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Fermez les Centres de Rétention !

La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

Solidarite avec Mimmo Lucano

Source : InfoMigrants - Maïa Courtois - 19/09/2022

Le centre de rétention administrative de Vincennes, en région parisienne, regorge d'hommes à la santé fragile, stressés et épuisés. Mais l'un d'eux, un Guinéen, suscite particulièrement les inquiétudes : positif au VIH, ce dernier risque une expulsion vers son pays d'origine, où il serait mal pris en charge, estiment des associations. Un cas "emblématique" des restrictions en matière de protection des étrangers malades. Reportage.

"Venez voir, s'il vous plaît venez voir", répète en boucle H. en faisant signe d'entrer dans sa chambre, qu'il partage avec d'autres retenus du centre de rétention administrative (CRA)

 

de Paris-Vincennes, en région parisienne. Là, le jeune homme soulève une couette. Des taches de sang séché émaillent le matelas. Son voisin de chambre - ils dorment là à trois, quatre, parfois cinq - est malade depuis plusieurs jours. Le voilà justement qui apparaît à ses côtés.

Ce second jeune homme a les yeux fiévreux. Un mouchoir bouche sa narine droite : ses saignements de nez intempestifs commencent à durer, "je ne comprends pas", s'inquiète-t-il. "Ça fait 15 jours que je suis ici, j'ai perdu du poids..." Il est allé à l'infirmerie, mais on ne lui a donné que du Doliprane, dit-il en montrant dans ses mains les comprimés.

D'autres retenus orientent vers un autre jeune homme. "Celui-là, c'est grave", glissent plusieurs voix. Celui-là, c'est R., visage très mince, t-shirt rouge et casquette sur la tête. Il veut à tout prix montrer son dossier médical pour prouver ses dires : il a la tuberculose. "Avant, j'allais à l'hôpital pour ça. Mais ici, il n'y a pas de médecin. Hier, j'ai craché du sang."

Un malade du VIH sous la menace d'une expulsion

Dans ce hall qui précède l'étroite enfilade des chambres du CRA, ces voix s'entremêlent à bien d'autres. Chacun veut témoigner. Tous ont le visage marqués par un mélange de stress et d'épuisement. Les paroles sont pressées, les histoires égrenées en quelques secondes, avant que les policiers surveillant la scène ne referment les portes.

La brèche a été ouverte par une visite de quatre parlementaires - Sandrine Rousseau (EELV), Raymonde Poncet (EELV), Danielle Simonnet (LFI) et Andy Kerbrat (LFI), ce jeudi 15 septembre. Une visite qui avait pour origine un cas particulièrement problématique d'accès aux soins.

Dans ce CRA de Paris-Vincennes se trouve, en effet, un Guinéen séropositif. Celui-ci est menacé d'expulsion vers son pays, malgré les risques de rupture de son traitement s'il y est renvoyé. L'Observatoire du droit à la santé des étrangers (ODSE), qui réunit plusieurs associations parmi lesquelles Act-Up Paris, le COMEDE (Comité pour la santé des exilés), ou encore Médecins du Monde, a donné l'alerte et monte au créneau.

L'homme est retenu au CRA de Paris-Vincennes depuis le 17 août. Il se trouve à un "stade avancé" de son affection au VIH et "son pronostic vital serait engagé en cas de renvoi en Guinée", affirme l'ODSE dans un communiqué.

Or, le médecin de zone de l'Ofii (Office français de l'immigration et de l'intégration), chargé d'examiner une demande de protection contre l'éloignement sur le cas de ce Guinéen, a rendu un avis négatif. Autrement dit, il considère que la Guinée Conakry assurerait une prise en charge suffisante du VIH. Le retenu demeure donc sous la menace d'une expulsion.

Santé mentale, hépatite B, VIH : vers une baisse de la protection

"C’est la première fois que je vois une personne avec le VIH comme cela qui reçoit un avis négatif de l'Ofii", commente Olivier Lefebvre, médecin coordinateur du pôle médical du COMEDE depuis 25 ans. Lui-même a été saisi par les associations pour rendre un avis médical sur l'état de santé de ce Guinéen. Pour lui, la conclusion était évidente : l'affection est bien à un "stade avancé", l'immunité du patient est "basse", et la Guinée Conakry ne pourrait en assurer la prise en charge. En un mot, le refus de l'Ofii est "emblématique" des restrictions en matière de protection des étrangers malades.

Le tournant de ces restrictions remonte à 2017. Auparavant, les médecins des agences régionales de santé (ARS), sous tutelle du ministère de la Santé, étaient en charge de rendre ces avis concernant les expulsions. En 2017, la compétence a été transférée aux médecins de l'Ofii... Sous tutelle, cette fois, du ministère de l'Intérieur.

Depuis lors, Olivier Lefebvre constate une "baisse énorme" des avis positifs délivrés par les médecins de zone de l'Ofii sur des demandes de protection contre l'éloignement.

Dans le CRA de Paris-Vincennes, "les avis rendus par le médecin de zone de l'Ofii sont quasi systématiquement négatifs", soupire Mathilde Buffiere, responsable du service rétention du Groupe SOS Solidarités-ASSFAM, l'association d'aide juridique qui intervient dans le centre. Surtout, elle relève l'arbitraire de ces décisions : "On a connaissance d'une personne au CRA de Lesquin [dans le Nord, ndlr] qui était également séropositive et a reçu, elle, un avis positif sur sa demande de protection contre l'éloignement."

L'arrêté du 5 janvier 2017 en question

Le 9 septembre, les associations ont saisi le ministère de la Santé et le ministère de l’Intérieur de la situation. Pour l'heure, pas de retour. Les associations et les parlementaires demandent au ministère de la Santé de faire appliquer la loi : à savoir, l'arrêté du 5 janvier 2017 qui encadre la pratique des médecins de l'Ofii.

Cet arrêté, "c'est un peu la garantie que la lutte contre le sida soit garantie malgré le transfert de compétences" des ARS à l'Ofii, explique François Emery, chargé de plaidoyer pour Act-Up Paris. L'arrêté affirme ainsi que "dans l'ensemble des pays en développement, il n'est pas encore possible de considérer que les personnes séropositives peuvent avoir accès aux traitements antirétroviraux ni à la prise en charge médicale nécessaire". L'avis médical délivré par le médecin de l'Ofii de Paris-Vincennes irait donc à l'encontre de ce texte.

Sollicité sur le cas individuel du Guinéen, mais aussi sur ses orientations générales vis-à-vis de l'arrêté de 2017, l'Ofii renvoie à son communiqué de presse. Celui-ci concerne uniquement le cas de Vincennes. Il souligne notamment le fait que cet avis n'est pas le premier concernant ce migrant guinéen. "Le médecin de l’Ofii a rendu un avis favorable le 18/02/2022 pour ce ressortissant guinéen afin de lui permettre de se faire soigner. Ce ressortissant guinéen, selon ses déclarations, serait en France depuis 2015, mais aucune demande de titre de séjour pour soins n’a été déposée à l’Ofii. Le médecin de l’Ofii a été saisi 6 mois plus tard, le 23 aout 2022 d’une nouvelle demande de protection contre l’éloignement par ce ressortissant. Au vu des données médicales qui lui ont été fournies, le médecin de l’Ofii a constaté que ce ressortissant n’a pas de traitement pour sa pathologie et qu’il a cessé son suivi médical. En Guinée, il existe un programme de lutte contre le VIH gratuit et 88% des personnes se sachant séropositives bénéficient d’un traitement antirétroviral (source Onusida 2022)." Avant de rappeler les conclusions du médecin de zone : "En conséquence, le médecin de l’Ofii a estimé que ce ressortissant guinéen peut bénéficier des soins adaptés et d’un suivi pour sa pathologie en Guinée."

>> À (re)lire : Un nouveau rapport souligne une fois encore un enfermement "inhumain" dans les CRA français

De leur côté, les associations ne voient là qu'un exemple de plus du durcissement de la politique envers les étrangers malades. "La santé mentale est le premier domaine que l’Ofii a attaqué. On ne voit quasiment plus de gens protégés sur ce motif", retrace Olivier Lefebvre. Cela concerne autant les délivrances de titres de séjour pour soins, que les demandes de protection contre l'éloignement - autant de procédures placées sous la responsabilité de l'OfiiI. "Sur les hépatites B, il y a également de plus en plus de refus", observe-t-il. "Et ce qu’on craignait, c’est que le VIH soit attaqué lui aussi : c’est ce qui est en train de se passer" avec le cas du Guinéen.

Les parlementaires en visite ce jour-là craignent, eux, que la prochaine loi asile et immigration annoncée par le gouvernement ne soit l'occasion de faire sauter les garde-fous que contenait jusqu'ici cet arrêté de 2017.

"J'ai demandé à voir un psychologue, mais il n'y a personne ici"

Au quotidien, dans le CRA de Paris-Vincennes, une unité médicale, plus couramment appelée infirmerie, fonctionne 20 heures sur 24. "Nous aimerions passer à du 24 heures sur 24, pour le soutien psychologique et pour nous assurer de l'état de santé des retenus", assure le commandant du CRA, Jean-Michel Clamens. Il explique également qu'une psychologue est en cours de recrutement.

"Je deviens malade dans ma tête", glisse A., au milieu du petit hall qui donne sur le couloir des chambres, dans le CRA 1. "J'ai demandé à voir un psychologue, mais il n'y a personne ici." La souffrance psychologique revient sans cesse dans les paroles des retenus.

Dans la salle de repos du CRA 2, la télévision diffuse la chaîne CNews. Un homme au ton calme raconte combien il a toujours "écouté les souffrances des autres". Mais désormais, c'est lui qui a besoin de parler. "Je n'avais jamais demandé une aide psychologique de ma vie. Hier, pour la première fois, j'ai demandé à voir un psy", confie-t-il.

L'infirmerie du CRA, témoin du quotidien

Il existe une autre procédure concernant les étrangers malades en CRA : la libération pour incompatibilité des conditions de rétention avec leur maladie. Cette fois, ce n'est pas à l'Ofii d'évaluer cela. Mais bien à l'unité médicale du CRA. "Le diabète par exemple, c'est trop compliqué pour nous d'en assurer le traitement ici", cite l'infirmière. De même, des certificats d'incompatibilité sont établis sans trop d'hésitation pour "de grosses pathologies psychiatriques".

>> À (re)lire : Étrangers malades du Covid-19 en centres de rétention : "on ne va jamais guérir à ce rythme-là"

Reste un problème : les juges de la liberté et de la détention ne suivent pas toujours ces avis médicaux. "Régulièrement, ces certificats ne fonctionnent pas devant les tribunaux", regrette Mathilde Buffiere, du Groupe SOS Solidarités-ASSFAM.

En effet, le dernier rapport de La Cimade sur les lieux de rétention recense 63 certificats d'incompatibilité délivrés par l'unité médicale du CRA de Paris-Vincennes sur l'année 2021. Or, sur ces 63 cas, seules 14 personnes ont été libérées par le juge. "Les étrangers malades constituent ainsi encore une large part des personnes retenues au CRA de Paris-Vincennes", conclut La Cimade.

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