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Fermez les Centres de Rétention !

La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

Solidarite avec Mimmo Lucano

Source : charlie hebdo - Laure Daussy - 15/06/2022

En France, nombre de migrants vivent sous la menace d'une expulsion, sans que celle-ci soit jamais effective, ni qu'ils soient régularisés. C'est cette absurde situation que pointe Stefan Le Courant, anthropologue, chargé de recherche au CNRS, dans Vivre sous la menace (éd. Seuil). Il a passé dix ans auprès d'une quarantaine de sans-papiers et raconte leur vie hantée par la peur de l'arrestation ou de la dénonciation.

Charlie Hebdo : Comment en êtes-vous arrivé à travailler sur ce sujet ?

Stefan Le Courant : J’ai été bénévole pour La Cimade [­Comité inter-mouvements auprès des évacués, ndlr], pour réaliser des comptes rendus d’observation d’audience, puis pour intervenir en local de rétention. Mon engagement associatif et mon sujet de recherche sont intimement liés.

Stefan Le Courant : J’ai été bénévole pour La Cimade [­Comité inter-mouvements auprès des évacués, ndlr], pour réaliser des comptes rendus d’observation d’audience, puis pour intervenir en local de rétention. Mon engagement associatif et mon sujet de recherche sont intimement liés. J’intervenais au local de rétention administrative de Choisy-le-Roi, dans le Val-de-Marne, un ancien commissariat transformé en lieu d’enfermement. Ce sont des locaux dans lesquels la rétention ne doit pas dépasser quarante-huit heures. Les sans-papiers devaient donc être transférés au centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot, en Seine-et-Marne, mais le centre étant plein, le juge décidait du prolongement de la rétention tout en ordonnant la libération en raison du manque de places. Une mise en scène ubuesque ! J’ai découvert cette réalité, et il se trouve qu’au même moment je cherchais un sujet de recherche en tant qu’anthropologue, alors j’ai poursuivi l’enquête. Ces logiques apparemment absurdes et la vie des sans-papiers sous la menace de l’expulsion sont devenues les questions centrales de ma réflexion.

On découvre dans votre livre, effectivement, cette absurdité : les sans-papiers sont enfermés dans un entre-deux, ni expulsés ni régularisés… Pourquoi cette situation ?

Il y a une sorte d’entonnoir pour aboutir aux expulsions : pour 400 000 à 500 000 sans-papiers en France, on compte chaque année 120 000 mesures d’éloignement, 100 000 arrestations, 40 000 placements en rétention (dont plus de la moitié dans le seul CRA de Mayotte). Et au final, un peu moins d’une personne sur deux qui est enfermée est expulsée. La raison principale, c’est que certains pays d’origine ne délivrent pas de laissez-passer consulaire. Pour certains pays, l’argent qu’envoient les ressortissants à l’étranger dépasse le montant de l’aide internationale, le pays n’a donc pas intérêt à accepter leur retour. Or, en l’absence de passeport ou de titre de voyage, on ne peut pas expulser. Les sans-papiers savent d’ailleurs qu’il ne faut pas se promener avec leur passeport afin de ne pas être expulsables. Parfois, une personne arrêtée par la police est rapidement relâchée. Cela peut s’expliquer par la politique du chiffre : en cas de pénurie de places d’enfermement, l’administration préfère se concentrer sur les nationalités qu’elle sait plus facilement expulsables, les ressortissants des pays les plus « coopératifs ».

Vous racontez l’histoire de Souleymane. On a l’impression qu’il fait face à l’arbitraire le plus total…

C’est une cible type : il est originaire du Mali, travaille dans le bâtiment, habite dans un foyer en région parisienne. Il a été arrêté une dizaine de fois en dix ans, sans jamais être expulsé. Il n’a pas été régularisé alors que deux de ses collègues de la même entreprise l’ont été. Il finit par se poser la question : « Pourquoi on m’arrête aussi souvent ? » Il pense qu’on le cherche depuis qu’il effectue des démarches de régularisation, depuis qu’il a déposé son dossier à la préfecture. Les migrants essayent de donner un sens à cette politique qui semble ne pas en avoir.

Que produit cette situation sur leur vie ?

Derrière l’absurdité, il y a une forme de contrôle des populations, qui sont soumises à la précarité et à l’incertitude. Les migrants n’arrivent pas à comprendre la logique de l’État. Certains disent parfois : « Soit vous m’expulsez, soit vous me régularisez, mais ne me laissez pas ressortir en étant encore sans papiers. » Ils sont enfermés dans un présent continu, il leur est impossible de savoir quand la vie « légale » va pouvoir commencer. Ils vivent aussi un enfermement spatial : cette situation les empêche de retourner dans leur pays d’origine, de faire des allers-retours. Quand ils vont à la préfecture, ils doivent bien calculer leurs chances. Car systématiquement, en cas de refus d’autorisation de séjour, ils reçoivent une OQTF (obligation de quitter le territoire français). Celle-ci est valable un an, et pendant ce temps, aucune démarche n’est possible. Se met alors en place un quotidien de danger omniprésent, fait de stratégies pour éviter de croiser les policiers.

Cette situation les maintient dans une grande fragilité, y compris dans le travail…

Un employeur n’a théoriquement pas le droit d’embaucher des sans-papiers, mais certains vont en profiter. Selon des analyses, ces sans-papiers permettent de mettre à disposition du marché une main-d’oeuvre docile et exploitable. Pour garder leur place, des migrants se mettent en danger. Je donne l’exemple de l’un d’entre eux qui pensait qu’il avait été déclaré par son patron, mais quand il lui a demandé, il lui a répondu : « Je ne t’ai jamais déclaré, je n’ai jamais cru que tu avais des papiers, car ta manière de travailler montrait que tu étais sans papiers, tu en faisais plus que les autres. » Un jour, il a été gravement blessé, mais quelques jours après son opération, il a voulu retourner au travail par peur que quelqu’un ne prenne sa place sur le chantier.

Comment un sans-papiers peut-il être régularisé, selon la loi ? Cela paraît tellement aléatoire !

Les deux voies principales sont la carte de séjour salarié dépendant de la possibilité de montrer une insertion dans l’emploi et une promesse d’embauche, et la carte vie privée et familiale. Mais quelle que soit la voie, il faut être en mesure d’apporter les preuves de son séjour en France, parfois jusqu’à dix ans. Et dans cette logique, une mesure d’éloignement peut devenir une preuve de présence en France ! Mais quand j’ai demandé à des sans-papiers comment il fallait faire pour être régularisé, j’ai réalisé qu’ils avaient une perception tout autre que le cadre de la loi. Ils voyaient ça comme une suite d’épreuves à passer et non pas un droit encadré. Ils me disaient : « Tu as un premier guichet, il ne faut pas se tromper dans la réponse, puis un deuxième guichet, etc. » Il y a une volonté de faire endurer des conditions très difficiles pour dissuader d’autres migrants de venir, de mettre en scène la rigueur de l’État, sauf que ça ne fonctionne pas.

Certains regrettent-ils d’être venus, au vu de ce qu’ils vivent au quotidien ?

Tous me l’ont confié, mais aucun n’est reparti. Plus les politiques sont restrictives, plus elles empêchent les personnes de faire des allers-retours. Pour beaucoup, cela fait déjà trois ou quatre ans qu’ils sont partis de chez eux, ils ont perdu beaucoup de temps et d’argent, et on leur demande de repartir ? Mais pour revenir dans leur pays d’origine, il leur faut justifier leur absence, ils doivent montrer qu’ils ont réussi. Beaucoup disent qu’il faut décourager les jeunes de venir en France, pour leur épargner les souffrances qu’ils ont connues. Mais rendre ces migrants responsables des désirs de départ permet surtout de détourner les regards des raisons structurelles (absence de perspectives d’avenir, pauvreté, etc.) qui poussent sur les routes migratoires.

C’est-à-dire ? Quelles seraient les solutions ?

Un régime plus souple de la politique migratoire serait sans doute bénéfique aux pays d’accueil et de départ. L’accueil des Ukrainiens montre qu’une autre politique est envisageable. Leur arrivée n’est pas considérée comme un « problème ». Il faut repenser le régime frontalier à l’échelle internationale. Être le plus inhospitalier possible pour réorienter l’immigration vers d’autres pays est délétère pour les personnes en migration et ne fonctionne pas. ●

 


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