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La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

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Source : Médiapart - Ludovic Lamant - 29/05/2022

L’activiste d’origine ivoirienne, débarqué en Italie à l’âge de 19 ans, défend les ouvriers agricoles migrants et dénonce le racisme prégnant dans la classe politique transalpine. De là à basculer dans la politique traditionnelle, en vue des prochaines élections ? Rencontre à Rome.

Rome (Italie).– En quelques années, il s’est imposé comme l’un des anticorps les plus efficaces aux discours d’extrême droite qui prolifèrent sur la scène politique italienne. Sur les réseaux sociaux comme dans les médias traditionnels, Aboubakar Soumahoro, 41 ans, ne cesse de dénoncer les conditions de travail inhumaines de nombre d’ouvriers agricoles, des braccianti, en particulier dans le sud de l’Italie. Au point d’être devenu l’une des figures de la gauche transalpine.

« À chaque fois que l’on se rend au supermarché, que l’on achète de quoi cuisiner un plat de spaghettis, on devrait se demander ce qui a permis de remplir cette boîte de tomates : c’est la production de personnes qui travaillent 13 heures par jour pour 20 euros, et vivent dans des caves », avance Aboubakar Soumahoro dans un entretien à Mediapart accordé dans une brasserie de Rome, à deux pas de la gare de Termini. 

Aboubakar Soumahoro lors d'un rassemblement pour la paix en Ukraine à Rome, le 27 mars 2022. © Photo Valeria Magri / NurPhoto via AFP

Cet Italo-Ivoirien, arrivé en Italie en 1999 à l’âge de 19 ans, vient de publier en français un essai bref, L’Humanité en révolte (éditions Les Étaques). Soumahoro s’est fait connaître du grand public italien en juin 2018 par le biais d’une émission télé où il dénonçait le « racisme culturel » prégnant dans la classe politique, et le bilan désastreux, à ses yeux, de « trente années de lois migratoires racistes ».

À l’époque, Matteo Salvini venait d’être nommé ministre de l’intérieur. Le chef de la Ligue prévenait que « la fête [était] finie » pour les migrants et les exhortait à « préparer [leurs] valises ». Peu après, l’hebdomadaire L’Espresso opposait sur sa une Salvini, alors l’homme fort de l’extrême droite, et Soumahoro, engagé dans un combat contre la « déshumanisation » des migrant·es, interrogeant ses lecteurs et lectrices : « De quel côté es-tu ? »

La une de l'hebdomadaire « L'Espresso » du 17 juin 2018. Soumahoro et Salvini : « De quel côté es-tu ? » © L'Espresso

En 2018, la liste des agressions racistes en Italie ne cessait de s’allonger. Dans la nuit du 2 au 3 juin, la mort de Soumaila Sacko, un Malien de 29 ans, activiste syndical qui défendait les droits des migrant·es travaillant dans l’agriculture en Calabre (dans le Sud, à la pointe de l’Italie), fut un électrochoc pour beaucoup. Il avait été abattu d’un coup de fusil, alors qu’il ramassait des tôles abîmées et du bois dans une usine abandonnée, pour se fabriquer un abri de fortune, avec deux autres ouvriers agricoles, blessés.

En réaction à la mort de son ami, Aboubakar Soumahoro convoque une manifestation le 23 juin 2018 à Reggio de Calabre « pour que la mémoire de Soumaila vive à jamais à travers nos luttes », collecte les fonds pour ramener sa dépouille au Mali et constitue un mouvement, « Vérité et justice pour Soumaila ». Le syndicat pour lequel il travaillait à l’époque, l’USB, se porte partie civile au procès, au terme duquel l’auteur des tirs sera finalement condamné.

Dans son livre, Aboubakar Soumahoro, qui lui-même est passé par la cueillette de tomates dans les Pouilles à son arrivée en Italie, écrit : « La dynamique est toujours la même. D’un côté, le marché a besoin de travailleurs agricoles, une armée de réserve qui effectue les récoltes à bas coût et à des rythmes intenables ; de l’autre, les politiques sécuritaires et la culture “racialisante” privent ces ouvriers de leur identité de travailleurs » – jusqu’à la mort.

À l'intersection des questions de race et de classe sociale, les combats d’Aboubakar Soumahoro ne sont pas sans rappeler ceux du collectif Adama sur les violences policières en France. Il confirme suivre avec attention les dynamiques françaises et imagine des passerelles à l’échelle européenne. Mais il regrette encore la faiblesse des débats, côté italien, sur le legs vicieux de la colonisation : « En Italie, ce débat est à l’intérieur du réfrigérateur, c’est de la glace, il faut le sortir, le mettre en plein soleil. Une jeune génération commence à interroger le passé. Mais nous devons aussi le faire dans une optique internationale. La conférence de Berlin [1884-1885], ce n’est pas seulement la France ou l’Italie, mais un groupe de pays plus nombreux qui décident ensemble de partager l’Afrique comme un gâteau. »  

Une ligue des ouvriers agricoles

Dans son essai, Aboubakar Soumahoro ne s’en prend pas seulement aux droites italiennes en cours de radicalisation, mais aussi à beaucoup de politiques de gauche, au sein du Parti démocrate (PD), qui s’inscrivent dans le « même paradigme de la peur » vis-à-vis des migrant·es et empêchent « la construction de modèles alternatifs qui mettraient l’humain au centre ». Il dénonce aussi « la pensée paternaliste » de certain·es activistes engagé·es en défense des migrant·es.

Syndicaliste chargé des questions agricoles au sein de l’USB pendant près de 20 ans, Aboubakar Soumahoro s’est « mis à son propre compte », pour reprendre la formule du journal Il manifesto, en créant en 2020 la Lega dei braccianti, une ligue des ouvriers agricoles. Il y défend la règle de salaire égal à travail égal, que les ouvriers soient italiens ou sans papiers. Il plaide aussi pour repenser de fond en comble le système du « caporale », cet intermédiaire entre le patron et le travailleur agricole, qui lui prélève une partie de son salaire, et qui maintient souvent l’ouvrier dans une forme de précarité extrême.

Durant la pandémie, Aboubakar Soumahoro a plaidé pour un plan d’aide d’urgence aux travailleurs agricoles, oubliés du débat public. Il avait convoqué, le 21 mai 2020, une grève générale dans les champs d’Italie, appelant aussi la population à ne pas acheter de légumes ce jour-là, en soutien aux travailleurs agricoles migrants.

Lors de l’entretien, Aboubakar Soumahoro, diplômé en sociologie, cite l’intellectuel camerounais Achille Mbembe et sa théorie des politiques de l’inimitié, mais aussi le syndicaliste italien Giuseppe Di Vittorio (1892-1957), l’un de ses modèles en politique. Ce dernier, natif des Pouilles, fils d’ouvriers agricoles, autodidacte, a mêlé antifascisme et défense des droits du prolétariat agricole tout au long de sa vie. L’une des premières actions de la Lega dei braccianti a été d’ouvrir une « Maison des droits et de la dignité » dans les Pouilles, en soutien aux travailleurs agricoles, qui porte le nom de Di Vittorio.

Parallèlement, Aboubakar Soumahoro a mis sur pied, début 2021, une autre structure, un Mouvement des invisibles, censé rassembler des travailleurs et travailleuses précaires et racisé·es, des livreurs ubérisés et des travailleurs des champs, des femmes de ménage – il a suivi la victoire des femmes de chambre de l’Ibis Batignolles – et du personnel des hôpitaux publics, toutes celles et ceux dont le rôle fut décisif pendant la pandémie de Covid. Doté d’un code éthique, de relais locaux, mais aussi d’antennes à Bruxelles ou Londres, ce Mouvement des invisibles a des allures de proto-parti politique

Pour autant, il ajoute qu’« il y aura des surprises » : « Pour parvenir à fédérer, au niveau national, au niveau européen, les personnes asphyxiées par les inégalités, la misère, la crise climatique, et bâtir une société solidaire, je n’exclus rien. » De nombreuses initiatives ont tenté de prospérer depuis des années, à la gauche du Parti démocrate (PD, centre-gauche), avec un succès jusqu’à présent très limité – de Gauche, écologie et liberté (SEL), coalition emmenée par Nichi Vendola, à Europa Verde (le nouveau nom de la Fédération des Verts, associée à Monica Frassoni), en passant par la coalition Libres et égaux (LeU) et la gauche plus mouvementiste de Potere al Popolo.

Soumahoro dit encore : « Je sens le poids des responsabilités sur mes épaules, non pas vis-à-vis de partis ou de mouvements, mais vis-à-vis de personnes exploitées, précaires, discriminées, invisibles. Ce poids n’est pas un fardeau, si l’on parvient à faire que mon “je” soit un “je” collectif. J’aimerais être la synthèse d’une pluralité. Ce n’est pas parce que l’on prend Aboubakar, qu’on le déplace, qu’on le met quelque part sur un siège, que cela changera quoi que ce soit aux réalités sociales. J’en suis très conscient. »

 


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