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Source : france24 - Romain Houeix - 01/11/2022

Au cœur des critiques envers le Mondial-2022 organisé au Qatar figurent les conditions de travail et les nombreux décès de travailleurs étrangers sur les chantiers de la Coupe du monde. Deux journalistes, Sébastian Castelier et Quentin Muller, ont publié "Les Esclaves de l'homme-pétrole", un livre dans lequel ils donnent la parole à ces travailleurs de l'ombre. Récit.

"Des conditions de vie précaires, une eau de mauvaise qualité, des plages horaires de travail étendues, nous savons que ce n’est pas bon pour notre santé, mais avons-nous vraiment le choix ?", s'interroge Krishna Timislina. Cet ouvrier de 36 ans a travaillé plusieurs années sur les chantiers du Mondial au Qatar. "Grâce à notre travail, le Qatar prend forme. Les stades, les centres commerciaux, les ponts, les routes… sortent de terre. C’est magique de voir cette ville grandir, mais c’est un rêve où nous ne sommes pas les bienvenus."

Interrogé par les deux journalistes Sébastian Castelier et Quentin Muller dans leur livre "Les Esclaves de l'homme-pétrole" (Éd. Marchialy), il décrit ses conditions de travail : les cadences infernales – parfois jusqu'à dix-huit heures par jour – tenues à l'aide de boissons énergisantes, les conditions climatiques extrêmes – "l'été, c'est l'enfer sur Terre" –, l'eau douteuse, le logement dans un préfabriqué sans espace ni intimité et surtout les morts d'épuisement ou dans des accidents de chantiers…

"La roulette russe de la migration"

Comment expliquer que, malgré ces conditions dramatiques désormais largement connues, des travailleurs continuent d'affluer du Kenya, du Népal, d'Inde, du Pakistan ou du Soudan ?

"Ils jouent à la roulette russe de la migration. Ils savent que le danger n'est pas une certitude absolue donc ils tentent leur chance", explique Sébastian Castelier. "Ce qui les attire, ce sont les salaires élevés, très élevés par rapport à ceux de leur pays d’origine. C’est une opportunité économique qui vaut les risques."

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Pour leur enquête, les deux journalistes indépendants ont donné la parole à tous ces travailleurs, trop souvent réduits à de simples chiffres par les macabres décomptes des morts sur les chantiers de la Coupe du monde. Glanant une soixantaine de témoignages au cœur de la zone industrielle du Qatar qui accueille près de 400 000 travailleurs, mais aussi dans les pays d'origine, Sébastian Castelier et Quentin Muller décrivent avec minutie le système migratoire sur lequel se sont bâtis les pays du Golfe, véritable esclavage moderne.

"C'est une main-d'œuvre jetable", résume Sébastian Castelier. "La migration vers les pays du Golfe est organisée comme ça. Il est impossible pour un immigré d'obtenir la nationalité locale. Donc quand il ne travaille plus, il dégage. On l'a vu pendant le Covid lorsque tout était à l'arrêt."

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Cependant, les pays du Golfe ne sont pas les seuls à profiter de ce système migratoire. Au Népal, 25 % du PIB est généré par les femmes et les hommes partis travailler à l’étranger. Une situation qui incite les gouvernements à regarder ces migrations d’un œil bienveillant, voire de les encourager en organisant les départs et ainsi éviter que les candidats à la migration ne tombent entre les mains de rabatteurs véreux.

La Kafala, cœur de l'exploitation

Cependant, malgré toute la préparation du monde, les arrivées dans les pays du Golfe confinent au choc et à la chute dans un système d'exploitation. Au centre de ce dernier, la "Kafala". Ce système, répandu dans le Golfe mais aussi en Jordanie et au Liban, attribue à chaque migrant un parrain (ou "Kafeel"), souvent son employeur. Dans les faits, chaque immigré se retrouve souvent à la merci de son employeur, qui la plupart du temps lui confisque son passeport à son arrivée.

"C'est un mécanisme qui donne énormément de pouvoir à l’employeur sur son employé. Si l’employeur respecte les règles, tout ira bien. Mais dans le cas contraire, la vie de l’employé peut devenir un enfer", raconte Sébastian Castelier

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En pleine opération communication en vue de la Coupe du monde, le Qatar a aboli la Kafala en 2016 : "Mais plusieurs mécanismes pervers de ce système subsistent", contredit le spécialiste du Golfe. "Notamment la possibilité de déclarer un employé en fuite. Si une employée de maison veut dénoncer des abus de son employeur, ce dernier peut la déclarer en fuite en un clic. La police, au lieu de prendre la plainte de la domestique, la ramènera directement à son bourreau."

"Comme dans tous les pays du monde, il y a des employeurs vertueux mais aussi des véreux. Le problème, c'est que les véreux peuvent faire ce qu'ils veulent ! Il y a un sentiment d'impunité total", explique Sébastian Castelier. "Les travailleurs ne peuvent pas compter sur la justice. Les employeurs savent qu’il leur suffit de les renvoyer dans leur pays pour ne plus en entendre parler."

Quel est le véritable chiffre des morts sur les chantiers du Mondial ?

L'arrivée massive de travailleurs étrangers aura permis au Qatar de préparer les infrastructures nécessaires à l'un des plus grands événements sportifs au monde en construisant de nouvelles routes, un nouvel aéroport, un réseau ferroviaire sur mesure et sept nouveaux stades. Cependant, le coût humain a été dramatique. L'Organisation internationale du travail a dénombré cinquante travailleurs de la Coupe du monde morts en 2020 et des centaines d'autres blessés – un chiffre sous-évalué selon les ONG. Dans un rapport publié en août 2022, l'ONG Amnesty international affirmait "que plus de 15 021 personnes non qataries – de tous âges et de toutes professions – étaient mortes entre 2010 et 2019" dans le pays, tout en concédant que "sans enquête, les données sur les causes des décès ne sont pas fiables".

En 2021, le quotidien britannique The Guardian avançait un chiffre qui a marqué durablement l'opinion publique : il estime que 6 500 travailleurs ont péri au Qatar depuis l'attribution du Mondial à l'émirat. "Ces données viennent essentiellement des ambassades des travailleurs asiatiques. Nous n'avons pas les statistiques pour les travailleurs africains", contextualise le co-auteur du livre "Les esclaves de l’homme-pétrole", rappelant qu'il est probablement sous-évalué.

Par ailleurs, les deux journalistes rappellent également que ce bilan ne comptabilise pas les ouvriers qui décèdent une fois rentrés chez eux. Tout au long de leur livre, ils enquêtent et interrogent ces morts précoces, souvent dues à des problèmes rénaux consécutifs à l'ingestion d'eau de mauvaise qualité lors de leur séjour dans le Golfe ou à l'abus d'alcool distillé artisanalement et de boissons énergisantes pour tenir les cadences infernales loin de leurs familles.

"C'est inhumain"

Des chiffres de mortalité effrayant qui s'expliquent notamment par les conditions climatiques dans la péninsule, pas plus grande que l'Île-de-France : "L’été il fait très chaud. Travailler dans le bâtiment sous ces températures, c’est juste un enfer. Le Qatar a édicté une interdiction de travailler l’été entre 10 h 30 et 15 h mais de nombreuses violations ont été relevées", dénonce Sébastian Castelier.

Et le co-auteur de détailler le reste du cocktail mortel de facteurs : la mauvaise hydratation sur les chantiers avec une eau souvent de mauvaise qualité, des journées souvent trop longues avec des travailleurs incités à faire des heures supplémentaires pour envoyer davantage d'argent à leurs proches, des conditions de vie indignes avec l'entassement des ouvriers dans des baraquements insalubres et une alimentation de mauvaise qualité, souvent fournie par l'employeur.

Mais Sébastian Castelier pointe aussi une cause de mortalité méconnue : le manque de formation de cette main-d’œuvre venue de loin. "On met des personnes sans formation sur des énormes machines ou des échafaudages, ils n'ont souvent aucune idée des mesures de sécurité à adopter et les accidents se multiplient", note Sébastien Castelier.

Le Qatar joue son image

Avec ce Mondial-2022, l’émirat sait qu'il joue son image à l'international : "Le Qatar est parfaitement conscient du problème que représente le sort des travailleurs migrants. Il y a une volonté de garder la main sur la communication et le récit, celui d’un pays réformateur", estime Sébastian Castelier.

Cette image est donc jalousement protégée. Tout au long de l'ouvrage, les deux journalistes décrivent une ambiance pesante où les journalistes indépendants ne semblent pas les bienvenus pour "mettre des histoires humaines" sur la mortalité sur les chantiers ou aller visiter la zone industrielle par leurs propres moyens loin des voyages de presse organisés.

"Les Qataris eux-mêmes tentent de protéger ce storytelling", explique Sébastian Castelier, racontant la mésaventure de son co-auteur Quentin Muller. En reportage dans la zone industrielle, celui-ci a été pris à partie puis suivi par deux femmes qataries, désireuses de notifier à la police sa présence dans ce quartier, où est enfouie la face sombre du pays.

Le Qatar, qui a levé l'interdiction pour les ouvriers de changer d'employeur et introduit un salaire mensuel minimal de 1 000 riyals qataris (280 euros environ), affirme avoir fait plus que tout autre pays dans la région et rejette fermement les bilans de milliers de morts sur les chantiers avancés par des médias internationaux. 

"Le Qatar a mis en place des réformes mais elles ont été tardives et donc elles ne seront quantifiables qu’après la Coupe du monde. S'ils sont sincères –pourquoi pas après tout ? –  on ne le saura qu'après. S'ils ne le sont pas, ils risquent de revenir en arrière quand l’attention médiatique se sera éloignée", avertit le journaliste.

>> À lire aussi : Qatar : derrière "la neutralité carbone", la Coupe du monde du "greenwashing"

Et l'avenir risque d'apporter son cortège de nouveaux drames dans le Golfe. En 2029, l’Arabie saoudite accueillera les Jeux asiatiques d’hiver, dans la future mégalopole Neom. Outre l'aberration écologique que constitue l'organisation de Jeux d'hiver dans le désert, la Kafala y est toujours en place.

 


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