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La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

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Source : Médiapart - Pierre-Yves Lerayer - 10/06/2022

Avec quelques bénévoles, Victoria Kaario anime chaque semaine deux ateliers de poésie, à destination des personnes migrantes qui souhaitent apprendre le français. Les professionnels de santé affirment qu'en plus de leur objet pratique (l'apprentissage de la langue), ces ateliers parviennent à prouver leur efficacité pour lutter contre la détresse psychologique des populations en exil.

« Pour la lutte qui s'ouvre au seuil des mauvais jours, / Ma mère m'a fait don d'un petit portrait d'elle, / Un gage auquel je suis resté depuis fidèle / Et qu'à mon cou suspend un cordon de velours.[1] »

La lecture est encore balbutiante, mais la prononciation de Nicodème est parfaite. Exilé d'origine congolaise, il est un des bénéficiaires réguliers de l’atelier de poésie animé par Victoria Kaario, autrice et salariée de la Maison de la Poésie, dans le troisième arrondissement de Paris. Ils ne seront que trois, ce jour-là, à se présenter à la rencontre.

L’atelier, soutenu par les fondations Abbé Pierre et La Poste, est une invitation à l’expression écrite et orale à destination des personnes exilées qui souhaitent apprendre le français, et qui pour la plupart sont soignées au Centre Primo Lévi pour des traumatismes psychologiques lourds. « Nous accueillons également du public de l’association Acina, principalement des exilés qui vivent dans des bidonvilles ou dans des habitats précaires, » précise Victoria Kaario, insistant sur la possibilité à toutes les personnes qui le souhaitent de venir y passer un moment, sans condition ni pré-requis. Alors réunis, les bénéficiaires et les bénévoles, encadrés par Victoria, se retrouvent deux fois par semaine pour lire, discuter et écrire ensemble dans la langue de Molière. Si l’animatrice sait que les publics et les vécus sont différents, « tous les profils se complètent très bien », remarque-t-elle. « Le point commun de toutes ces personnes, c’est l’apprentissage du français ».

Mais un autre point commun concerne le statut des bénéficiaires de l’atelier. Réfugiés, exilés, ou encore demandeurs d’asile, tous ont éprouvé un parcours de migration plus ou moins long et périlleux pour arriver en Europe, puis en France et à Paris. Fuir les conflits armés et/ou les persécutions, traverser la violence extrême, ne garder de ses racines que des souvenirs de deuils et de rupture brutale, sont parfois tout ce qui reste aux « déracinés », qu’ils aient réussi ou non à franchir les frontières de leurs propres pays.

D’après un rapport[2] de l’OMS datant de 2016, « plus d’un million de réfugiés et de migrants sont entrés dans la Région européenne en 2015 ». La même année, plus de 3 700 décès ou disparitions de réfugiés et de migrants en mer ont été dénombrés. Face à ces vécus qui peuvent marquer les esprits d’un sceau indélébile, Victoria est bien consciente des enjeux de santé mentale qui habitent les personnes migrantes. « Je crois que rien ne remplace le travail analytique, souffle-t-elle. Mais je suis persuadée, et je le vois, que revenir sur son parcours dans une langue que l’on apprend dans un contexte créatif peut apaiser certaines souffrances. »

Une prévalence de psychotraumatismes chez les populations migrantes

En effet, les populations migrantes sont soumises à une prévalence plus importante de troubles psychologiques. D’après Arnaud Veïsse, directeur général du Comité médical pour les exilés (Comede) et médecin de formation, les troubles psychiques et en particulier les psychotraumatismes sont « le premier problème de santé chez les personnes exilées, par la fréquence et par la gravité. » Parmi les pathologies psychiatriques fréquentes chez les personnes réfugiées, les troubles de stress post-traumatique et de la dépression sont majoritaires.

Cela s’explique d’après la sociologue Estelle d’Halluin par une « surexposition des populations exilées à la violence, dans des parcours migratoires de plus en plus difficiles, longs et périlleux. » Si l’allongement et la précarisation des parcours sont des facteurs de fragilisation pour les migrants, cela s'ajoute au contexte pré-migratoire : guerres, famines, conditions locales génératrices de violences… autant de nouveaux facteurs qui impactent plus durablement les réfugiés et leur santé mentale.

Si bien qu’entre 2008 et 2017, les études menées par le Comede lors des bilans de santé ont révélé que 35% des personnes recueillies présentaient des troubles psychiques. Parmi ces cas, on observait une majorité de stress post-traumatique (68%), suivis par les syndromes dépressifs (22%) et anxieux (8%)[3]. Mais le vécu avant et/ou pendant la migration n’est pas le seul facteur menant à des psychotraumatismes. La qualité de l’accueil des pays européens, dits « hôtes », ainsi que les difficultés croissantes d’accès aux soins sont autant de facteurs aggravants sur la santé mentale.

Une politique d’accueil sous forme de « compassion à géométrie variable »

Aujourd’hui, la Région européenne de l’OMS accueille 36 % de la population mondiale de migrants internationaux[4]. Pourtant « le milieu soignant et associatif n’est pas entendu, » déplore Arnaud Veïsse, qui dénonce notamment « la réforme catastrophique de novembre 2019 pour l’accès aux soins des étrangers ». À l'époque, le gouvernement français entendait en effet « lutter de façon volontaire et visible » contre le « tourisme médical », c’est-à-dire les supposés abus de la part des immigrants pour bénéficier de la protection sociale. Depuis, les tours de vis progressifs pour limiter l’accès aux soins des étrangers représentent, aux yeux du médecin, une « progressive dégradation des droits humains et des conséquences sur la santé ».

Cette politique d’accueil et ce constat sont d’autant plus marqués chez les personnes non-européennes qui arrivent sur le continent lors de leur exil. Entre autres exemples, « le camp de Mória, en Grèce, est emblématique de la situation à l’entrée du continent » se souvient Estelle d’Halluin. « Les personnes filtrées, sélectionnées selon leurs profils dans des camps surpeuplés aux conditions de vie dégradées et productrices de violences » révèlent aux yeux de la sociologue une politique d’accueil « se basant sur un phénomène de compassion à géométrie variable ». Ces orientations politiques favorisent en effet une sélection d’accueil basée sur des éléments subjectifs en proie à des élans compassionnels aléatoires. « Les Syriens ne sont par exemple pas accueillis de la même manière que les Ukrainiens », déplore la sociologue. D’après elle, « une telle politique d’accueil est le terreau d’une “violence structurelle". Traduite dans l’expérience de la précarité, de l’injustice et de l’intolérance, une telle violence ne fait que renforcer la vulnérabilité physique et psychique des demandeurs d’asile. »

Réévaluer l’estime de soi grâce à la poésie

Par ailleurs, « être discriminé, exclu ou ostracisé du fait de ses appartenances et son identité affecte profondément la santé mentale », comme le rappellent[5] les chercheurs Alessandro Mazzola et Antoine Roblain. Ainsi, une des clés importantes pour les troubles psychologiques serait de « maintenir une estime de soi positive », soulignant que « l’équilibre psychosocial passe souvent par la prise de distance par rapport à la société discriminante et le repli vers d’autres groupes plus soutenants ».

Dans cette optique, la charte d’Ottawa de 1986 précise les conditions sous lesquelles la santé des populations peut être améliorée. Le document soulignait déjà l’importance de ces « groupes soutenants », notamment par des activités créatives pour promouvoir la santé des personnes fragilisées. D’ailleurs, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) elle-même préconise[6] le recours à l’intégration sociale pour favoriser une meilleure santé mentale. Cette intégration sociale est une étape cruciale vers la confiance en soi, qui puise elle-même son origine dans le concept de reconnaissance, indiquent les deux chercheurs : « chaque individu est mu par le besoin que son environnement social et la société, dans laquelle il ou elle vit, valorisent ses identités et lui accordent une place comme sujet de droit. »

Cette valorisation sociale est précisément ce sur quoi mise Victoria Kaario par le biais des ateliers poétiques qu’elle anime en compagnie des bénévoles. « Les personnes sont souvent stigmatisées au quotidien, » analyse Charlotte, l’une des volontaires. « Leur confier une feuille et un stylo en leur montrant que c’est leur moment, c’est donc très valorisant pour elles. » Cette réévaluation de l’estime de soi par la discussion d’égal à égal facilite ainsi l’expression et l’échange, puisqu’ « il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse dans le cadre de ces ateliers », rappelle l’animatrice.

Libérer une autre facette de soi-même

S’extraire ainsi d’un cadre médical ou administratif joue un certain rôle dans l'intégration dans un environnement social des personnes souffrant de psychopathologies. « On fait de l’art-thérapie linguistique », assure Victoria, qui estime que « l’expression de soi et l’évocation de son propre passé dans une langue étrangère peut avoir un grand pouvoir libérateur sur les personnes concernées ». Pour Charlotte, « le fait d’être en contact direct avec une vraie autrice permet de faciliter l’accès à la littérature » et ainsi de légitimer les participants à s’exprimer d’une nouvelle manière. Manon, une autre volontaire, l’a encore constaté lorsqu’elle a accompagné Bibiane, exilée congolaise, dans son dernier exercice de rédaction : « c’était difficile de lui faire écrire le premier texte. Mais elle s’est chargée du second elle-même, sans s’arrêter et sans avoir besoin de moi. Les personnes arrivent petit à petit à prendre cette liberté et à être créatives en sachant qu'elles ne seront pas jugées ».

Les volontaires savent bien favoriser cette atmosphère de confiance qui permet à tout un chacun de se sentir l’égal des autres, permettant aux bénéficiaires de l’atelier de dévoiler parfois une autre facette de leur personnalité. « Certaines personnes étaient très joueuses lors des ateliers », se souvient l’autrice. « Mais quand je le racontais aux médecins du Centre Primo Lévi, ils pensaient que je parlais d’autres personnes, tellement leur comportement semblait différent ». Mais l’écoute attentive reste au cœur des échanges et des enjeux. « Se savoir écouté aide à s’exprimer », remarque Manon. Un atout de taille pour aborder plus sereinement le point d’orgue de cette relation solide : la restitution, deux fois par an dans la salle de spectacle de la Maison de la Poésie, des textes rédigés au cours de l’année.

Une expérience clinique encourageante

Les difficultés pour étudier les effets de l’art-thérapie linguistique sur la santé mentale du fait du caractère multifactoriel des psychopathologies et de leurs soins ne permettent pas d’établir d’études quantitatives sur la validité scientifique de l’approche. Cependant, comme le rappelle le médecin Arnaud Veïsse, l’efficacité de ce genre d’initiatives se mesure par les nombreuses expériences menées ces dernières années. Au vu de ces observations, « l’amélioration de la santé mentale des personnes concernées est très nette », avance-t-il.

En effet, tous les retours sur ces rencontres semblent positifs. Victoria Kaario le constate bien, quand de fidèles bénéficiaires des ateliers n’hésitent pas à revenir régulièrement, même plusieurs années après leur première séance. Abel, venu d'Ethiopie, assiste aux ateliers depuis maintenant trois ans. Cerise sur le gâteau, son sourire préfigure sans détour la fierté qu’il éprouve à l’évocation du roman qu’il est parvenu à rédiger et à faire éditer récemment. Pour Abel, Bibiana, Nicodème et pour les autres, un suivi régulier est effectué avec les praticiens du Centre Primo Lévi au sujet de l’apport psychologique de ces ateliers de poésie. Si certains décident de ne pas continuer l’expérience, la tendance générale reste tout de même positive. « C’est un rituel social qui fait du bien », glisse Mattéo, un autre bénévole qui intervient à la Maison de la Poésie.

Pour Arnaud Veïsse, l’ensemble de ces observations porte le signe plutôt évident de l’intérêt des ateliers de groupe sur la santé mentale des réfugiés, sans en occulter pour autant l’importance des prises en charge individuelles et médicales. Pour lui c’est très clair, « ce sont des activités très utiles pour la santé mentale des personnes réfugiées ».

Un plan d’action à mener à l’échelle européenne

Si ce genre d’initiative est prometteur pour la santé mentale des réfugiés, son développement est encore embryonnaire. Les professionnels de santé déplorent un manque d’implication des politiques publiques, tandis que les volontaires regrettent le manque de visibilité sur les ateliers d’art-thérapie linguistique. S’ajoutent à cela la crainte du jugement par les potentiels bénéficiaires, la barrière de la langue à apprendre ou encore la sélection de certains autres groupes d’expression artistique, comme l’Atelier des artistes en exil dont ne peuvent bénéficier que les artistes déclarés, par exemple.

Par ailleurs, la thérapie par l’apprentissage de la langue d’accueil et par son expression s’effectue sur le temps long. Pour cette raison, le Bureau régional de l'OMS pour l'Europe mène des travaux à l’échelle du continent afin d’accompagner ses 53 États membres dans l’accueil des populations réfugiées. Dans son guide technique sur la promotion de la santé mentale des réfugiés, huit domaines d'action prioritaires sont communiqués aux décideurs politiques, parmi lesquels, entre autres : « promouvoir la santé mentale par l'intégration sociale ; mettre à disposition des services d'interprétariat et/ou de médiation culturelle ; veiller à ce que le personnel de santé mentale soit formé pour travailler avec les migrants, etc.[7] »

Une aubaine pour les initiatives comme celle de l’atelier de poésie. Malgré les écueils auxquels elle se frotte, un potentiel d’essaimage plus important à l’échelle du continent est donc envisageable. Les 17 et 18 mars 2022, alors que la Stratégie et le plan d’action sur la santé des réfugiés et des migrants dans la Région européenne de l’OMS (2016-2022) arrivait à échéance, les représentants des 53 Etats membres de la Région européenne de l’OMS se sont réunis afin de « relever les défis que la migration pose à la santé publique et aux systèmes de santé », et « définir conjointement la vision de la santé des réfugiés et des migrants dans les années à venir ». Pour le docteur Hans Henri P. Kluge, directeur régional de l’OMS pour l’Europe, « il est temps de changer de discours sur la santé des réfugiés et des migrants, notamment en reconnaissant l’important apport des migrants pour nos sociétés. Il reste encore beaucoup à faire. »

 



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