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La secrétaire générale de La Cimade dénonce : les enfermements arbitraires, les violences et les mises à l’isolement répétées, un climat de stigmatisation grandissante, les expulsions illégales

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Source : médiapart - Nejma Brahim - 27/12/2022

Un an avant la tuerie rue d’Enghien visant la communauté kurde, l’assaillant s’en était pris à des exilés vivant sur un camp à Bercy, dans l’Est parisien. Au lieu d’être pris en charge et reconnus comme des victimes, ces derniers ont subi une garde à vue et la plupart d’entre eux sont restés livrés à eux-mêmes, malgré les traumatismes.

C’est une attaque raciste dont peu de gens ont entendu parler, malgré la gravité des faits. Il y a un peu plus d’un an, le 8 décembre 2021, un camp d’exilés situé à Bercy à Paris était attaqué au petit matin par un homme venu déverser sa haine des étrangers. Le même homme qui, vendredi 23 décembre 2022, tuait trois personnes kurdes et en blessait trois autres rue d’Enghien, dans le Xarrondissement, et qui admettait, après avoir été interpellé et placé en garde à vue, avoir agi ainsi parce qu’il était « raciste » et parce qu’il avait développé une « haine pathologique des étrangers ». Il a depuis été mis en examen et placé en détention provisoire.

L’an dernier pourtant, pas grand monde (hormis les associations d’aide aux migrants) ne s’était interrogé sur ses motivations alors qu’il avait attaqué, au sabre, des exilés qui survivaient sous des tentes, sur les hauteurs du parc de Bercy. « Il étaitheures du matin quand cet homme a débarqué avec un sabre et a commencé à secouer les tentes dans lesquelles les exilés dormaient », raconte Paul Alauzy, chargé de projet à Médecins du Monde, qui faisait régulièrement des maraudes sur place et suivait ce camp, où étaient installées une soixantaine de personnes.

Des rescapés sur le camp de Bercy, juste après l’attaque au sabre le 8 décembre 2021. © Document Mediapart.

« Un Monsieur est sorti de sa tente et a aperçu le gars, qui ne l’attaque pas frontalement sur-le-champ mais fait semblant de faire du sport. » Selon Paul Alauzy, l’assaillant attaque ensuite l’exilé, un réfugié érythréen, par-derrière, alors qu’il est en train d’uriner, avant d’être maîtrisé par trois personnes vivant sur le camp qui le « frappent avec une branche pour lui faire lâcher son arme ». « Après les faits, plusieurs des victimes ont confié l’avoir entendu tenir des propos racistes durant l’attaque, comme “marre des étrangers” ou “dehors les étrangers” », poursuit Paul Alauzy, se référant aux témoignages qu’il a recueillis après le drame. Il évoque un « traumatisme énorme » pour les rescapés, « qui ont vu le sang et ont entendu les cris ».

Sur des photos que Mediapart a pu se procurer, le sabre utilisé par l’agresseur, long d’un mètre environ, gît sur le sol ; tandis qu’à quelques mètres de là, toujours sur les lieux du drame, la dalle en béton a eu le temps d’absorber des taches de sang. Une vidéo tournée ce jour-là et que nous avons pu visionner montre plusieurs véhicules de police et un camion de pompiers s’affairer sur place, ainsi qu’une silhouette allongée dans l’herbe, enveloppée d’une couverture de survie dorée.

Quatre exilés placés en garde à vue, dont un menacé d’expulsion

« Beaucoup étaient venus se réfugier chez nous après le drame. Ils étaient tous en état de choc », se souvient Cloé Chastel, à l’époque cheffe de service de l’accueil de jour géré par l’association Aurore – un lieu, situé quai d’Austerlitz, où peuvent venir se reposer, en journée, les demandeurs d’asile et réfugiés dans le Sud-Est parisien. Mais quatre exilés ont été interpellés et placés en garde à vue, explique-t-elle, tandis que l’agresseur, William M., a été transféré à l’hôpital pour une blessure à la main.

un an apres la tuerie

Le sabre utilisé par William M., lors de l’attaque du camp d'exilés de Bercy, le 8 décembre 2021. © Document Mediapart.

Ils sont restés en garde à vue durant deux jours avant d’être déférés devant le juge pour « violences en bande organisée », confirme à Mediapart l’avocate qui a défendu deux des exilés concernés. Le juge les a finalement libérés et placés sous le statut de témoins assistés. Cloé Chastel, qui a suivi la situation dans les jours qui ont suivi l’attaque, dit ne pas comprendre. « Ils ont été gardés à vue sans explications alors qu’ils venaient d’être agressés. Ils nous ont dit que dans un premier temps, la police a considéré qu’ils étaient tous sans-papiers, alors qu’il y avait deux réfugiés et un demandeur d’asile dans le lot. »

Le quatrième homme, âgé de 31 ans au moment des faits et originaire du Maroc (le seul à être sans-papiers), s’est vu délivrer une obligation de quitter le territoire français (OQTF) sans délai à l’issue de sa garde à vue. Dans le document daté du 9 décembre 2021, la préfecture de police de Paris indique que « le comportement de l’intéressé a été signalé aux services de police le 8 décembre [soit le jour de l’attaque au sabre – ndlr] pour violences volontaires avec arme et en réunion » et que « ces faits constituent une menace pour l’ordre public ».

Pour contester cette décision dans les délais (sous 48 heures), l’avocat de permanence ce jour-là saisit le tribunal administratif et pointe une « erreur manifeste d’appréciation ». « Le préfet a retenu contre Monsieur […] que son comportement avait été signalé par les services de police pour violence avec arme et en réunion alors même qu’il est victime d’une tentative de meurtre avec arme dans ce dossier. Le juge d’instruction a confirmé qu’il avait placé Monsieur […] sous le statut de témoin assisté », souligne-t-il.

Et d’ajouter : « Non seulement il n’est pas mis en examen mais de plus, tout éloignement sans délai méconnaîtrait son droit au juge conventionnellement et constitutionnellement garanti. »

Un rassemblement de soutien réprimé

Après avoir été libérés, les exilés – comme les autres habitants du camp – se seraient de nouveau retrouvés à la rue selon Cloé Chastel, dont la structure a fait intervenir une cellule psychologique pour les victimes et témoins de la scène. « On les a raccompagnés sur le camp et on a demandé à ce qu’il y ait une présence policière, en vain. Ils avaient très peur de rester sur place. L’une des victimes, un réfugié soudanais, avait déjà des troubles psy que l’attaque est venue aggraver. Il s’est mis à dormir dans les bouches de métro tant il était terrorisé. »

Paul Alauzy, de Médecins du Monde, se souvient aussi d’un jeune homme tombé en pleurs dans les bras de sa collègue. « Ils n’ont pas fui des conflits en Érythrée, au Soudan ou en Afghanistan pour revivre ça ici », déplore celui dont l’organisation, avec d’autres associations d’aide aux exilés, a voulu se rassembler dans le parc de Bercy, au lendemain de l’attaque, pour « soutenir » et « rassurer » les exilés, mais aussi pour réclamer aux autorités une mise à l’abri de ces personnes, avec des solutions d’hébergement.

Mais à leur arrivée à Bercy en début de soirée, les travailleurs sociaux, bénévoles associatifs et traducteurs ont vite été nassés par les CRS et la Brav-M (voir ce tweet), qui ont considéré que le rassemblement n’était pas déclaré. « On a essayé de parlementer calmement avec eux, en expliquant qu’on venait en soutien après l’attaque raciste, mais ils nous ont contrôlés puis verbalisés », s’étonne encore Paul Alauzy. « On pensait qu’ils venaient là pour les protéger et ils voulaient juste nous verbaliser, alors qu’on était là dans le cadre de notre travail. C’est scandaleux et c’est d’une violence incroyable », complète un autre.

Tweet de Médecins du Monde, daté du 10 décembre 2021. © Médecins du Monde.

Au moins 19 personnes de différentes organisations (Aurore, Utopia 56, Médecins du Monde, Paris d’exil ou Solidarité Migrants Wilson) ont reçu une amende d’un montant de 135 euros ce jour-là, « pour participation à une manifestation interdite sur la voie publique ».

« À la veille de Noël, envoyer des amendes aux associatifs venus aider les personnes exilées victimes d’une attaque raciste et contraintes de vivre dans des conditions indignes sous des températures négatives… Un vrai révélateur du cynisme avec lequel l’accueil est pensé », tweete alors Médecins du Monde.

La majorité des exilés sont restés à la rue, sans prise en charge

Selon plusieurs témoins, les exilés ont pu rester en dehors de la nasse. Mais Paul Alauzy et sa collègue Clothilde Collomb sont interpellés et placés en garde à vue : « On nous a emmenés au commissariat du XIIarrondissement, fouillés et intimidés. Un agent de police est même venu me voir en me demandant si je comptais faire venir tous les migrants en France, et si mon travail se résumait à ça », relate Paul Alauzy. Tous deux sont finalement relâchés au prétexte que l’officier de police judiciaire « ne peut les recevoir ».

Beaucoup des exilés vivant sur ce camp ont disparu dans la nature. Selon nos informations, certaines des victimes seraient toujours à la rue, d’autres vivraient en squat. Mais nos efforts n’ont pas permis de les retrouver. Seul un monsieur de nationalité érythréen (celui qui a été le plus grièvement blessé au moment des faits), âgé d’une quarantaine d’années, a pu bénéficier du suivi social de la Ville de Paris, par l’intermédiaire de Ian Brossat, élu en charge du logement, de l’hébergement d’urgence et la protection des réfugiés, et a obtenu un logement dans une résidence sociale à Paris. Sollicité à plusieurs reprises, il n’a pas donné suite.

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Le lieu de l’attaque au sabre, un an après les faits, le 25 décembre 2022. © Nejma Brahim / Mediapart.

Deux autres hommes ont été orientés, grâce à l’intervention du centre d’accueil de jour Aurore une semaine après l’attaque, vers un hébergement d’urgence de type hôtel, à Paris, sans qu’on ne sache ce qu’ils sont devenus depuis.

Un an de détention provisoire

Après cette attaque, William M., qui est aussi l’auteur de la tuerie plus récente rue d’Enghien à Paris, a été mis en examen le 13 décembre 2021 pour « violences avec ITT de moins ou plus de huit jours avec arme, avec préméditation et à caractère raciste et dégradations » et placé en détention provisoire.

Il a été libéré le 12 décembre dernier, au bout d’un an, car l’infraction retenue contre William M. pour cette attaque était passible d’une peine inférieure à dix ans d’emprisonnement et celui-ci ne pouvait ainsi pas être détenu provisoirement pendant plus d’un an. Si la justice avait par exemple retenu la qualification de « tentative de meurtre », l’auteur présumé serait peut-être toujours derrière les barreaux.

Placé sous contrôle judiciaire, William M. a été astreint, selon le parquet de Paris, à une interdiction de contact avec les victimes, une obligation de soins psychiatriques et une interdiction de détenir et porter une arme, ce qui ne l’a pas empêché d’en obtenir une pour attaquer la communauté kurde, seulement douze jours après sa libération.

« Ce qui est choquant dans tout ça, c’est le traitement raciste de cette histoire autour de l’attaque du camp à Bercy. Si l’agression avait été prise au sérieux à l’époque, on aurait peut-être évité la mort des personnes kurdes vendredi dernier », estime Cloé Chastel.

William Dufourcq, responsable associatif ayant suivi l’affaire à cette période, se dit choqué par l’attitude de la police, qui a, à ses yeux, « stigmatisé et persécuté les exilés alors qu’ils étaient victimes ». « À cause d’un filtre raciste, la police a mis au même niveau l’agresseur et les victimes. Le traitement aussi léger de cette attaque par les forces de l’ordre est clairement lié à la couleur de peau des personnes agressées », dénonce-t-il, estimant que si les victimes avaient été blanches, « il y aurait eu un vrai suivi psy de l’assaillant » et le « système judiciaire aurait traité les choses différemment ». « On n’aurait pas eu le drame rue d’Enghien. »


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