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Fermez les Centres de Rétention !

La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

Solidarite avec Mimmo Lucano

Source : médiapart - Nejma Brahim et Ilyes Ramdani - 23/09/2022

Au cours des derniers mois, le ministre de l’intérieur comme le président de la République ont dévoilé quelques mesures phares qui pourraient constituer le projet de loi sur l’asile et l’immigration, annoncé pour 2023.

Gérald Darmanin avait annoncé la couleur au cours de l’été, en s’attaquant aux étrangers dits « délinquants », qu’il souhaitait pouvoir expulser du territoire français plus facilement. Le ministre de l’intérieur avait aussi promis, dans une interview accordée au Figaro où il reconnaissait « passer à l’offensive sur le front de l’immigration », une « réforme profonde de l’organisation de l’asile », une « intégration bien plus exigeante des étrangers » en France ou encore une « réflexion nécessaire » sur l’immigration et l’économie.

Invité à répondre aux questions des député·es en commission des lois mardi 20 septembre, dont certaines portaient sur le projet de loi asile et immigration, Gérald Darmanin a réaffirmé sa « fermeté » sur le sujet des délinquants étrangers, développant la notion de « mérite » pour la régularisation des personnes sans papiers en France. « Il y a plein de gens qui méritent une régularisation et qui ne l’ont pas aujourd’hui, et il y en a d’autres qui l’ont et qui ne devraient pas l’avoir. »

Et d’assumer : « Ma ligne sur le texte immigration est celle-ci : il faut être dur avec les étrangers délinquants sur le sol national et il faut que nous puissions régulariser et aider ceux qui veulent travailler et respecter les lois de la République. C’est une ligne toute républicaine. » Pour la justifier, le ministre s’est vanté d’avoir acté le non-renouvellement des titres de séjour pour tout requérant ayant un casier judiciaire.

Gérald Darmanin écoute lors du congrès du parti Renaissance à Paris, le 17 septembre 2022. © Photo Julien de Rosa / AFP

Dans une circulaire adressée aux préfets début août, le ministre de l’intérieur demandait aussi de prioriser l’enfermement et l’éloignement des étrangers en situation irrégulière auteurs de troubles à l’ordre public, y compris lorsque l’éloignabilité ne paraissait « pas acquise ». « En cas de manque de places disponibles [en centre de rétention – ndlr], il convient de libérer systématiquement les places occupées par les étrangers sans antécédents judiciaires non éloignables et de les assigner à résidence », pouvait-on lire.

Mais Gérald Darmanin a également montré quelques signes d’ouverture, s’inscrivant parfois à rebours de la politique migratoire menée lors du précédent quinquennat et allant jusqu’à reconnaître les « absurdités administratives » du ministère de l’intérieur ou les files d’attente numériques inacceptables (à propos des préfectures) du point de vue de l’intégration. « Il y a des gens qui travaillent depuis des années sur notre territoire, qui parlent français, fondent une famille, paient des cotisations et des impôts, et ne profitent pas de cette solidarité nationale à laquelle ils ont droit parce que l’employeur ne joue pas le jeu légal », a-t-il déclaré au sujet des sans-papiers.

Une inflexion tactique...

Aurait-on poussé Gérald Darmanin, habituellement intransigeant et souvent outrancier sur cette thématique, à revoir son discours sur l’immigration en amont du projet de loi ? La grande concertation, promise par le ministre et prévue à la rentrée, a finalement été décalée à l’automne, avant l’examen du texte en début d’année prochaine, à la demande d’Élisabeth Borne.

Pour Gérald Darmanin, cette inflexion est tout aussi stratégique que contrainte. Stratégique, parce qu’elle lui permet de se positionner comme le tenant d’une ligne équilibrée en matière d’immigration. Une prétendue modération dont il aime se targuer, comme il aime rappeler qu’il est élu d’une ville, Tourcoing (Nord), où des dizaines de nationalités cohabitent, et qu’il est lui-même petit-fils d’immigrés.

Au moment de l’examen de la loi « Séparatisme » en 2021, le ministre de l’intérieur s’était déjà enorgueilli d’avoir résisté aux pressions de celles et ceux, au sein même de la Macronie, qui souhaitaient profiter du texte pour légiférer sur le port du voile. Derrière cet intérêt tactique se dessinent aussi les équilibres politiques du second quinquennat d’Emmanuel Macron. Le calendrier législatif tel qu’il se dessine aujourd’hui n’est ainsi pas le fait de Gérald Darmanin, loin de là.

... mais des mesures qui inquiètent 

Quoi qu’il en soit, les déclarations publiques du président de la République et du ministre de l’intérieur laissent penser que le projet de loi pourrait fragiliser le droit d’asile et le droit des étrangers et étrangères. L’une des principales, qui vise à automatiser la délivrance d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF) aux personnes ayant vu leur demande d’asile rejetée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), provoque déjà l’ire des associations d’aide aux étrangers et étrangères. L’OQTF serait aussi valable trois ans au lieu d’un.

« Nous avons de sérieux doutes sur la légalité et la faisabilité juridique de cette mesure, qui dans le passé a déjà été retoquée par le Conseil constitutionnel. On se retrouverait avec un certain nombre de personnes sur le territoire qui seraient plongées dans une grande précarité et dans l’illégalité, avec tout ce que ça implique derrière en termes d’accès aux droits », déplore Fanélie Carrey-Conte, secrétaire générale de la Cimade, qui voit là une « logique de rétention et d’expulsion absurde », pourtant présentée « comme l’alpha et l’omega d’une politique migratoire efficace ».

Une « usine à gaz » pour Serge Slama, professeur de droit public à l’université Grenoble-Alpes et membre du Gisti. « On laisse penser que le refus d’asile vaut expulsion, mais c’est beaucoup plus complexe. Cette mesure reviendrait à irrégulariser des demandeurs d’asile toujours en cours de procédure, y compris ceux qui pourraient être reconnus réfugiés devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), et à les priver de leurs droits. Cela existe déjà pour les procédures accélérées et nous savons que cela n’augmentait pas l’efficacité de l’éloignement des déboutés. »

Dans le centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot, en janvier 2022. © Photo Sébastien Calvet / Mediapart

Pour mieux saisir la gravité d’une telle mesure, il faut se pencher sur le taux de protection affiché par la CNDA, chargée d’examiner les recours formulés par les demandeuses et demandeurs d’asile déboutés par l’Ofpra. En 2021, celle-ci protégeait 21,1 % des requérant·es (et 24,4 % en 2020), avec, en tête des nationalités, le Yémen, le Koweit, la Palestine, la Syrie, l’Afghanistan, l’Iran ou la Libye.

Délivrer une OQTF dès la décision de rejet de l’Ofpra mettrait donc en difficulté ces requérant·es qui, après un recours, peuvent en réalité prétendre à une protection, les exposant au risque d’une interpellation et d’un placement en centre de rétention avant même que la CNDA n’ait tranché. « En théorie, pour empêcher l’exécution d’une OQTF, il faut faire un recours. Mais encore faut-il le savoir et avoir un bon avocat à ses côtés, souligne Serge Slama. On fait peser sur des personnes potentiellement réfugiées le risque d’être renvoyées dans leur pays où elles peuvent se faire tuer. »

Réduire les délais et simplifier les procédures : à quel prix ?

Une autre mesure, qui concerne également la CNDA, entend élargir l’examen des recours par un juge unique, et ce alors que cette pratique devait à l’origine rester exceptionnelle. Dans la majeure partie des cas, les demandeurs et demandeuses d’asile doivent avoir droit à une audience présidée par un magistrat et deux juges assesseurs, qui doivent écouter le récit du ou de la requérante et statuer de manière « collégiale », et donc plus juste.

Dans un communiqué, l’association des rapporteurs et des anciens rapporteurs de la CNDA (ARC-CNDA) alerte sur les effets d’une telle mesure : « La volonté d’écorner le principe de collégialité ne se justifie pas. L’ARC-CNDA rappelle avec force l’importance de la collégialité, synonyme de débats constructifs lors de l’instruction des recours, essentielle pour une prise de décision la plus juste et équitable possible. »

Contactée, l’ARC-CNDA complète : « La collégialité signifie qu’il y a un débat, que des avis vont se confronter lors du délibéré. Il y a donc un examen plus équitable de la part de la cour. Vu l’importance de ce que représente une demande d’asile et sachant que les personnes peuvent être exposées en cas de retour dans leur pays d’origine et pour certaines à un risque de mort, il apparaît quelque peu risqué de confier la décision d’affaires plus complexes à un seul juge », estime un représentant de l’association.

Un document – encore incomplet – que Mediapart a pu consulter, et qui aurait été soumis pour avis à d’autres administrations puis présenté lors d’une réunion interministérielle fin juillet dernier, fait état du détail de ces mesures que Gérald Darmanin souhaiterait voir inscrites dans le futur projet de loi. Si le cabinet du ministre de l’intérieur n’a pas souhaité commenter, il confirme que le texte de loi est en préparation et sera présenté début 2023.

Pour réduire le délai d’introduction de la demande d’asile d’un mois et dans un objectif « de proximité et d’efficacité », il serait aussi question, selon ce document, de créer des pôles territoriaux labellisés « Espaces France Asile » et de territorialiser la CNDA, dont les délais de traitement dépassent quatre mois.

Le ministère de l’intérieur voudrait enfin réformer le contentieux des étrangers et étrangères, pour réduire le nombre de procédures applicables en matière d’éloignement de 12 à 4, dans la lignée des préconisations du Conseil d’État et du rapport du sénateur François-Noël Buffet (Les Républicains).

Cet été, et plus récemment lors de son audition en commission des lois, Gérald Darmanin a dit regretter les multiples voies de recours proposées aux étrangers, soulignant que ceux-ci avaient jusqu’à 12 procédures de recours et qu’il fallait « réduire les délais ». « Évidemment, ce contentieux est très complexe et on ne peut être contre l’idée de le simplifier. Mais dire que l’étranger a 12 procédures au choix relève de la fake news. C’est l’administration qui le place dans tel ou tel cas de figure. Et on prononce beaucoup trop d’OQTF », regrette Serge Slama.

Le professeur de droit public craint un texte « pas du tout équilibré », dans le prolongement de la loi Collomb, venant acter une réduction des droits des étrangers et étrangères. La secrétaire générale de la Cimade pointe de son côté un « manque de vision globale » sur le sujet des migrations. « Cette politique du “en même temps” qui voudrait favoriser l’intégration des personnes migrantes méritantes tout en étant ferme avec les personnes jugées illégitimes et indésirables ne peut fonctionner. »

Tout à sa stratégie personnelle, où la prochaine élection présidentielle occupe une place de choix, le locataire de Beauvau espérait occuper le premier plan de l’actualité politique à la rentrée.

« Il a vu Bruno Le Maire prendre toute la lumière avec les lois pouvoir d’achat, ça l’a rendu fou », s’amuse un cadre de la majorité. La première ministre a cependant vite coupé court aux aspirations de Gérald Darmanin, qui espérait caler le texte immigration à l’agenda de l’automne.

Au-delà de cette lutte de forme, va se jouer dans les prochaines semaines un rapport de force, au sein de l’exécutif comme de la majorité, sur la tonalité future du texte. Déjà, certaines voix, dont celle du président de la commission des lois Sacha Houlié, militent pour ne pas faire de ce texte un nouveau marqueur droitier de la politique de l’exécutif.

 


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