de Genève sur le traitement des réfugiés. Au pire, les soldats arrêtés risquent un internement provisoire. C’est toujours mieux que les commandos de travail et l’infect rata des stalags. Dès lors, les candidats au départ se préparent et apprennent par cœur l’adresse de leur objectif, la légation française de Budapest : Tizenhét, Fö utca, 17, rue Principale.

Pour arriver jusque-là, il faut d’abord déjouer la surveillance des gardiens, crapahuter à travers les forêts et les champs, esquiver les patrouilles, braver la faim et le froid puis, une fois la frontière franchie, s’expliquer avec les csendör, les gendarmes hongrois, reconnaissables aux plumes de coq plantées dans leur couvre-chef. « Le premier point était de se faire comprendre », racontera le soldat Jean Boussaguet (Refuge en Hongrie, recueil de souvenirs d’évadés, La Callanque, 1946). Après avoir essayé, en vain, les « langues européennes usuelles », il s’en remet au latin : « Ego sum gallicus captivus, je suis un prisonnier français. » Miracle : « Cette simple phrase fut notre sésame, elle nous ouvrit tout grand les portes de la Hongrie. Elle eut pour résultat immédiat de faire surgir de je ne sais où du lait, du beurre, du pain blanc, les plus beaux cadeaux à faire à des évadés fourbus par cinq nuits de marche. »

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En chemin, la plupart des paysans croisés par ces jeunes Français les accueillent à bras ouverts et s’étonnent de leur audace. L’un d’eux, le lieutenant Roger Klein, n’a-t-il pas marché 500 kilomètres depuis la Pologne, vêtu d’une jupe taillée dans une couverture et coiffé d’un mouchoir ? « Je crois bien que la moitié du village se pressait dans la petite pièce où nous nous trouvions pour voir ce francia katona [soldat français] qui avait eu l’idée baroque de passer la frontière déguisé en femme, rapportera-t-il plus tard. Tous semblaient fort contents du bon tour que nous avions joué aux nemetëk [les Allemands]. »

Le lendemain, dans le train pour Budapest, le lieutenant Klein retrouve « la même curiosité bienveillante, la même cordialité ». « Notre histoire eut bientôt fait le tour du wagon et chacun voulait nous voir. De tous côtés à la fois, on nous tendait des sandwiches, des fruits, des gâteaux. » Et l’inévitable bouteille de barackpalinka, l’eau-de-vie à base d’abricot.

Les premiers fugitifs arrêtés sont internés à la citadelle de Komarom, près de Budapest. Seules leurs boussoles sont confisquées. Les Polonais avaient raison : les autorités hongroises traitent les Français avec beaucoup d’égards. A la cantine de Komarom, ils sont même les premiers servis. « Viennent ensuite les Polonais, les Serbes et, à la fin, les Russes », note l’un d’eux.

« Petite Côte d’Azur »

Alors qu’ils affluent bientôt par dizaines, la section 21 du ministère de la défense, responsable des réfugiés militaires, ouvre un nouveau camp rien que pour eux, puis un deuxième, plus grand, et un troisième. Mais au fil des mois, la discipline se relâche. Du matin jusqu’au couvre-feu, les internés peuvent circuler en ville, fréquenter les cinémas et les restaurants. En juillet 1942, l’auteur d’un rapport d’inspection s’en inquiète : « Je crains que les Français n’informent leurs compatriotes encore prisonniers en Allemagne et ne les encouragent, en exposant leur bien-être relatif, à s’évader en Hongrie. » Prémonitoire…

Le tempo des arrivées s’accélère en 1942. Pour la grande majorité des fugitifs, la route s’arrête là, sur le sol magyar. La fuite vers le Sud est devenue trop périlleuse, les rapatriements clandestins vers la France impossibles. Il est temps de trouver un nouveau lieu de cantonnement pour cette colonie française de cent vingt hommes qui grossit de semaine en semaine. Ce sera la station balnéaire de Balatonboglar, deux mille âmes à l’époque, où plusieurs pensions peuvent les accueillir. Satisfaite de son inspection, la légation française donne son aval en septembre 1942. A partir du mois suivant, les internés non juifs sont transférés en train vers ce nouveau « camp d’internement » vers lequel tous les évadés français, interceptés par les autorités hongroises, seront désormais orientés.

Drôle de camp, à vrai dire… Dans son wagon, le sergent Lemaire est bouche bée. « Les yeux collés aux vitres, nous nous demandons si nous rêvons, écrira-t-il par la suite dans son livre de souvenirs (Le Pont de la liberté, Ed. du Paroi, 1980). Le long de cette petite Côte d’Azur, les villas de toutes les couleurs défilent devant nous. » Quelques semaines plus tôt, Paul Lemaire, capturé par les Allemands en mai 1940, était le matricule 27525 du stalag XVII-B, l’immense camp de prisonniers de Krems-Gneixendorf, en Autriche.

Le convoi s’arrête en gare de Balatonboglar. Un lieutenant hongrois, professeur de français dans le civil, souhaite la bienvenue aux arrivants. La suite est à l’avenant. A l’Hôtel National, on trinque à la France, à la Hongrie et à l’amitié entre les deux pays à grandes rasades d’un délicieux vin de Badacsony. « Nous avons mis à votre disposition cet établissement, ainsi que l’Hôtel Savoy et une douzaine de villas, leur annonce l’officier. J’espère que vous vous sentirez ici comme chez vous et que vous garderez un excellent souvenir de votre passage. » Le sergent Lemaire, qui enseignait les mathématiques dans le Val-de-Marne avant-guerre, n’en revient pas. Le dimanche suivant, l’ambassadeur de France en personne vient transmettre aux évadés les félicitations du gouvernement de Vichy. Le premier devoir d’un militaire emprisonné n’est-il pas de se faire la belle ?

« La vie est belle »

Le soldat Louis Bargès apprécie son nouvel environnement : « L’idée était vraiment gentille d’avoir placé les internés dans une des régions les plus attirantes (…), confiera-t-il ensuite. La vie est belle et confortable. » De fait, dans la douceur de l’automne, les hommes font du bateau sur le lac, nagent, jouent au tennis. Bientôt, ils organisent des matchs de foot et de rugby, des combats de boxe, des régates. Le cinéma local projette des films français. « C’était un programme de colonie de vacances, tout était organisé pour qu’ils ne s’ennuient pas », résume Viktoria Müller, professeure de français, autrice d’une thèse sur relations franco-hongroises entre 1940 et 1944.

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Au bar du Savoy, rutilante villa rouge et blanc, les serveurs en gants blancs sont aux petits soins. Dans les commerces, on trouve de tout – fruits, légumes, œufs, lait, viande, vin. Seul le tabac est rationné. Chaque mois, les évadés reçoivent du ministère magyar de la défense un pécule auquel s’ajoute la solde versée par la légation. Les gendarmes hongrois, eux, tordent le nez. « Les internés ont vraiment beaucoup d’argent et en dépensent aussi fortement, consignent-ils dans un rapport. Le soir, les restaurants de Balatonboglar sont bourrés de Français. Dans les magasins, ils achètent ce qu’ils veulent. »

Munis d’une autorisation de sortie, les ex-prisonniers de guerre font leurs courses dans les localités voisines ou partent à la découverte de Budapest, à deux heures de train, où ils s’adonnent, selon l’un d’eux, aux « mille amusements offerts alors par une capitale européenne des plus agréables. » Cette fois encore, les gendarmes enragent : « La liberté des réfugiés militaires n’a pas de limites. »

A la longue, malgré tout, les Français tournent en rond dans leur paradis lacustre. Ils obtiennent le droit de travailler – pour le même salaire que les Hongrois. La légation pousse à la roue : « Le placement d’hommes dans des emplois civils aurait beaucoup d’avantages, souligne-t-elle, aide à des personnes, moyen d’éviter l’ennui, discipline générale. » Cette main-d’œuvre jeune et dynamique tombe à pic : les usines, les champs et les bureaux, dépeuplés par la guerre, manquent de bras et de cerveaux.

Fine bouche

A Balatonboglar, les offres d’emploi affluent. On demande des ouvriers agricoles, des manœuvres, des garçons de café, des étalagistes, des pâtissiers, des coiffeurs, des bouchers, des chauffeurs, des maçons et même des fourreurs. On s’arrache les professeurs, qu’ils enseignent le français ou l’argot, l’équitation, le bridge ou la natation. Quelques-uns deviennent « hôtes de compagnie » dans des familles. D’autres sont recrutés par la légation elle-même. Face à l’avalanche de propositions, les militaires peuvent faire la fine bouche. Le commandant du camp avertit les futurs employeurs : « Les internés ne resteront que là où ils trouvent des conditions de travail, d’hébergement et de traitement convenables. »

Enseignant le français au prestigieux lycée cistercien de Gödöllö, près de Budapest, le soldat Bargès s’émerveille de son quotidien : des « repas copieux et variés, rincés avec un peu de tokaj [un vin hongrois] et d’eau minérale », une chambre « spacieuse et enluminée ». « Je frissonne presque de fierté de cette évasion si bien réussie », se félicite-t-il.

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Le sergent Lemaire, lecteur à l’université de la capitale, reprend, pour sa part, ses études de mathématiques auprès d’un éminent professeur parfaitement francophone. Pour occuper ses « nombreux loisirs », il monte une troupe de théâtre avec une dizaine d’évadés, la fille d’un diplomate français, quelques jeunes Hongroises et des costumes prêtés par l’opéra de Budapest. Les bénéfices financeront les colis expédiés aux camarades restés dans les camps allemands. Au cœur de l’hiver 1943, la joyeuse bande donnera des représentations du Médecin malgré lui, de Molière, dans plusieurs villes du pays.

Cette tournée n’aurait pas eu lieu sans l’intercession de l’attaché militaire, le colonel Hallier. Il est « fier de ses gars et ferait n’importe quoi pour leur venir en aide », apprécie Lemaire. André Hallier, saint-cyrien et héros de la Grande Guerre, veille sur ses ouailles. Tous les jours ou presque, il envoie des notes à la section 21, protestant contre les (rares) cas d’extradition vers l’Allemagne ou la Slovaquie, sollicitant autorisations et dérogations, défendant mordicus les intérêts des travailleurs français et s’assurant que ceux-ci ne manquent de rien. Un jour, il déplore l’état de leurs chaussures et demande la confection de « 600 paires de bottines montantes de travail en vache, 200 paires de souliers de ville en box-calf [du cuir de veau] ». Un autre, il se plaint de l’état de la literie dont ils disposent dans certaines usines. « Les couvertures et matelas ne peuvent être maintenus en bon état de propreté par suite du manque de draps », regrette-t-il. Une autre fois, il sollicite une permission pour le lieutenant Klein, « destinée à lui permettre de pratiquer les sports d’hiver et de faire connaissance avec une des régions les plus pittoresques de Hongrie ». Le militaire ira skier en Transylvanie.

« Vendeglö ! »

Les protégés du colonel Hallier s’enhardissent. Le 14 juillet 1943, à Balatonboglar, ils hissent le drapeau tricolore au son de La Marseillaise et défilent en costume-cravate devant le nonce apostolique et les représentants du gouvernement hongrois au garde-à-vous. « Ce fut le seul endroit d’Europe où des militaires français ont célébré officiellement la fête nationale », rappelle l’ambassadrice de France, Pascale Andréani. Quatre semaines plus tôt, le 18 juin, sous couvert de célébrer l’anniversaire du régent, l’amiral Horthy, c’est l’appel du général de Gaulle que les quelque 650 « internés » ont salué. En toute impunité.

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Mais gare aux écarts de conduite. Le coupable est aussitôt embastillé à la forteresse de Komarom, sa solde suspendue ou réduite. « Je tiens à ce que nos soldats donnent l’exemple et qu’ils marquent leur reconnaissance à la Hongrie par une attitude toujours impeccable », affirme Hallier au ministère de la défense. L’attaché militaire ne plaisante pas non plus avec la moralité. Tel soldat, parce qu’il tarde à épouser sa fiancée magyare, écope d’un mois de captivité. « Cette sanction servira d’exemple », tranche le colonel.

Des liaisons se nouent, des couples se forment. Une cinquantaine de mariages sont célébrés, quelques enfants naissent. Le 25 septembre 1943, le lieutenant Roger Klein pose tout sourire au bras d’Anna, la jeune Hongroise qu’il vient d’épouser, devant une église de Budapest, entre le colonel Hallier et le chef de la section 21. Quelques jours plus tard, Eva Hegedüs, une jeune fille de la bourgeoisie locale, unit son destin à celui d’un sergent français. Une décennie plus tard, elle divorcera et convolera avec un certain Raymond Barre, futur premier ministre (1976-1981).

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Paul Lemaire, lui, était marié quand la guerre l’a emporté loin de chez lui. Il s’est promis de faire venir sa femme, Germaine, en Hongrie, « ce qui paraît à tous et à chacun absolument déraisonnable ». Pourtant, l’amour sera plus fort que la raison… Le 3 mars 1944, sa chère « Maine » foule le quai de la gare de l’Est, à Budapest. Voilà presque quatre ans qu’ils ne se sont pas vus, pas parlé. « Vendeglö ! », lâche Paul, aux anges. Vendeglö signifie restaurant, mais les Français n’en ont cure : ils ont fait de ce mot leur cri de satisfaction. Les copains de Balatonboglar lui envoient un télégramme narquois. « Condoléances. Fini la liberté. »

Terreur et chaos

Le bonheur des Lemaire sera de courte durée. Le 19 mars, les chars allemands envahissent le pays, écrasant les velléités magyares de signer une paix séparée avec les Alliés. Sept mois plus tard, quand Budapest négocie sa reddition avec les Soviétiques, la Wehrmacht renverse l’amiral Horthy et porte au pouvoir les Croix fléchées, suppôt de l’ordre nazi. C’en est fini du « paradis provisoire » des Français. Le pays sombre dans le chaos et la terreur.

A Balatonboglar, les 120 Français encore présents se rongent les sangs en ces temps troublés. Le colonel Hallier et la section 21 remuent ciel et terre pour les mettre au vert, loin des villes et des griffes ennemies. A Nyergesujfalu, par exemple, au bord du Danube, où l’usine textile magyare Viscosa recrute trente ouvriers en avril 1944. Le 1er mai, le camp n’héberge plus que quarante-six hommes, selon les calculs de l’historien Istvan Lagzi (Evadés français en Hongrie, 1940-1945, JatePress, 2017).

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Pour les autres, c’est le sauve-qui-peut. « Tout changea subitement, constate le soldat Boussaguet, secrétaire de rédaction de la Nouvelle revue de Hongrie. Il n’était plus question ni de promenades ni de piscines. (…) Gestapo et Nyilas [les Croix fléchées] arrêtaient à cette époque n’importe qui et n’importe où, sous le motif le plus futile. »

Des Hongrois, paysans, chefs d’entreprise ou religieux, se risquent à cacher ces réfugiés devenus soudain bien encombrants. A Balatonboglar, Martha Gaal, la fille d’un ancien député, en héberge deux, dont un menuisier. Ses protégés sculpteront une statue en bois de sainte Thérèse de Lisieux et la donneront à la ville, en signe de gratitude. A Budapest, l’acteur Samu Balazs offre un asile temporaire, au milieu des accessoires de son théâtre, au futur député gaulliste de la Manche Pierre Godefroy, qui évoquera l’épisode dans un livre (Comme la feuille au vent. Un Normand au pays des Tziganes, J. Susse, 1948). Paul Lemaire a moins de chance. Arrêté le 31 mai 1944, il se morfond en prison pendant trois mois avant d’être renvoyé dans son stalag autrichien. Germaine, elle, se cache dans un couvent de Budapest.

Reconnaissance

Le colonel Hallier se démène pour obtenir la libération de ses hommes, souvent avec succès. Des dizaines d’évadés rejoignent le maquis slovaque. A la légation, un bureau de recrutement clandestin joue les rabatteurs jusqu’à la destruction du bâtiment dans les bombardements de décembre 1944.

La fin de l’histoire, c’est Germaine Lemaire qui l’a racontée à son mari. Quand l’Armée rouge prend Budapest, en février 1945, les Français encore présents sur le territoire – quelques centaines d’hommes – sont rassemblés par les Soviétiques à Tura, un bourg des environs de la capitale hongroise, puis acheminés en train jusqu’à Odessa, en Ukraine, où ils doivent embarquer pour Marseille à bord de navires britanniques. Les épouses magyares sont du voyage. A la hâte, on organise des mariages blancs pour quelques célibataires pressées de quitter le pays. Au pied de la passerelle, pourtant, les choses se gâtent. « Niet », assènent les soldats russes, les Hongroises n’ont pas le droit d’émigrer. Qu’importe. Toutes partiront, quitte à se déguiser en homme, chapka rabattue sur le visage, joues noircies au charbon de bois et pipe à la bouche. Dissimulées dans des malles ou des sacs à dos. L’une d’elles se love au fond du vaste landau de son bébé, sous l’enfant blotti dans sa couverture.

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Après leur retour, les anciens de Balatonboglar créent l’Amicale des prisonniers de guerre évadés, présidée par Paul Lemaire. Ils veulent dire leur reconnaissance aux Magyars, saluer leur générosité, leur bienveillance. Roger Klein écrit au Monde, le 22 septembre 1945. L’auteur d’un article sur la Hongrie, déplore-t-il, a « omis de mentionner à l’actif de ce pays l’excellent accueil » réservé aux fuyards qui y « jouirent d’une liberté à peu près complète ». Les Français ont alors bien d’autres soucis…

Klein, Lemaire et leurs amis livreront un dernier combat, en 1945. Pour adoucir le sort des 16 000 soldats magyars détenus en France et accélérer leur retour dans leur pays, ils remueront ciel et terre, envoyant un mémorandum au général de Gaulle, écrivant aux commandants des camps et lançant une campagne de presse. A Balatonboglar, le mini-musée évoque aussi cette mobilisation française d’après-guerre. Le maire, Miklos Meszaros, s’en félicite. « Même ici, reconnaît-il, la mémoire de cette époque s’efface. »

 


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