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Source : Médiapart - Nejma Brahim - 29/07/2022

D’origine camerounaise, la jeune femme n’est reconnue ni comme camerounaise, ni comme française. Elle a presque toujours vécu en France, mais elle est empêtrée depuis vingt-quatre ans dans un imbroglio administratif l’empêchant d’obtenir la nationalité française, dont disposent pourtant ses deux parents.

Lorsque nous la rencontrons, fin juin à Bordeaux, Charlène Cazenave ne cache pas son désarroi face à la situation kafkaïenne qu’elle vit. « Les gens vont encore penser qu’il s’agit d’une personne sans papiers qui demande à être régularisée », anticipe-t-elle, sans pour autant hiérarchiser les niveaux de détresse que peuvent connaître les étrangers face à l’administration en France.

Si Charlène ne dispose pas de documents d’identité, elle est aussi, fait plus rare, confrontée à une situation semblable à l’apatridie : elle n’a pas de nationalité, ni en France ni au Cameroun, son pays d’origine où elle n’a que très peu vécu. « Depuis vingt-quatre ans, je suis comme un fantôme en France. C’est comme si je n’existais pas aux yeux de l’administration », constate-t-elle avant d’extirper de son sac l’épais dossier qui résume son calvaire.

Tout commence lorsque sa mère, qui épouse son père adoptif en 1995 et rejoint la France via une procédure de regroupement familial, décide de lancer des démarches pour obtenir des papiers à ses enfants. « Elle nous a d’abord laissés à des proches au Cameroun pour partir seule en France. Elle m’a ensuite récupérée en 1998, alors que j’avais 5 ans, puis mes deux frères un an plus tard. »

Charlène Cazenave vit en France depuis l'âge de cinq ans sans avoir aucune nationalité. © Nejma Brahim / Mediapart.

Très vite, son père adoptif tente de convaincre sa mère de faire les démarches pour leur obtenir leur propre passeport. « Ma mère est du genre nonchalant, elle disait toujours qu’il y avait “le temps” pour ça. » Mais lorsqu’elle se décide, en 2002, la mère de Charlène missionne une proche, basée au Cameroun, « au lieu de se déplacer elle-même » pour obtenir les actes de naissance de ses enfants, nécessaires à la procédure.

« Mais l’acte fourni était un faux et il comprenait des erreurs », indique Charlène. Contactée, Marcelline Cazenave confirme, et assure qu’elle était « perdue » au moment des faits : « En quittant le Cameroun, je n’ai pas pensé à prendre leurs actes de naissance. J’ai demandé à ma nièce, au pays, d’aller à la mairie de leur ville de naissance pour les récupérer. Elle me parlait de copies, je lui disais qu’il fallait des actes authentiques. Ma nièce a fait ses propres démarches, c’est comme ça qu’on s’est retrouvés avec des faux. Il y a eu une incompréhension et tout est parti de là. »

« Lorsque les autorités françaises s’en sont rendu compte, elles ont réclamé un nouvel acte de naissance, et ma mère a refait exactement la même chose », poursuit la jeune femme.  Entre-temps, la ville de Bayonne, où est établie la famille, reconnaît le premier acte (pourtant faux), puis le rectifie en 2007 sur la base d’un second acte (faux lui aussi), également transmis par un contact basé au Cameroun, qui n’a pas non plus pris la peine d’aller en mairie.

C’est ce qui vaut aujourd’hui à Charlène d’être accusée de fraude par la procureure de la République de Bordeaux. « Au fond, je lui en veux, confie Charlène à propos de sa mère, avec qui elle a rompu les liens. J’ai 29 ans et elle a bousillé ma vie. »

Alors que les enfants sont encore mineurs, sa mère « lâche prise » et laisse la fratrie « se battre seule », assure la jeune femme. Son père est décédé en 2003. Ce n’est qu’en 2011, grâce à l’aide d’une éducatrice de l’Aide sociale à l’enfance, que les enfants parviennent à obtenir leur véritable acte de naissance.

Un acte de naissance authentique qui ne suffit pas aux yeux du parquet

Mais à ce stade, pour qu’ils soient reconnus français, il manque encore deux documents : l’acte de reconnaissance signé par leur père adoptif, lui-même de nationalité française, et un certificat de nationalité française.

« Mais l’acte de reconnaissance avait été fait sur la base des deux premiers actes de naissance. Il a donc fallu le faire rectifier », explique Charlène, qui parvient à le faire corriger une première fois en 2007 par le procureur de la République de Bayonne, puis en 2017 par le tribunal de grande instance de Bayonne.

Alors qu’elle et ses frères pensent être tirés d’affaire, un nouvel élément vient perturber leurs démarches. Le tribunal d’instance de Bordeaux, où s’est installée Charlène à l’âge adulte, refuse leur demande de certificat de nationalité française le 26 juillet 2017, au motif qu’une première demande avait été refusée en 2015 à Bayonne à cause des faux actes de naissance présentés en premier lieu.

« Ils n’ont simplement pas pris en compte le nouvel acte de reconnaissance, rectifié en 2017 », commente Charlène, qui décide alors de faire appel à une avocate. Lorsque celle-ci accepte de défendre son cas, constatant une situation « inédite », elle promet que la situation sera « réglée en six mois ».

En 2019, le tribunal demande que l’acte de naissance de Charlène soit de nouveau authentifié. Ce dernier aurait, logiquement, dû l’être auprès de l’ambassade de France au Cameroun. « Mais la procureure a en fait écrit au ministre de la justice camerounais pour demander l’authentification, ce qui est tout à fait inhabituel. Nous sommes restées un an sans nouvelles », dit Malika Peyraut, coordinatrice de l’association bayonnaise Alda, contactée par la jeune femme « car elle se sentait seule et démunie face à la machinerie de l’administration française ».

En refusant de statuer sur son cas, la France la condamne de fait à une situation d’apatridie, bien qu’elle ne revendique pas ce statut.
Malika Peyraut, coordinatrice de l’association Alda

L’organisation, créée en octobre 2020 pour la défense des habitants de quartiers et milieux populaires à Bayonne, agit le plus souvent sur des problématiques liées au logement ou aux demandes de naturalisation. Elle a lancé une mobilisation pour venir en aide à Charlène et organisé, dès juillet 2021, une série de rassemblements pour interpeller les autorités sur son cas.

« Charlène a droit à la nationalité française mais se trouve dans un vide juridique, privée de ses droits fondamentaux. En refusant de statuer sur son cas, la France la condamne de fait à une situation d’apatridie, bien qu’elle ne revendique pas ce statut », poursuit la bénévole.

Car l’apatridie relève d’un statut juridique, que seul l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) peut reconnaître après examen de la situation du requérant. Mais « toutes les personnes qui n’ont pas de nationalité ne sont pas enregistrées en tant qu’apatrides dans le monde, bien que le statut garantisse des droits », signale Céline Schmitt, porte-parole du Haut Commissariat pour les réfugiés à Paris.

« L’apatridie a différentes causes. Une personne peut être apatride dès la naissance, parce que ses parents étaient eux-mêmes apatrides, du fait de discriminations, ou ne pouvaient pas transmettre leur nationalité, ou du fait de l’absence d’enregistrement des naissances, poursuit-elle. D’autres personnes le deviennent au cours de la vie, du fait de situations administratives extrêmement complexes ou de changements de frontières. » Si quatre millions d’apatrides sont enregistrés à travers le monde, leur nombre réel pourrait être « bien plus élevé ».

Charlène Cazenave répond aux conditions de la loi de nationalité camerounaise pour se voir reconnaître celle-ci.
Frédérique Porterie, procureure de la République de Bordeaux

« On est dans un flou permanent », résume Charlène, consciente de n’avoir aucune nationalité, mais d’avoir tout de même une « base d’existence légale », en référence à son acte de naissance. « On a grandi sans aucun document d’identité. Mais je suis française, je me sens française et j’en ai assez de devoir le justifier. Et maintenant, on nous dit qu’on peut retourner au Cameroun, alors que je n’ai aucun lien avec ce pays ! »

C’est en effet ce que suggère la procureure de la République de Bordeaux. Les conclusions qu’elle a rendues le 9 février dernier dans la procédure ce Charlène toujours en cours, multiplient les tacles contre la principale intéressée.

« La demanderesse pense qu’il suffit, pour effacer l’incertitude qui entache lourdement son état civil, d’arguer d’une prétendue découverte [...] d’un acte de naissance qui n’avait manifestement pas été trouvé à l’époque de la déclaration de paternité. [...] Il ne saurait être admis que le lien national à l’égard de l’État français puisse trouver source dans une fraude », écrit la procureure.

Et d’ajouter, un peu plus loin, tout en réclamant que son « extranéité » soit reconnue : « Contrairement à ce qu’elle semble soulever dans ses écritures, [la demanderesse] répond aux conditions de la loi de nationalité camerounaise pour se voir reconnaître celle-ci. Si elle ne dispose pas de titre d’identité délivré par cet État, il n’en va que de son seul fait. »

Les deux frères de Charlène ont obtenu la nationalité française

« Les arguments du ministère public, visant à dire qu’il y a acte frauduleux et que ma cliente est de mauvaise foi, sont incompréhensibles. Charlène est victime dans cette histoire : les irrégularités sur ses actes de naissance datent de sa minorité », défend Me Fatou Babou.

« La position du procureur ne tient pas, complète de son côté Malika Peyraut. On ne fraude pas sur ses papiers quand on a 5 ans. Il s’agit d’une erreur administrative. Tous les papiers ont été transmis à la justice pour prouver qu’elle est bien un enfant de parents français. »

Contactée par Mediapart, la procureure de la République de Bordeaux répond que si des conclusions de rejet ont été prises par le ministère public, c’est « pour des motifs légaux en lien avec la fausseté suspectée de plusieurs actes de naissance, tous différents, produits par la demanderesse ».

« Bien évidemment, personne ne la soupçonne d’avoir rédigé alors qu’elle était enfant de telles pièces. En revanche, en sa qualité de demanderesse, elle fait usage devant la justice de différentes pièces censées établir sa filiation d’origine », souligne-t-elle, précisant que la charge de la preuve appartient à Charlène.

La procureure a demandé au consulat du Cameroun à Paris d’authentifier le nouvel acte de naissance, ce qui a été fait en trois mois.
Charlène Cazenave

Frédérique Porterie rejette aussi toute accusation de faire durer les procédures. Car depuis le début de la procédure, les renvois se multiplient : neuf à ce jour. « Pour moi, c’est de l’acharnement, estime Charlène. Leur seule arme de défense est de nous faire perdre du temps. » 

« Depuis que je suis majeure et responsable sur le plan juridique, j’ai toujours présenté des documents authentiques. Sans nouvelles du ministre de la justice camerounais, la procureure a demandé au consulat du Cameroun à Paris d’authentifier le nouvel acte de naissance, ce qui a été fait en trois mois [en septembre 2021 – ndlr]. La procureure continue pourtant de parler de fraude. »

La situation est d’autant plus ubuesque que ses deux frères, également concernés par ces déroutes administratives, ont été récemment reconnus français par filiation. Maxime, l’aîné, a réussi à obtenir la nationalité française à Bayonne début 2021, sans avoir à lancer de procédure devant la justice. Le second, Willy, s’est vu attribuer son certificat de nationalité française par le tribunal de Bordeaux en avril 2022. Selon nos informations, le parquet n’a pas fait appel de cette décision.

Dans divers courriers, Charlène a tenté d’alerter les présidents Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron, mais aussi les gardes des Sceaux Christiane Taubira et Éric Dupond-Moretti. Dans un courrier daté du 4 mai 2022, l’ex-ministre de l’intérieur Christophe Castaner assure lui-même avoir transmis le dossier de Charlène au ministère de la justice. Celui-ci n’a pas donné suite à ce jour.

Des difficultés dans chaque petit acte du quotidien

En attendant, Charlène est condamnée à vivre dans la clandestinité. Dans une vidéo réalisée en juillet 2021, elle explique les conséquences de cette situation sur sa vie de tous les jours : difficultés à trouver un emploi sans carte d’identité et numéro de Sécurité sociale, versements aléatoires de ses droits par Pôle emploi, impossibilité de souscrire à un abonnement téléphonique, d’ouvrir un compte en banque ou un compte sur des plateformes en ligne, de récupérer un colis à La Poste.

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Charlène Cazenave évoque ses difficultés du quotidien, sans nationalité en France. © Association Alda

Et surtout, impossibilité de quitter le territoire par voie maritime ou aérienne… Charlène admet tout de même avoir déjà passé les frontières en voiture, pour se rendre en Espagne, mais en redoutant à chaque instant un contrôle de police ou un placement en centre de rétention administrative, lesquels sont habituellement réservés aux étrangers en situation irrégulière en France.

« Je ne peux rien construire de stable, que ce soit sur le plan amoureux ou amical. Des amis m’ont déjà charriée parce que je n’avais pas mon permis à mon âge, mais quand on connaît la raison, ce n’est pas vraiment drôle », déroule celle qui a malgré tout pu obtenir un master Projets innovants et communication digitale et décrocher plusieurs emplois. Bien sûr, sa situation peut rebuter les recruteurs. « Mais on leur explique la situation, avec mon avocate, en fournissant une attestation sur l’honneur et certains documents de la procédure judiciaire. »

Charlène évoque aussi les « rêves » qu’elle n’a pas pu réaliser, comme créer son entreprise dans le domaine du marketing. « J’aurais aimé acquérir une expérience à l’étranger. Cette histoire a forcément accentué mon envie d’entreprendre, mais c’est ancré en moi depuis toujours. Je suis de nature indépendante et on me prive de l’essence même de ce que je suis. » Le 10 octobre, le ministère public doit rendre ses toutes dernières conclusions pour qu’une date d’audience soit enfin fixée, sans possibilité de renvoi cette fois.

 


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