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Source : Médiapart - Nejma Brahim - 16/06/2022

Plusieurs familles ayant fui la guerre ont reçu, fin avril, une décision de la préfecture de Seine-Maritime leur indiquant que la protection temporaire ne leur était pas accordée, alors qu’elles avaient un titre de séjour permanent en Ukraine. Le tribunal a suspendu ces décisions.

Il y a déjà eu les nombreux cas d’étudiant·es, souvent originaires d’Afrique du Nord ou d’Afrique subsaharienne, qui ont fui la guerre en Ukraine mais que la France a refusé de protéger. Au lieu de cela, des obligations de quitter le territoire français (OQTF) leur ont été délivrées à tout-va au cours des derniers mois et, aux dernières nouvelles, ces étudiants avaient jusqu’à fin mai pour quitter la France et retourner dans leur pays d’origine, sans discussion possible.

Aujourd’hui, c’est un tout autre cas de figure qui se présente à la justice française : des personnes exilées venues d’Ukraine mais de nationalité arménienne se sont vu refuser leur demande protection temporaire en Seine-Maritime, au prétexte qu’elles auraient la possibilité de rentrer dans leur pays d’origine et d’y vivre de « manière sûre et durable ». Un pays quitté il y a des dizaines d’années...

« Ce sont des personnes qui ont fui l’Arménie dans les années 90 et qui n’ont plus personne là-bas. Elles ont entre 17 et 32 ans de présence en Ukraine », s’indigne leur avocate, MSolenn Leprince, qui pointe un « défaut d’examen ». Lundi 13 juin, le tribunal administratif de Rouen a suspendu les décisions de la préfecture, estimant que cette dernière avait commis une « erreur de droit » en ne procédant pas à un examen personnalisé de la situation des requérants.

Lusine, Tatul, Hripsime et Hermine, d'origine arménienne, ont fui l'Ukraine mais n'ont pas obtenu de protection en France. © Nejma Brahim / Mediapart

Il évoque « un doute sérieux quant à la légalité de la décision » rendue et enjoint à la préfecture de réexaminer leur demande sous trois semaines et de leur délivrer, le temps de la procédure, une autorisation provisoire de séjour. « Il y a une volonté claire de la préfecture de ne prendre aucun [exilé] non ukrainien. Il n’y a aucune motivation sérieuse dans leur décision : on les refuse par principe », poursuit l’avocate.

Si elle est aussi catégorique, c’est parce que trois des quatre familles concernées détenaient un titre de séjour permanent en Ukraine et rentrent donc dans les critères pour l’obtention de la protection temporaire. La quatrième famille enchaînait quant à elle les titres de séjour d’une durée d’un an, mais vivait sur le territoire ukrainien depuis… 17 ans.

Sans doute les premiers cas en France

« Il y a une application inégale des dispositifs européens et une interprétation malsaine du droit en Seine-Maritime. Dans d’autres départements, des réfugiés arméniens venus d’Ukraine ont obtenu la protection temporaire sans problème, cette situation est donc vraiment injuste », développe une bénévole du collectif « Solidarité Déville-les-Rouen », qui vient en aide aux réfugié·es d’Ukraine dans la région rouennaise depuis le début du conflit.

Pour Lusine, 48 ans, et sa fille Hripsime, 24 ans, qui n’avaient pas de titre permanent, la décision de la préfecture a eu pour effet de mettre fin à la prise en charge dont elles bénéficiaient depuis leur arrivée en France, les contraignant à quitter l’hôtel où elles étaient hébergées du jour au lendemain.

« Je les ai récupérées dans un état d’épuisement à la gare avec leur valise. Elles se sont retrouvées à la rue, jusqu’à ce que des particuliers proposent de les héberger, chacun pour quelques jours. Elles sont déjà traumatisées des choses terribles qu’elles ont vécues en Ukraine, et aujourd’hui, on leur dit qu’elles doivent repartir dans un pays, l’Arménie, qui n’est plus le leur », poursuit la bénévole.

Hripsime et sa mère Lusine, devant l'hôtel où elles sont hébergées à Rouen en attendant une nouvelle décision de la préfecture. © Nejma Brahim / Mediapart

Faute de titre permanent, MLeprince a avancé d’autres arguments auprès du tribunal administratif : ne pas leur accorder la protection temporaire, étant donné leur situation et leur longue présence en Ukraine, serait « contraire au principe d’égalité ».

« Cette situation nous inquiète tellement que j’ai l’impression que je dois confronter la guerre à nouveau », confie Lusine lorsque nous la rencontrons à Rouen le 13 juin. « On a vécu les mêmes émotions et le même drame que les Ukrainiens, enchaîne à ses côtés Hripsime, qui a étudié à l’académie de chant et de cirque de Kyiv (Kiev), et qui est depuis chanteuse. La seule différence, ce sont nos passeports. »

La famille a fui l’Arménie en 1998, d’abord pour se réfugier en Russie, puis en Ukraine en 2005. Hripsime avait pour habitude de chanter avec son père, décédé il y a cinq ans, auprès des orphelins ukrainiens de manière bénévole. En quittant l’Ukraine début mars, elle et sa mère ont pris le premier bus qui se présentait à elles à Varsovie, en direction de la France.

Hermine et son fils Tatul, qui ont eux aussi fui la guerre en Arménie en 1990 pour se réfugier en Ukraine, décrivent le même sentiment « affreux » de devoir s’exiler de nouveau. « Tatul est arrivé à l’âge de deux ans, il a grandi là-bas et a même un enfant ukrainien. Il ne connaît que ce pays. Il est ukrainien, nous sommes ukrainiens », clame Hermine, dont l’autre fils est encore à Dnipro, avec sa femme (ukrainienne) et leur fille, mais ne parvient pas à évacuer la ville.

Diplômé en agronomie, Tatul travaillait depuis la fin de ses études dans le restaurant familial. Il ne s’attendait pas à être « rejeté » ainsi par la France. « Je pensais que l’on serait accueillis normalement, que l’on aurait une autorisation de travail, et que l’on repartirait en Ukraine dès que la situation le permettrait », souffle celui qui a déjà une promesse d’embauche dans le secteur (sous tension) de la restauration à Rouen.

Hermine et son fils Tatul, deux exilés arméniens, ont vécu en Ukraine 32 ans avant de devoir fuir le pays en 2022. © Nejma Brahim / Mediapart

Et Lusine d’ajouter, en prenant soin de remercier la bénévole et son avocate : « Avec cette décision, on a pensé que si la préfecture nous rejetait, tout le monde en France le ferait aussi. C’est réconfortant de savoir que vous êtes là pour nous aider. »

Une troisième famille, composée de trois personnes, fait face quant à elle à une situation ubuesque : Khdr et son fils se sont vu refuser la protection temporaire tandis que la mère de famille a obtenu l’autorisation provisoire de séjour pour une durée de six mois. « On a vécu 30 ans en Ukraine. J’y ai monté mon entreprise de transport de personnes et mon fils a presque fini ses études de médecine, spécialité chirurgie », relate-t-il.

« On a le sentiment que la préfecture a survolé les dossiers. Pour certains, il a été dit que le requérant n’avait pas de titre permanent en Ukraine pour justifier le refus alors que c’était bien le cas. Pour la famille de Khdr, on ne comprend pas cette différence de traitement entre les trois personnes », énumère MLeprince. La prochaine étape sera la décision du tribunal administratif, qui doit encore se prononcer sur le fond.

Contactée, la préfecture de Seine-Maritime n’a pas répondu à nos questions à l’heure où nous publions cet article.

Une logique « choquante » et « humiliante »

En région parisienne (Essonne), un autre exilé non ukrainien rencontre les mêmes difficultés : Delphin, un Congolais âgé de 30 ans, installé en Ukraine depuis 2012, n’a pas obtenu la protection temporaire au motif qu’il ne détenait pas de titre de séjour permanent en Ukraine.

« J’ai lancé ma demande de titre par mariage en 2021 et le document, qui était prêt à être retiré en février, ne m’a finalement jamais été remis à cause de l’invasion russe », explique-t-il, soulignant avoir détaillé sa situation à la préfecture et reconnaissant avoir pour seul document en sa possession un titre de séjour temporaire, périmé en mars.

« Je leur ai expliqué tout cela mais ils sont restés campés sur leur position. Je trouve cela choquant et humiliant. C’est tellement injuste de ne pas être traité de la même manière que les autres réfugiés venus d’Ukraine en France. »

Contactée, la préfecture de l’Essonne nous indique que Delphin « ne remplissait pas les conditions pour bénéficier de la protection temporaire ». « Il ne disposait pas d’un titre de séjour permanent délivré par l’Ukraine et n’a pu présenter qu’un titre temporaire, périmé ; et il ne pouvait être considéré comme conjoint d’une personne bénéficiant de la protection temporaire, son épouse résidant encore en Ukraine. »

Arrivé en Ukraine avec un visa étudiant, Delphin avait déjà quitté le Congo pour se mettre à l’abri. « J’étais étudiant et pro-démocratie, j’ai été menacé de mort à plusieurs reprises. » En Ukraine, il obtient un diplôme en économie des entreprises, puis se porte volontaire dans le Donbass, dès 2014, pour venir en aide à cette région où les pro-Russes font rage.

J’ai choisi de venir en France en pensant qu’il y avait une vraie politique d’accueil, pour tout le monde.
Delphin, exilé congolais

« J’ai ensuite travaillé dans l’agriculture et l’élevage dans le Donbass, puis j’ai ouvert un petit restaurant », poursuit-il, précisant s’être marié à une Ukrainienne et avoir acheté une maison à Donetsk en 2021.

C’est le maire de son village qui, dès le début du conflit en février dernier, l’invite à fuir dès que possible : « Mon nom figurait sur une liste établie par des pro-Russes, j’étais de nouveau menacé. Ma femme a dû rester pour s’occuper de sa mère, malade, et de son frère, handicapé. »

Delphin quitte l’Ukraine et les bombardements qui frappent sa région le 28 février. Il dit avoir marché quatre jours pour rejoindre Lviv, dans l’ouest du pays, puis avoir rejoint la Pologne.

« J’ai choisi de venir en France en pensant qu’il y avait une vraie politique d’accueil, pour tout le monde. Je suis arrivé dans l’est de la France le 14 mars, un contact m’a ensuite orienté vers Évry et m’a suggéré de lancer une demande de protection temporaire auprès de la préfecture. J’avais tous les documents liés à mon union et à l’achat de ma maison en Ukraine, mais ça n’a pas marché. On m’a dit que ma femme aurait dû être là avec moi… »

Delphin espérait pouvoir travailler, grâce à l’autorisation provisoire de séjour délivrée au titre de la protection temporaire, afin d’aider sa femme et leur famille restées dans le Donbass. Il vit depuis à la rue, à Rouen, sans aucune solution d’hébergement, le 115 étant aux abonnés absents, et sans la possibilité de travailler.

« J’ai pensé qu’il valait peut-être mieux rentrer en Ukraine au risque de me faire tuer plutôt que de rester ici dans ces conditions, admet-il, dépité. Mais on m’a convaincu de faire un recours en justice. » Il a aussi, en parallèle, déposé une demande d’asile en procédure normale, en lien avec les menaces subies dans son pays d’origine.

 


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