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Source : InfoMigrants - Marlène Panara - 25/11/2022

Ahmad, Amal, Mohammed Youssouf ou Hakim : tous espèrent bientôt traverser la Manche et atteindre enfin, après des mois voire des années sur la route de l'exil, le Royaume-Uni. Ni la militarisation toujours plus accrue de la frontière, ni la perspective d'un transfert au Rwanda, ni le naufrage meurtrier survenu il y a un an, ne font vaciller leur détermination. Celle-ci est au contraire décuplée par le "harcèlement" policier et les conditions de vie désastreuses dans leur camp de Loon-Plage, à Grande-Synthe.

Accroupi à même la terre, un jeune exilé, emmitouflé dans un épais gilet noir, ouvre l’un des quatre petits robinets dorés devant lui. Dans un geste rapide, il s’asperge le visage d'eau glacée, puis passe la main dans ses cheveux bruns. Derrière lui, une petite file s’est constituée. Tous attendent de faire leur toilette, malgré le froid mordant. Ce matin de novembre, près de Dunkerque, les rayons du soleil ne parviennent pas à percer le ciel voilé. 

C’est pourtant à cet endroit, sur un terrain situé au beau milieu d’une zone industrielle, que vivent actuellement près de 400 migrants, en attendant de traverser la Manche pour atteindre l’ultime étape de leur exil, le Royaume-Uni. En contre-bas d’une route nationale, longeant une voie de chemin de fer, le terrain n’est plus, après plusieurs jours de pluie, qu’un amas de boue. Les caddies traînés par les exilés s’embourbent. Pour pouvoir circuler dans le camp, certains portent des bottes en caoutchouc fournies par les associations. Les tentes qui leur servent d’abri sont, elles, disposées de part et d’autre, là où la terre est un peu plus sèche.

 

À certains endroits du lieu de vie, les tentes des exilés baignent dans la boue. Crédit : InfoMigrants
À certains endroits du lieu de vie, les tentes des exilés baignent dans la boue. Crédit : InfoMigrants

 

C’est dans ce lieu de vie informel à mi-chemin entre les communes de Loon-Plage et de Grande-Synthe que survivaient, il y a un an tout juste, certaines des victimes du naufrage meurtrier du 24 novembre 2021. Cette nuit-là, 33 personnes, dont sept femmes, un adolescent de 16 ans et une enfant de 7 ans, avaient pris la mer sur un petit canot pneumatique, direction l’Angleterre. Trois heures après leur départ, l’embarcation a chaviré. Durant des heures, les exilés ont tenté d’alerter les secours français. Leurs appels sont restés sans réponse. C’est un bateau de pêche, passé par hasard dans la zone, qui découvrira plus tard dans la journée une dizaine de leurs cadavres. Seules deux personnes ont pu être secourues à temps. Vingt-sept sont mortes et quatre sont toujours portées disparues.

 

En réponse à ce drame, les autorités françaises ont, une fois de plus, renforcé la surveillance de la frontière, en déployant notamment un avion de l’agence de surveillance des frontières européennes (Frontex). Le Royaume-Uni, lui, fait tout pour dissuader les migrants de venir sur son territoire. En les menaçant, par exemple, de traiter leur demande d’asile très loin du pays, au Rwanda. La faisabilité du projet mis sur pied par l’ancienne ministre de l’Intérieur Priti Patel est actuellement discutée par la justice britannique. Londres et Paris se sont aussi entendus, le 14 novembre, sur un nouvel accord migratoire. Celui-ci prévoit entre autres le renforcement des effectifs policiers - y compris britanniques - sur les plages françaises.

Le choix de la répression, appliqué dans la Manche depuis des années, se heurte pourtant à la réalité des chiffres : malgré la militarisation de la frontière, les migrants sont toujours plus nombreux à gagner le Royaume-Uni. D’après le ministère de la Défense britannique, près de 42 000 personnes ont atteint les côtes britanniques à bord de petits bateaux jusqu’ici cette année. Contre 28 526 pour toute l’année 2021.

"Harcèlement" policier

L'inefficacité de ces mesures se vérifie aussi dans les camps informels de la région, comme celui de Loon-Plage. Actuellement, près de 400 personnes s’entassent à cet endroit. Selon les associations, certaines semaines, plus de 700 migrants originaires du Kurdistan irakien, d’Afghanistan, du Soudan ou de Somalie y sont installées. Et ce, malgré un "harcèlement" policier constant, dénonce une bénévole de l’association Help for Dunkerque, qui souhaite garder l’anonymat. "La police vient toutes les semaines, en général les mardi, mercredi ou jeudi, tôt le matin", affirme-t-elle. "Ils confisquent les tentes des occupants et les poussent sur la route. À 13h, tout le monde est dispersé. Puis le camp se reforme presque aussitôt".

>> À (re)lire : Des blocs de ciment déposés après l'évacuation du camp de Loon-Plage : des associations dénoncent une "entrave à la solidarité"

Ali, un Iranien de 25 ans, s’est déjà fait arrêter à deux reprises depuis son arrivée il y a cinq jours. "À chaque fois, ils [les policiers] m’ont emmené au commissariat et m’ont gardé dans une petite cellule pour quelques heures. Ils m’accusent d’être un passeur. Et puis, ensuite, je suis relâché", souffle-t-il, frigorifié, malgré un gros pull sur lequel se superposent deux doudounes jaunes. "Je ne me sens pas en sécurité en France à cause de la police", abonde Mohammed Youssouf, originaire d’Afghanistan. "Le peu que nous donnent les associations, des tentes, ils nous l’enlèvent".

Les conditions de vie déplorables dans lesquelles vivent les occupants ajoutent à leur désespoir. Sur ce terrain, pas de douches ni de toilettes. Seule une petite dizaine de robinets fournissent de l’eau, avec laquelle les migrants se lavent, font la cuisine ou la vaisselle. Un manque d’hygiène propice aux infections et pathologies dermatologiques. Médecins du Monde avait affirmé à InfoMigrants soigner régulièrement, et de plus en plus, des plaies infectées et des cas de gale. "On a eu cet été une augmentation des problèmes urinaires, notamment chez les femmes qui se restreignaient dans leur consommation d'eau pour ne pas à avoir à aller aux toilettes", déplore Diane Léon, coordinatrice pour l’ONG.

"Vivre ici, c’est vraiment difficile", confirme la jeune Shourouk*, originaire de la région du Darfour, au Soudan, qui vit là avec sa mère et ses trois petites sœurs. "Nous n’avons pas de WC pour femmes, ou même un endroit juste pour nous, pour nous changer. Je ne suis jamais tranquille, et j’ai peur pour ma famille. J’ai hâte que le passeur nous donne son feu vert".

 

Seuls quelques robinets ont été installés dans le camp pour les exilés. Crédit : InfoMigrants
Seuls quelques robinets ont été installés dans le camp pour les exilés. Crédit : InfoMigrants

 

Pour se nourrir, là aussi, les conditions dans le camp rendent la tâche compliquée. Certains migrants font quelques courses au supermarché du coin. Ils s’engagent alors, à pied, avec des caddies ou de grands sacs poubelles, sur la route nationale qui borde le camp, frôlant les véhicules qui passent à toute vitesse. Mais la majorité n’ont d’autre choix que d’attendre les distributions de nourriture des associations. Avec les ingrédients fournis, ils cuisinent des omelettes, un peu de riz et des légumes, au feu de bois.

"Les Taliban ont tué mon oncle"

Harcelés par la police, et dans le dénuement le plus total, tous n’ont qu’une hâte : partir. Hakim, un exilé afghan de 24 ans, a déjà tenté deux fois de traverser la Manche. Lors de sa première tentative, il a été secouru près de la côte par les autorités françaises, alors que son bateau s'était dégonflé. La seconde fois, en revanche, il a "vu la mort dans les yeux". D’après le jeune homme, lui et les autres passagers ont attendu "près de dix heures dans l’eau" avant d’être secourus. "J’ai vraiment cru mourir. Si les secours étaient arrivés quinze minutes plus tard, je me serais noyé, raconte-t-il en ne cessant de se frotter les mains au-dessus du feu. "Mais dès que je le pourrai, je retenterai de passer. C'est hors-de-question que je reste dans cet endroit".

 

Hakim assure avoir "vu la mort dans les yeux" après le naufrage de son embarcation, il y a une semaine. Crédit : InfoMigrants
Hakim assure avoir "vu la mort dans les yeux" après le naufrage de son embarcation, il y a une semaine. Crédit : InfoMigrants

 

Si le froid et le manque de nourriture et d'hygiène poussent également Ahmad à vouloir "quitter le camp très rapidement", cet ancien officier de l’armée - parti d’Afghanistan le jour de la chute de Kaboul - est aussi pressé par le quotidien éprouvant de sa famille restée en Afghanistan. "Je connais les risques d’une traversée en mer. Mais je dois absolument gagner l’Angleterre pour travailler et leur envoyer de l’argent", explique-t-il. "Les Taliban ont tué mon oncle, et ma maison est devenue leur QG. Alors mes parents et mon frère vivent cachés, ils ne peuvent rien faire".

Ahmad a d’abord voulu demander l’asile en France. Mais ses empreintes ayant été enregistrées en Autriche, l’ex-soldat est soumis au protocole Dublin. S’il veut déposer une demande d’asile ailleurs, il doit patienter jusqu’à l’expiration de son statut de "dubliné", soit 18 mois. Un laps de temps beaucoup trop long pour lui. Les traits tirés, il insiste : "Je n’ai pas le choix".

Khadija*, la mère de Shourouk, reconnaît elle aussi que la traversée est risquée pour elle et ses filles. "J’ai peur, mais ce voyage, c’est pour elles", affirme-t-elle, au milieu de leur petit camp, mains sur les hanches. "On ne peut pas vivre au Darfour, c’est beaucoup trop dangereux. Et au Royaume-Uni, elles seront en sécurité et pourront suivre une scolarité de qualité. Je veux qu’elles fassent de longues et bonnes études". Amal*, 13 ans, capuche à fourrure enfoncée sur la tête, conserve son sourire à l’écoute de sa mère. "Oui, ce périple, c’est difficile. Mais j’ai vraiment l’espoir qu’on y arrive. Je veux me sentir en sécurité avec ma famille, et étudier. Là-bas, je veux faire du droit".

 

Amal, sa mère et ses trois soeurs ont quitté le Darfour, au Soudan, pour fuir les violences et pouvoir étudier. Crédit : InfoMigrants
Amal, sa mère et ses trois soeurs ont quitté le Darfour, au Soudan, pour fuir les violences et pouvoir étudier. Crédit : InfoMigrants

 

Mohammed Youssouf partage les mêmes espoirs. Le Royaume-Uni est l’ultime étape de son long périple entamé il y a 15 mois. Les yeux plissés, bonnet jusqu’aux sourcils, le jeune Afghan de 22 ans souffre visiblement du vent glacial qui souffle de manière ininterrompue sur le terrain boueux. Il porte trois pulls et un petit manteau. Mais dans ses baskets noires et blanches, ses pieds sont nus. "J’attends, chaque jour, que le passeur vienne me chercher pour enfin partir", confie-t-il. "Je sais qu’il y a le Rwanda [la menace d’être déporté dans ce pays, ndlr], je sais aussi que la mer c’est dangereux. Mais je vais prendre ce risque. De toute façon, nous les Afghans, après tout ce que l’on a vécu, on est déjà morts".

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