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La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

Solidarite avec Mimmo Lucano

Source : lundimatin - 21/11/2022

Chronique de l’externalisation des frontières de l’Europe en territoire marocain
Le matin du 24 juin 2022, environ 1500 migrants subsaharien.es se sont élancé.es depuis une petite ville du rif marocain – Beni Ensar – pour franchir le triple grillage qui clôture l’enclave espagnole de Melilla.

Ces milliers de personnes ont tenté de forcer l’une des deux seules frontières terrestres entre l’Afrique et l’Europe. Selon l’Association marocaine des droits humains (AMDH) de Nador, au moins 27 exilé.es ont été tué.es lors de cette « frappe » sur le poste frontalier de Bario Chino et 64 sont toujours porté.es disparu.es. Dernièrement, le journal Le Monde (7 octobre) relatait presque machinalement les peines de prison aggravées qui sanctionnaient 18 migrants africains d’avoir tenté de passer la frontière. Comme si le « drame de Nador-Melilla », dont le bilan humain est le plus lourd pour ce type de tentatives, était le fait de ces personnes et de leurs violences. Un ami a tenté d’y voir plus clair, en faisant le tri parmi les articles, les images et la propagande occidentale mais aussi en recueillant la parole de quelques personnes qui avaient tenté de passer la frontière ce 24 juin.

on a dit que cetait une bataille

La plupart des images sont tirées du documentaire d’Africa eye BBC « mort à la frontière » disponible sur YouTube

Le matin du 24 juin 2022, autour de 1500 subsaharien.es se sont élancé.es depuis une petite ville du rif marocain – Beni Ensar – sur le triple grillage qui clôture l’enclave espagnole de Melilla. Ces milliers de personnes noires – migrant.es, transmigrant.es, exilé.es, réfugié.es, selon qu’elles soient désignées dans un registre médiatique et politicien, universitaire, humanitaire et militant, ou voyageurs-aventuriers lorsqu’elles se racontent elles-mêmes – ont tenté de forcer l’une des deux seules frontières terrestres entre l’Afrique et l’Europe pour aller y « chercher leurs vies » [1]

[1] Comme j’ai pu l’entendre moi-même « Les Africains...

. Selon l’Association marocaine des droits humains (AMDH) de Nador au moins 27 exilé.es ont été tué.es lors de cette frappe [2]

[2] C’est ainsi que les exilé.es subsaharien.nes au Maroc...

sur le poste frontalier de Bario Chino et 64 sont toujours porté.es disparu.es.

Ceuta et Melilla – vestiges de la colonisation espagnole, régulièrement contestées par le Royaume chérifien – ont toujours été l’une des voies privilégiées d’accès à l’Europe. Depuis deux décennies, les voyageurs illégaux s’organisent dans des programmes discrets à quelques dizaines ou dans des assauts massifs à plusieurs centaines, voire milliers de personnes pour franchir les grillages, incessamment renforcés [3]

[3] Avant 2005, la frontière de Melilla était constituée...

, érigés pour les contenir à distance de l’Espagne, et depuis deux décennies, un nombre littéralement incalculable [4]

[4] ONU info : Méditerranée : de nouvelles données montrent...

d’entre elles y trouvent la mort en exerçant, de facto, leur droit à la libre circulation. Comme sur l’ensemble des zones frontalières du Royaume, les autorités marocaines minimisent le nombre de décès et s’en tiennent aux corps impossibles à cacher [5]

[5] En 2021 la morgue de Nador fait état de 81 corps...

, mais ce n’est que la partie émergée de l’iceberg et les témoignages de disparitions « forcées » s’accumulent auprès des associations [6]

[6] Comuniqué de l’association des mèresde migrants...

.


Si le massacre de Bario Chino peut être qualifié d’épisode le plus meurtrier aux frontières terrestres du Maroc, ce n’est pas la première journée sombre de l’histoire des enclaves espagnoles [7]

[7] Comme par exemple la nuit du 28 au 29 septembre à Ceuta...

et les collectifs d’exilé.es s’attendaient à ce que de tels drames adviennent de nouveau [8]

[8] Selon les collectifs signataires d’un communiqué (ici)...

. Ce sont les vidéos d’une violence insoutenable, comme celles montrant des corps gisants sur le sol et frappés par les agents marocains [9]

[9] On retrouve cette vidéo relayé par...

, captées sur le vif et répandues sur les réseaux sociaux, qui ont contraint les autorités marocaines et espagnoles à reconnaître officiellement le décès de 23 exilé.es.

Un traitement médiatique événementiel et polémique recouvre la violence continue des politiques européennes, perpétuant la condition d’exilé.

Mardi 1er novembre, des journalistes d’Africa eye BBC ont fait réapparaître ces images dans la presse internationale à travers un documentaire retraçant précisément la trame de ce déchaînement de violence. Dévoyant l’évidence de la coopération entre les forces de polices marocaines et espagnoles, la machine médiatique a fait surgir de ce documentaire une « controverse sur la responsabilité de l’Espagne » [10]

[10] Le monde, 09 novembre 2022, Sandrine Morel, Le...

. Les morts le sont-ils sur le territoire espagnol ? Combien de grenade et de munition à blanc la guardia civil a-t-elle utilisé ? À travers ces interrogations – qui frôlent le cynisme – les parlementaires espagnols visent à établir une ligne de partage de la violence aberrante. [11]

[11] Même si l’on peut reconnaître que malgré les limites...

De la même manière, lorsque l’Italie refuse d’accorder un port sûr à l’Ocean Viking, les médias mettent en scène la « fracture » [12]

[12] Le monde, 12 novembre 2022, Allan Kaval, Claire...

des relations avec la France. Olivier Véran dénonce le manque « d’humanité » [13]

[13] Le monde, le 10 novembre 2022,L’« Ocean-Viking »...

du gouvernement de Giorgia Meloni et en représailles Gérald Darmanin annonce le déploiement « de cinq cents policiers et gendarmes supplémentaires » [14]

[14] Le monde, 11 novembre 2022, L’accueil du navire...

à la frontière franco-italienne.

Ces polémiques, menées dans le langage du droit international et au rythme de pseudos crises, mettent au centre le partage des responsabilités entre gouvernements. Elles occultent que la situation migratoire est d’abord le fait d’une collaboration des États européens et de leurs alliés dans un combat continu mené contre les populations en exils.

Pourtant les exilés.es et les collectifs qui leur apportent du soutien martèlent la nature mortifère des politiques européennes. Mais lorsque le sens commun s’applique à comprendre la chronique morbide de la migration illégale, l’image la plus immédiate est celle d’une embarcation pneumatique à la dérive en méditerranée. Le régime frontalier est alors perçu comme un ensemble de dispositifs passifs contraignants les exilé.es à emprunter des routes plus longues et/ou dangereuses. Ce récit connote la situation migratoire d’un caractère tragique et immuable, où les éxilé.es meurent de non-assistance, « en migration ».

Or le massacre du poste frontalier de Bario Chino donne à voir des morts « par migration ». [15]

[15] Touré, N., « Drame macabre à Melilla : des migrants...

Il nous rappelle que les politiques protégeant l’« intégrité territoriale » [16]

[16] Selon les mots de Pedro Sanchez dans une interview...

de l’Europe induisent une violence directe sur les corps déclarés illégaux. S’il est un épisode saillant de la migration contemporaine, ce n’est pas parce qu’il serait le fruit d’une violence d’une nature nouvelle, mais bien par ce que celle-ci fut assénée à un degré encore jamais égalé au Maroc.

Les personnes qui se lient par solidarité à la situation des exilé.es accumulent les témoignages d’une des conditions sociales parmi les plus rudes de notre époque, la condition d’exilé [17]

[17] Dans le cadre d’un séminaire sur les politiques...

. C’est seulement à travers cette parole qu’il est possible de saisir les manifestations quasi quotidiennes des politiques de ségrégation internationale sur les corps en exil et la prégnance de la brutalité qu’induit nécessairement le fait de s’opposer aux mouvements vivaces de l’exil [18]

[18] Selon les chiffres du HCR, les arrivées en Espagne ont...

Les politiques d’externalisation des frontières de l’Europe

Depuis la fin des années 1990, l’UE mène une politique d’externalisation des frontières de l’Europe. À travers des accords [19]

, elle favorise l’implication des pays « de transit » dans le contrôle et la répression des communautés d’exilé.es en contrepartie de financements. Pour appuyer « le développement inclusif du Maroc » et soutenir « sa gestion des frontières », l’UE a versé au Royaume chérifien 389 millions d’euros entre 2019 et 2020 [20]

[20] Communiqué de presse de la Commission européenne du...

et selon le quotidien espagnol El Pais elle s’apprête à verser de nouveau un demi-milliard entre 2022 et 2027 [21]

[21] El pais, le 15 août 2022 à Madrid, Marruecos recibira...

Les pays de transit, la Libye, la Tunisie, l’Algérie, le Maroc, etc., deviennent ainsi les lieux privilégiés du conflit.

Au Maroc, les forces de police font régulièrement de véritables descentes dans les quartiers habités par les communautés subsahariennes. Fracturant les portes tôt le matin et ratissant les rues, elles procèdent à des arrestations sur base raciale, des personnes noires, qu’elles soient ou non en possession d’une carte de séjour, d’un visa en règle [22]

[22] Les ressortissants de la CEDEAO peuvent séjourner 3...

ou d’un récépissé du HCR. Qu’elles soient ou non, ressortissantes d’un pays d’Afrique subsaharienne [23]

[23] Régulièrement des refoulements d’Occidentaux noirs ou...

Les passages à tabac et le vol des affaires personnelles – argent, téléphone, parfois des documents officiels et des chaussures – sont le répertoire habituel de ces arrestations [24]

[24] Voir la vidéo de TV5 monde qui rapport les travaux du...

. Enfermés des fois durant des semaines, les exilé.es sont ensuite contraint.es de grimper dans des cars pour être éparpillé.es et relâché.es sans ressource dans les zones reculées du royaume. Ils et elles sont obligé.es de mendier pour prendre un transport et regagner les villes ou les forêts où iels seront toléré.es jusqu’au prochain coup de filet. Régulièrement, des éxilé.es disparaissent et ces surgissements policier diffusent la peur parmi les communautés subsahariennes. [25]

[25] Le dernier épisode rapporté par les médias est la mort...

Subventionnées dans leurs prérogatives de contrôles des frontières, les forces de police marocaine agissent, lors de ces opérations, pour le compte de l’Union Européenne.

Pour plus de détails, vous pouvez regarder cette vidéo du GADEM : https://vodflash.tv5monde.com/redacweb/maroc/maroc_web.mp4

Une répression indexée sur l’état des relations diplomatiques

De part et d’autre de la Méditerranée, la situation migratoire est régulièrement manipulée comme objet de chantage. D’un côté, les États européens font varier les conditions d’octroi des visas attribués aux populations des pays de départ – en 2021 par exemple, la France a durci l’accès aux visas pour les Marocains, les Tunisiens et les Algériens en accusant les pays du Maghreb de restreindre l’application des OQTF délivrées à l’égard de leurs ressortissants – de l’autre côté, les pays de « transit » font pression sur certains dossiers internationaux en cessant d’endiguer les mouvements migratoires clandestins, voire en favorisant l’accès aux frontières de l’Europe [26]

[26] Comme on a pu le voir à l’automne 2021 où des...

En avril 2021, la prise en charge médicale par l’Espagne de Brahim Gahli, le secrétaire général du mouvement de lutte armé pour l’autonomie du Sahara occidental – le Front Polisario [27]

[27] Le Polisario, ennemi juré du Royaume, milite depuis...

– a contrarié le Roi du Maroc, Mohamed VI, qui dit « mesurer la sincérité des amitiés et l’efficacité des partenariats » depuis le prisme du Sahara occidental [28]

[28] RFI, le 22 août 2022, Sahara occidental : Mohammed VI...

– dont il revendique la souveraineté – ce qui a ouvert une phase de relâchement général du contrôle et de la répression des communautés d’exilés au Maroc. Les 17 et 18 mai, entre 6.000 et 10.000 personnes, principalement des harraga Marocains, sont entrés à Ceuta « le long de la mer, sous les yeux des forces auxiliaires qui les regardaient sans intervenir » [29]

[29] Article et Vidéo de TV5 monde du 18 mai...

. « Tanger est ouverte » [30]

[30] Alarm Phone, Juillet 2021 « Tanger est ouverte » ? -...

disait la rumeur.

À la suite de ce moment spectaculaire, l’AMDH Nador [31]

[31] Association Marocaines des Droits Humains section...

témoigne « d’une baisse des attaques […] par les autorités marocaines » sur les campements d’éxilé.es établis en forêt et dans les montagnes autour de Melilla. En 2021, elle a enregistré « 37 attaques contre 340 en 2018 » et aucune « pendant les trois premiers mois de l’année 2022 ». Évidemment, dans ce contexte, les tentatives de passage ont sensiblement augmenté et ont été particulièrement victorieuses : « près de 1050 bozas  [32]

[32] « boza » est un mot bambara qui signifie...

en 2021 contre 120 seulement en 2019 ».

Lorsque début mars 2022, Pedro Sanchez – le Premier ministre espagnol – déclare que le plan marocain « d’autonomie » [33]

[33] Alors que les Sahraouis réclament le referendum...

est « la base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution du différent » sur la souveraineté du Sahara occidental, c’est une nouvelle étape « basée sur le respect mutuel, le respect des accords, l’absence d’actions unilatérales » qui est inaugurée [34]

[34] Le Monde, le 18 mars 2022, L’Espagne et le Maroc...

Le 10 mai, les deux pays estimaient dans une déclaration conjointe [35]

[35] Royaume du Maroc, Ministère des Affaires Étrangères de...

, que « les résultats de la coopération bilatérale [commençaient] à se concrétiser dans les domaines de l’immigration et de la coopération sécuritaire ». L’AMDH rapporte en effet que durant les mois d’avril, de mai et jusqu’au 24 juin, les assauts sur la barrière ont chuté, tandis que le démantèlement des campements reprenait « avec une cadence très élevée ». Les attaques « les plus violentes » des forces de police sur les campements « ont été enregistrées les 7 et 15 avril, le 23 mai et les 17-18-19-20 et 23 juin ».

C’est dans le contexte de cet élan répressif, fruit d’une coopération renouvelée, qu’il convient de comprendre les événements qui ont conduit à la journée sanglante du 24 juin. Nous proposons de les retracer depuis les récits d’un groupe d’exilés arabophones rencontrés à Rabat une semaine après la frappe de Bario Chino et du rapport de l’AMDH.

Retour sur la frappe de Bario Chino : la communauté d’exilés arabophones (Soudanais, Soudanais du Sud, Érythréens et Tchadiens) confrontée à un élan répressif sans précédent.

Environs les deux tiers des 1500 exilés [36]

[36] Du fait qu’il n’y ait que des hommes sur les images,...

ayant pris d’assaut Bario Chino étaient de jeunes hommes originaires d’Afrique de l’Est. La plupart ont pris la route, quatre à cinq années auparavant, pour « aller chercher leurs vies » à l’écart des guerres qui ravagent leurs régions ou pour se soustraire au travail forcé et au service national obligatoire en Érythrée [37]

[37] Rapport 2021 d’Amnesty international sur...

Avant d’arriver au Maroc, il y a deux ans tout au plus, ils ont éprouvé la route libyenne. Persécutés par des milices armées, ils ont été si cruellement enfermés que leurs familles n’ont eu d’autres choix que de vendre leurs biens pour payer la rançon qui les prémunirait de la mort.

« On est partis du Soudan sur la base de trouver un pays sûr où il y a la paix, on est sortis vers la Libye où les chemins ne sont pas du tout sûrs, on a été arrêtés et vendus par des Libyens qui demandent une rançon de 3000 à 4000 € [38]

[38] « En Libye, les Soudanais sont visés par les...

  ; l’un de nous appelle sa famille, son père vend la maison pour le libérer, il n’y a pas de sûreté en Libye, des milices de partout, t’es pas en sécurité même dans une maison » - Aboubakr Hasssan Aboubakr, Soudanais de 27 ans

C’est avec l’espoir d’être considérés par les bureaux marocains du HCR et de trouver au sein du Royaume chérifien le minimum de dignité prévu par le droit international qu’ils se sont détournés de l’évidence géographique et des côtes libyennes. Malgré les récépissés du HCR attestant de leur demande d’asile, Soudanais, Tchadiens et Érythréens n’ont pas obtenu la protection qu’ils espéraient. Au traitement répressif qui leur est réservé par le régime chérifien s’ajoute un racisme quotidien couvert par les autorités : ils doivent par exemple payer le double du prix habituel pour accéder à la location d’une chambre insalubre – à l’instar des subsahariens d’Afrique de l’Ouest.

« On n’a pas trouvé la sécurité au Maroc, les Marocains eux-mêmes venaient la nuit nous agresser avec leurs couteaux et nous prenaient notre argent et nos téléphones, on n’était pas à l’aise avec la population marocaine, suite à ça, on était obligés d’aller de l’avant, on se parlait entre nous, on voulait partir vers Melilla, vers la montagne, on se disait tous qu’on allait se rencontrer sur la montagne dite ’EL MAHROUG’ et même là, ils nous ont pas laissés tranquilles, ils viennent à chaque fois nous attaquer et nous frapper. » - Aboubakr Hasssan Aboubakr, Soudanais de 27 ans

Au cours du mois de juin, alors que les opérations policières en forêt n’avaient jamais connu cette intensité, des centaines d’exilé.es ont continué d’affluer dans les montagnes de Gourougou, particulièrement dans la communauté arabophone [39]

[39] En juin, le HCR comptait 1 350 demandeurs d’asile et...

, comme en témoigne Aboubakr Hassan. Le rapport de l’AMDH détaille comment les différents corps de police marocaine alliés sous la supervision du gouverneur de Nador ont fait œuvre d’acharnement pour les déloger, allant jusqu’à les chercher à plus d’une vingtaine de kilomètres de la barrière, usant de drones et d’hélicoptères pour traquer les campements. Lors de ces attaques, les forces de police interpellent violemment les exilé.es en difficulté sur ces terrains escarpés et détruisent tous les biens que ces derniers ne parviennent pas à emporter dans leur fuite. C’est au cours du mois de juin que ce harcèlement, quasi quotidien, s’est vu, pour la première fois, opposer une résistance.

« La semaine avant qu’on parte vers les frontières était la semaine des grandes souffrances. On était de plus en plus nombreux afin de foncer en grand nombre et que les exilés qui ont assez souffert puissent entrer à Melilla ou en Europe, en paix. » - Samir, Soudan Darfou

« Certains ont dit « il ne faut plus fuir, quand on fuit, ça gâche tout » alors on a forcé notre cœur, on s’est retourné vers eux. Quand on s’est tourné vers eux avec la force, il y a eu beaucoup de blessés. » - Abdelziz Mohamat Ismail, Tchadien, 14 ans

Entre le 17 et le 20 juin, les membres de la communauté subsaharienne arabophone, tout en se déplaçant sous la pression policière, se sont affrontées aux forces de l’ordre, dans des nuages de gaz lacrymogène, les pierres ont répondu aux balles en caoutchouc et aux pistolets à grenailles. Selon l’AMDH, ces affrontements « ont causé des dizaines de blessés des deux côtés et plusieurs arrestations dans les rangs des demandeurs d’asile qui sont encore poursuivies en justice ou refoulées vers d’autres villes marocaines » [40]

[40] Rapport de l’AMDH précédemment...

. La lèvre boursouflée et le front blessé par les cartouches à plomb, Maluat Majiir John, du Sud-Soudan, raconte les jours précédents la tentative de passage à Bario Chino :

« Le premier jour, ils sont venus nous attaquer, nous avons couru et le même jour nous avons changé de place, nous avons changé d’une montagne pour une autre montagne, ils nous ont attaqués encore (il montre ses blessures au visage) j’ai eu ça là-bas, ils m’ont tiré dessus avec… comment on appelle ça, un petit pistolet qu’on appelle « bouban » en arabe »

« Le jour du 23 juin a été le plus dur », les affrontements ont duré toute la journée, jusqu’au « retrait des migrants […] vers une autre montagne » [41]

. Au matin du 24 juin, privés de leur peu de moyens de survie en forêt, acculés, le petit millier de réfugiés d’Afrique de l’Est s’est armé de bâtons et de pierres avant de quitter la montagne en direction de la frontière. Rejoint par d’autres communautés (entre autres des Burkinabé.es, Guinéen.nes et Sénégalais.es), un groupe d’environ 1500 personnes s’est élancé en direction du poste frontalier. Alors que de toute évidence leurs mouvements étaient surveillés, les forces de police marocaines ont préféré ne pas s’interposer avant que le groupe ne parvienne aux grillages. Ce jour-là, il n’y a pas eu de bataille rangée, pas de « service d’ordre » traduisant une organisation militaire [42]

[42] Comme on peut le voir dans le documentaire de la BBC...

, les bâtons et les pierres ont été abandonnées au seuil du seul véritable objectif : la frontière de l’Europe.

C’est seulement vers 10h30, quelques minutes après que le groupe avait commencé à franchir la barrière, que les autorités se sont réellement déployées. Les quelques centaines d’exilés parvenus dans l’enceinte du poste-frontière y ont été bloqués, nassés, tout mouvement de retraite leur étant empêché. Sur les vidéos on peut voir le groupe qui tentait de forcer le portail et les tourniquets du poste-frontière essuyer des salves de pierres et de grenades antiémeute. C’est dans cette ambiance, sous les gaz lacrymogènes et les détonations des armes du Royaume chérifien et de l’État espagnol que de graves bousculades ont eues lieu. C’est à ces mouvements de foule que les autorités attribuent les 23 décès qu’ils ont été forcés de reconnaître le lendemain du drame. Or les témoignages permettent d’en douter. Lorsqu’ils sont entrés dans l’enceinte du poste frontalier les agents marocains ont cruellement violenté les corps des demandeurs d’asile, assénant de coups de matraque tous ceux qui, comme si c’était un affront, osaient encore manifester des signes de vie. Piétinant les corps d’êtres humains à bout de souffle, ils les ont ensuite manipulés telle une matière inerte, traînés et entassés brutalement. Les images sont atroces, on y voit des corps ensanglantés, amalgamés les uns aux autres, sans pouvoir distinguer les vivants et les morts.

La guardia civil espagnole assistée de la gendarmerie royale a renvoyé 470 personnes qui venaient de franchir la barrière [43]

[43] Comme l’ont confirmé les images du journaliste...

, perpétuant les « push-back » habituels, privant ainsi les réfugiés de leur droit d’asile et les livrant aux passages à tabac en règle. Seulement 130 exilés sur les 1500 ont réussi à gagner le centre d’accueil qui leur est dévolu à Melilla.

« En réalité ce n’est pas une bataille, on a dit que c’était une bataille, mais c’était un massacre contre l’humanité, un massacre cruel […] on s’est rassemblé juste pour se défendre, si nous avons combattu c’était pour un objectif particulier, c’était pour notre avenir et notre sécurité […] Ce n’était pas une bataille de protection de la clôture, c’était une bataille pour tuer les gens » Ahmad Abdalh Ahmad
« […] Mais les Espagnols les ont attrapés, quand il les ont attrapés, ils les ont donnés à des Marocains […] Dès que les Marocains nous attrapent, ils nous frappent seulement, frappent seulement, ils nous frappaient d’une manière très bizarre […] ils nous ont frappé jusqu’à qu’il y ait des morts.[…] c’est la grâce de Dieu aujourd’hui, parce que trois personnes sont mortes à côté de moi, il y en a un qui était tombé sur moi et c’est la police qui l’a fait sortir de moi […] on m’a amené parmi les gens qui sont morts, mais alhamdoula en fait moi je m’en suis sorti ... » Abdelziz muhamat, Tchadien de 14 ans.

L’AMDH rapporte également que les exilés sont restés pour morts en plein soleil durant 9 heures. Les ambulances « mobilisées vers 11h30 » le furent dans un premier temps pour évacuer les corps sans vie et leur dernier trajet « a été enregistré vers 21h ». Ce sont les forces de police seules qui se sont chargées de répartir les blessés entre les bus menant au refoulement et les ambulances menant à l’hôpital Hassani de Nador.

Conclusion : ce que nous rappelle Bario Chino

La journée meurtrière du 24 juin est manifestement le résultat d’une brusque reprise de la répression à l’égard des exilé.es. Elle est le point d’orgue de l’acharnement à disperser les campements dans les montagnes de Nador durant le second trimestre 2022. Le groupe de Soudanais, de Soudanais du Sud, d’Érythréens et de Tchadiens, « ont forcé leurs cœurs » pour faire face aux boomla [44]

 


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